Ni mort, ni vivant : journée internationale des disparus

Syrie : aidez-nous à retrouver les disparus

Chaque jour depuis de nombreuses années, elle essaie en vain. Et pourtant, ce matin, elle va se réveiller et essayer à nouveau. Elle répondra aux appels de journalistes qui lui demanderont : c’était il y a combien de temps ? Elle dira : sept ans, 25 ans, 36 ans, un nombre incalculable d’années.
À l’occasion de la Journée internationale des personnes disparues, pendant quelques minutes aujourd’hui, elle aura l’attention de tout le monde et elle demandera à chacun de ne pas oublier la personne qui lui est chère. Elle suppliera des dirigeants, des personnalités politiques, des hommes trop attachés à leurs armes. Elle leur dira qu’elle ne perdra jamais espoir, mais au fond de son cœur, elle sait qu’il devient difficile de s’accrocher à cet espoir.
Elle a de nombreux noms. En Algérie, elle s’appelle Nassera Dutour. Au Liban, elle s’appelle Wadad Halawany. En Syrie, elle s’appelle Fadwa Mahmoud. Et pourtant, son visage est le même partout au Moyen-Orient, partout en Afrique du Nord : un visage fatigué, préoccupé, marqué par l’inquiétude, l’incertitude et la souffrance.
Son histoire est trop commune dans la région, de l’Iran au Maroc et du Yémen à la Libye. Pouvez-vous compter combien de personnes ont disparu seulement depuis votre naissance ?

Les familles des disparus

Les associations portent des noms comme « Familles des disparus », mais en réalité, ce sont toujours les filles, les mères, les sœurs, les femmes qui se retrouvent seules. Depuis sa création en 1998, l’association algérienne SOS Disparus cherche à obtenir vérité et justice pour les milliers de personnes qui ont disparu pendant le conflit interne qui a ravagé le pays dans les années 1990 et après. Des milliers de disparitions forcées ont eu lieu et aucune enquête efficace n’a été menée.

SOS Disparu recourt à tous les mécanismes à sa connaissance pour faire pression sur les autorités et a fait appel aux mécanismes internationaux disponibles : plus de 4 000 dossiers ont été remis au Groupe de travail des Nations unies sur la détention arbitraire et des dizaines ont été remis au Conseil des droits de l’homme et à la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples. Le groupe a également publié des rapports, des livres et des documentaires. Il continue à demander patiemment que justice soit faite et manifeste pacifiquement dans les rues d’Algérie depuis 20 ans. Les membres du groupe ont tout affronté : les dispersions violentes, les arrestations, le harcèlement des autorités qui, à ce jour, continuent de nier toute responsabilité.

« Vingt ans après la création de l’association, nombre de nos membres, des mères de disparus qui vivaient dans l’espoir, sont morts sans savoir », a déclaré à Amnesty International Nassera Dutour, qui est porte-parole de l’association et dont le fils a disparu en 1997. « Jusqu’à notre dernier souffle, nous nous battrons pour obtenir la vérité et pour que justice soit faite pour les disparus. Nous continuerons d’avancer même si les autorités algériennes nous ignorent, parce que nous savons que le monde nous voit et nous entend. »

« NOMBRE DE NOS MEMBRES, DES MÈRES DE DISPARUS QUI VIVAIENT AVEC L’ESPOIR, SONT MORTS DANS LE DÉSESPOIR, SANS SAVOIR. »

Nassera Dutour

Au Liban, en 1982, en plein conflit armé, des femmes ont créé un mouvement de recherche de leurs proches disparus. Elles font toujours campagne aujourd’hui. Depuis plus de 35 ans, sans relâche, elles manifestent, défilent, enquêtent, font campagne, militent, diffusent des films et exposent des photos lors d’expositions de masse dans les rues. Elles n’ont ménagé aucun effort.

Des organisations locales et internationales ont identifié les sites de fosses communes, mais les autorités refusent de les protéger. Un projet de loi prévoyant l’ouverture d’enquêtes sur le sort des disparus est en cours d’examen par le Parlement, dans l’attente d’un vote. Les familles ont fait de ce mois d’août 2018 le mois des personnes disparues, dans l’espoir de renforcer la pression pour faire adopter la loi. Des milliers de personnes sont toujours portées disparues.

Les guerres qui les ont pris

Les disparitions caractérisent depuis longtemps les cycles de violence en Irak, tant sous le régime autoritaire du parti Baas que pendant l’invasion américaine et l’occupation qui a suivi en 2003. Des milliers d’hommes et de garçons ont disparu depuis le début des combats en Irak contre le groupe se désignant sous le nom d’État islamique (EI). Les très nombreuses récentes disparitions n’ont pas été reconnues par les autorités irakiennes et kurdes ou la communauté internationale. En dépit de la gravité de ce problème en Irak, il n’existe aucun mécanisme centralisé et unifié pour y faire face. La disparition des hommes et garçons d’une famille entraîne souvent de graves difficultés pour cette famille, tant en termes de sécurité que de difficultés pour l’obtention de documents d’état civil, ce qui entrave l’accès à l’éducation, aux retraites et au mariage.

