Elles ont arrêté arbitrairement l’ancien président Mohamed Bazoum, au moins 30 responsables du gouvernement renversé et personnes proches du président destitué, ainsi que plusieurs journalistes. Elles ont rejeté tout examen de leurs dépenses militaires, en dépit de leurs déclarations en faveur de la lutte contre la corruption. Les autorités nigériennes devraient libérer immédiatement toutes les personnes détenues pour des motifs politiques ; garantir le respect des libertés fondamentales, notamment les droits à la liberté d’expression, d’opinion et d’association ; et s’engager publiquement à faire preuve de transparence et de redevabilité dans la gestion des dépenses militaires.
« Un an après le coup d’État militaire, au lieu d’avancer sur la voie du respect des droits humains et de l’État de droit, les autorités militaires accentuent la pression sur l’opposition, la société civile et les médias indépendants », a déclaré Samira Daoud, directrice régionale d’Amnesty International pour l’Afrique de l’Ouest et centrale. « Les autorités militaires nigériennes devraient libérer Mohamed Bazoum ainsi que toutes les personnes détenues pour des raisons politiques et garantir leurs droits à une procédure régulière. »
Le 26 juillet 2023, le général Abdourahamane Tiani et d’autres officiers de l’armée nigérienne du Conseil national pour la sauvegarde de la patrie (CNSP) [1] ont renversé Mohamed Bazoum, élu à la présidence du pays en 2021, et l’ont détenu arbitrairement, lui, sa famille et plusieurs membres de son cabinet. En réponse au coup d’État, le 30 juillet 2023, la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) [2] a imposé des sanctions [3], notamment des sanctions économiques [4], des interdictions de voyager et des gels d’avoirs, aux leaders du coup d’État et au pays en général. Le 22 août 2023, l’Union africaine [5] a suspendu le Niger de toute participation à ses organes, institutions et activités. Le 28 janvier 2024, le Niger, le Burkina Faso et le Mali [6] ont annoncé leur retrait de la CEDEAO, et le 24 février, cette dernière a levé les sanctions [7] contre le Niger.
Depuis le coup d’État, Mohamed Bazoum et son épouse sont détenus [8] au palais présidentiel à Niamey, la capitale. Les trois organisations ont exprimé à plusieurs reprises des inquiétudes quant à leur bien-être. En août 2023, les autorités ont annoncé leur intention de traduire en justice Mohamed Bazoum [9] pour « haute trahison » et atteinte à la sûreté intérieure et extérieure, mais il n’a pas encore été présenté à un juge. En septembre 2023, Mohamed Bazoum a intenté [10] une action en justice devant la Cour de justice de la CEDEAO à Abuja, invoquant des violations des droits humains à son encontre et à l’encontre de sa famille pendant leur détention. En décembre 2023, la Cour de la CEDEAO a statué [11] que Mohamed Bazoum avait été arbitrairement détenu et a appelé à sa libération. En avril, les autorités ont engagé [12] une procédure judiciaire contre Mohamed Bazoum pour lever son immunité présidentielle afin qu’il puisse être jugé pour des crimes présumés commis après son élection en tant que président en 2021. Le 14 juin 2024, la Cour d’État du Niger a levé [13] l’immunité à l’issue d’une procédure qui n’a pas respecté [14] les normes essentielles d’une procédure régulière ainsi que les standards internationaux en matière de procès équitable, notamment le droit à la défense.
Les autorités militaires ont également arrêté arbitrairement au moins 30 responsables du gouvernement déchu, y compris d’anciens ministres, des membres du cabinet présidentiel et des personnes proches de l’ancien président, sans leur accorder une procédure régulière ni respecter leurs droits à un procès équitable. Les avocats représentant les personnes arrêtées ont déclaré que leurs clients avaient été détenus au secret par les services de renseignement, avant d’être transférés dans des prisons de haute sécurité pour des accusations sans fondement. Au moins quatre d’entre eux ont été libérés sous caution en avril, tandis que tous les autres ont été accusés d’« atteinte à la sûreté de l’État », entre autres infractions, par un tribunal militaire bien qu’ils soient des civils.
Depuis le coup d’État de 2023, la liberté des médias a été fortement restreinte dans le pays [15]. Les autorités ont menacé, harcelé et arrêté arbitrairement des journalistes, dont beaucoup indiquent qu’ils s’autocensurent [16] par crainte de représailles.
Le 30 septembre, des hommes qui se sont présentés comme des membres des forces de sécurité ont arrêté [17] Samira Sabou, blogueuse et journaliste, au domicile de sa mère à Niamey. Le lieu de détention [18] de Samira Sabou est resté inconnu pendant sept jours. La police judiciaire de Niamey a d’abord nié [19] son arrestation mais, le 7 octobre, Samira Sabou a été transférée à l’unité des enquêtes criminelles de la police de Niamey, où son avocat et son mari lui ont rendu visite [20]. Le 11 octobre, elle a été inculpée de « production et diffusion de données susceptibles de troubler l’ordre public » et libérée dans l’attente de son jugement. Aucune date n’a été fixée pour le procès.
Le 29 janvier, le ministre de l’Intérieur a publié un décret [21] qui a suspendu les activités de la Maison de la Presse, une organisation de médias indépendante, et annonçant la création d’un nouveau comité de gestion des médias dirigé par le secrétaire général du ministère de l’Intérieur.