« À chaque fois que nous parlons à des gens en Irak, le problème des disparitions est évoqué », a déclaré Razaw Salihy, chercheur à Amnesty International Irak. « Des femmes et des hommes, serrant des photos et les cartes d’identité de leurs proches, viennent vers nous pour nous demander où ils peuvent faire inscrire les membres de leur famille. Cela a eu des conséquences dévastatrices pour la vie des Irakiens. »

AIDEZ-NOUS À RETROUVER LES DISPARUS DE SYRIE

Plus de 80 000 personnes ont disparu depuis le début de la crise en 2011.

Signez la pétition

À Aden, au Yémen, pendant un chaud après-midi de mai, alors que les températures approchaient les 40 degrés, un chercheur d’Amnesty International a assisté au rassemblement devant le domicile du ministre yéménite de l’Intérieur d’un groupe de mères dont les fils ont disparu depuis leur arrestation par les forces soutenues par les Émirats arabes unis, presque deux ans auparavant. Les familles, qui ne reçoivent aucune information sur le lieu où sont emmenés leurs proches arrêtés, doivent par elles-mêmes tenter de s’y retrouver au milieu d’un ensemble confus de forces de sécurité, chacune de ces forces procédant à des arrestations. Les mères, les épouses et les sœurs des victimes de disparitions forcées font le tour des bureaux du gouvernement et des bureaux chargés des poursuites et organisent des manifestations depuis près de deux ans.

Au Yémen, tous les témoignages reflètent les mêmes sentiments. « Ne devraient-ils [les détenus] pas passer en jugement ? À quoi servent les tribunaux, sinon ? On ne devrait pas les faire disparaître de cette façon : nous n’avons pas le droit de leur rendre visite et nous ne savons même pas s’ils sont morts ou vivants », a déclaré l’épouse d’un homme détenu au secret depuis plus de deux ans.

En Syrie, plus de 80 000 personnes ont disparu depuis le début de la crise en 2011. Il s’agit d’une campagne délibérée du gouvernement, menée dans le cadre d’une attaque organisée et généralisée pour punir collectivement la population civile. Des dizaines de milliers de personnes ont été victimes d’arrestations arbitraires, de torture et de disparitions forcées. Pour Amnesty International, il s’agit d’un crime contre l’humanité. Ne sachant pas ce qu’il est advenu de leurs proches, les familles sont dans une situation de souffrance intense.

En 2016, quelques femmes syriennes se sont réunies et ont créé le groupe Families for Freedom, qui cherche à obtenir une solidarité (et du réconfort) afin de faire pression pour que le gouvernement syrien et les groupes armés révèlent ce qu’il est advenu de leurs proches, et pour que ces proches puissent revenir sains et saufs. Fadwa Mahmoud est l’une de ces femmes. En 2012, son fils Maher et son mari Abdulaziz ont tous deux disparu en Syrie. « Je suis une mère », dit-elle, « et mon fils n’est pas seulement un fils pour moi. C’était mon ami, mon compagnon. Mais je suis convaincue qu’un jour, Maher et toutes les personnes qui ont disparu reviendront en Syrie. »

Systématiques et délibérés

En Égypte, le gouvernement a recours aux disparitions forcées dans le cadre de sa stratégie systématique destinée à faire taire l’opposition et prend maintenant même pour cible les familles des personnes soumises à une disparition forcée. Hanan Badr el Din a vu son mari pour la dernière fois aux informations, blessé après avoir pris part à une manifestation en 2013, et n’a pas pu avoir de nouvelles de lui après cela. Déterminée à découvrir la vérité, elle s’est rendue dans des postes de police, des prisons, des hôpitaux et des morgues et n’a jamais cessé de chercher. Hanan a cofondé un groupe de familles cherchant leurs proches. Quatre ans après le début de ses recherches, lors d’une visite en prison, Hanan a été arrêtée par des gardiens et a été inculpée d’appartenance à un « groupe interdit », des accusations passibles d’une lourde peine de prison. L’autre cofondateur de la coalition de familles des disparus, Ibrahim Metwaly, qui cherchait son fils Amr, a été arrêté le 10 septembre 2017 à l’aéroport, alors qu’il se rendait à Genève pour parler des disparitions forcées devant les Nations unies.

En 2016, Amnesty International a recueilli des informations indiquant que l’Agence nationale de sécurité a enlevé, torturé et soumis à des disparitions forcées des centaines de personnes afin de faire taire la dissidence pacifique. La pratique reste courante et les forces de sécurité continuent de soumettre les détracteurs à des disparitions forcées. Dans certains cas, les familles retrouvent leurs proches à la morgue et les autorités affirment qu’ils ont été tués dans des échanges de tirs.