Le 13 avril, les forces de sécurité ont arrêté [22] Ousmane Toudou, journaliste et ancien conseiller en communication du président déchu. Dans les jours qui ont suivi le coup d’État de juillet 2023, Ousmane Toudou a dénoncé la prise de pouvoir par l’armée dans un message largement diffusé sur les réseaux sociaux. En mai 2024, il a été inculpé de « complot contre la sûreté de l’État » et envoyé en détention provisoire.
« J’ai été attaquée par des partisans de la junte sur les réseaux sociaux »
Le 24 avril, les forces de sécurité ont arrêté Soumana Maiga, le directeur de publication de L’Enquêteur, après que le journal a relayé un article publié par un journal français sur l’installation présumée de systèmes d’écoute par des agents russes sur des bâtiments officiels de l’État. Il a été présenté à un juge en mai, placé en détention pour atteinte à la défense nationale et libéré le 9 juillet [23] dans l’attente de son procès.
Tchima Illa Issoufou, correspondante de la radio BBC en langue haoussa au Niger, a déclaré avoir reçu des menaces de la part de membres des forces de sécurité l’accusant de tenter de « déstabiliser le Niger » en raison de sa couverture de la situation sécuritaire dans la région de Tillabéri, dans l’ouest du Niger, où des groupes islamistes armés mènent des attaques contre les civil·e·s et les forces de sécurité. « J’ai été attaquée par des partisans de la junte sur les réseaux sociaux », a-t-elle expliqué à Amnesty International en mai après avoir fui le Niger pour un autre pays. « Ils m’ont accusée de travailler sous influence étrangère. » Le 26 avril, les forces de sécurité ont arrêté Ali Tera, un militant de la société civile que Tchima Illa Issoufou avait interviewé.
Le 29 mai, le ministre de la Justice et des Droits de l’homme a publié [24] une circulaire suspendant toute visite des organisations de défense des droits humains dans les prisons nigériennes « jusqu’à nouvel ordre », en violation du droit national et international [25] relatif aux droits humains, y compris la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants [26], que le Niger a ratifiée en 1988 [27].
« La longue liste d’attaques contre des journalistes au cours de l’année écoulée témoigne de la détermination des autorités à restreindre la liberté de la presse et le droit d’accès à l’information »
Le 12 juin, le ministre de la Justice et des Droits de l’homme a publié [28] un communiqué de presse annonçant la modification d’une loi de 2019 sur la cybercriminalité. Cette loi, qui criminalisait « la diffusion, la production et la mise à la disposition d’autrui de données pouvant troubler l’ordre public ou portant atteinte à la dignité humaine par le biais d’un système d’information », a été utilisée pour réprimer les droits humains, notamment le droit à la liberté d’expression en ligne en 2020. En 2022, le gouvernement de Mohamed Bazoum, à la suite d’une campagne soutenue de la société civile, a modifié la loi [29], remplaçant les peines de prison par des amendes pour les infractions liées à la diffamation. Les modifications du 12 juin, cependant, rétablissent les peines d’emprisonnement.
« La longue liste d’attaques contre des journalistes au cours de l’année écoulée témoigne de la détermination des autorités à restreindre la liberté de la presse et le droit d’accès à l’information », a expliqué Drissa Traoré, secrétaire général de la FIDH. « La modification de la loi de 2019 sur la cybercriminalité constitue un recul dangereux et pourrait être utilisée pour faire taire toute voix jugée dissidente, et certainement pour cibler davantage les défenseur·e·s des droits humains, les activistes et les journalistes. Les autorités nigériennes doivent revenir sur cette décision et garantir la liberté d’expression. »
La transparence vis-à-vis des budgets et dépenses militaires est cruciale pour lutter contre la corruption et la mauvaise gestion
La Charte africaine des Droits de l’Homme et des Peuples [30] et le Pacte international relatif aux droits civils et politiques [31], tous deux ratifiés par le Niger en 1986, garantissent les droits à la liberté d’opinion et d’expression.
Le 23 février, Abdourahamane Tiani, qui s’est engagé [32] à lutter contre la corruption après avoir pris le pouvoir, a signé une ordonnance [33] abrogeant tout examen des dépenses militaires. L’ordonnance stipule que « les dépenses ayant pour objet l’acquisition d’équipement ou matériel ou de toute autre fourniture, la réalisation de travaux ou de services destinés aux forces de défense et de sécurité […] sont exclues du champ d’application de la législation relative aux marchés publics et à la comptabilité publique » et sont également exonérées d’impôts. La transparence vis-à-vis des budgets et dépenses militaires est cruciale pour lutter contre la corruption et la mauvaise gestion. Elle contribue par ailleurs au respect des droits humains et de l’État de droit, à une gestion adéquate des dépenses militaires et à la redevabilité du gouvernement, ont déclaré les organisations.
« L’examen public des activités économiques de l’armée est non seulement essentiel pour rétablir un régime démocratique civil et tenir les autorités militaires pour responsables des abus, mais aussi pour prévenir la perte de ressources publiques due à la corruption et à la mauvaise gestion », a conclu Ilaria Allegrozzi [34], chercheuse senior sur le Sahel à Human Rights Watch. « Les autorités nigériennes devraient s’engager en faveur de la transparence et de la redevabilité en divulguant immédiatement des informations financières vérifiables sur les dépenses militaires. »