DESTRUCTION DE FOSSES COMMUNES

En Iran, les autorités n’ont jamais accepté la responsabilité du massacre lors duquel des milliers de dissidents politiques ont été soumis à des disparitions forcées et à des exécutions extrajudiciaires en 1988. Dans tout le pays, des prisonniers ont été détenus au secret et l’on est resté sans nouvelles d’eux pendant plusieurs mois. Parmi leurs proches, des informations ont circulé, selon lesquelles des prisonniers étaient exécutés par groupes et ensevelis dans des fosses communes. Des familles bouleversées ont parcouru les cimetières, à la recherche de traces de tranchées fraîchement creusées. À partir de la fin de l’année 1988, les autorités ont informé oralement les familles que leurs proches avaient été tués. Cependant, les corps ne leur ont pas été restitués et la plupart des sites d’inhumation n’ont pas été révélés. Aujourd’hui, le nombre de victimes enterrées dans des fosses communes en 1988 reste inconnu, bien que les estimations fassent état d’un minimum de 4 000 à 5 000 personnes. Depuis près de trois décennies, les autorités iraniennes refusent de révéler ce qu’il est advenu de ces victimes. Aucun représentant iranien n’a fait l’objet d’une enquête ou n’a été traduit en justice et certains des responsables présumés continuent d’occuper des fonctions politiques ou des postes haut placés dans le système judiciaire.

Des familles iraniennes ont été menacées, harcelées et emprisonnées pour avoir cherché à obtenir vérité et justice pour leurs proches. Ces dernières années, les autorités ont pris des mesures pour détruire de façon délibérée des éléments de preuve médicolégaux essentiels, ce qui pourrait entraver les droits à la vérité, à la justice et aux réparations. Elles détruisent des lieux où l’on soupçonne ou bien où est confirmée la présence de fosses communes, ce qui empêche d’établir avec certitude l’ampleur des crimes et prive les victimes et leurs familles de justice et de réparations. Un cas choquant a été constaté dans la ville d’Ahvaz, dans la province du Khuzestan : les autorités ont envoyé des bulldozers sur le site d’une fosse commune, afin d’y construire un boulevard et de créer un parc à ce même endroit.

En Palestine, les disparitions forcées ne sont ni systématiques ni généralisées. Cependant, certains cas nous rappellent que le bilan des autorités palestiniennes de Cisjordanie et du gouvernement de facto du Hamas dans la bande de Gaza reste entaché. Le 12 mars 2002, Ali al Kadir, Taiseer Ramadhan, Nazem Abu Ali, Shaker Saleh, Ismail Ayash et Mohammad Alqrum, six hommes palestiniens, ont tous « disparu » alors qu’ils étaient maintenus en détention par l’Autorité palestinienne à la prison de Salfit (dans le centre de la Cisjordanie). Dans la bande de Gaza, un autre homme a été placé en détention, enlevé et soumis à une disparition forcée par les forces du Hamas pendant la première semaine de l’offensive militaire israélienne à Gaza, pendant l’été 2014.

Les autorités palestiniennes n’ont à ce jour mené aucune enquête sur les allégations de torture dont ces hommes auraient été victimes et personne n’a été traduit en justice pour répondre de leur disparition forcée.

Détention au secret

Dans les pays du Golfe, une autre histoire est contée et les autorités emploient une stratégie différente, bien que tout aussi douloureuse : la détention au secret. Des personnes sont arrêtées sans explication, détenues pendant parfois des mois, sans que leurs proches ne sachent où elles se trouvent et quelles accusations pèsent sur elles ou s’ils les reverront un jour.

Aux Émirats arabes unis, le cas d’Ahmed Mansoor, un défenseur des droits humains de premier plan, illustre cette pratique. Il a été arrêté il y a plus d’un an, et sa famille ne sait toujours pas où il est détenu, bien qu’il ait été jugé et condamné à 10 ans de prison. À Bahreïn, Sayed Alawi a été emprisonné dans des conditions s’apparentant à une détention au secret pendant 385 jours. Sa famille ne l’a pas vu et n’a pas été informée de l’endroit où il se trouvait, bien qu’il ait été autorisé à passer quelques rares appels très brefs lors desquels il ne pouvait pas révéler où il se trouvait. Lorsqu’il a enfin comparu devant un tribunal, il était l’un des premiers civils jugés dans le cadre du nouveau système de justice militaire à Bahreïn. Fadhel Sayed Abbas, son coaccusé, a également été détenu au secret pendant 400 jours.

Aujourd’hui, nous nous souvenons

C’est une souffrance partagée par toute la région MENA aujourd’hui, alors que nous nous rappelons et demandons de nouveau que le sort des personnes disparues soit révélé et que ces personnes puissent rentrer chez elles en toute sécurité. Les chiffres cumulés représentent des centaines de milliers de personnes et les années cumulées représentent des décennies. Et les personnes qui font campagne sans relâche méritent notre soutien et notre solidarité, comme s’il s’agissait de nos propres mères, comme si leurs proches étaient nos enfants. Tant que nous nous souvenons, il reste de l’espoir qu’un jour, ils reviennent.

« JE SUIS CONVAINCUE QU’UN JOUR, MAHER ET TOUTES LES PERSONNES QUI ONT DISPARU REVIENDRONT… »

Fadwa Mahmoud

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