Les militants Moudi Moussa, Halidou Mounkaila et Maïkoul Zodi ont été arrêtés le 15 mars pour organisation d’un rassemblement non autorisé, complicité dans la dégradation de biens publics, incendie volontaire et homicide avec circonstances atténuantes, à la suite d’une manifestation qu’ils ont organisée dans la capitale Niamey. Ils réclamaient la tenue d’une enquête sur les allégations de détournements de fonds révélés par l’audit des contrats du ministère de la Défense en février et dénonçaient l’ingérence de l’exécutif dans cette procédure.
« Ces militants ont été arrêtés pour des accusations globalement forgées de toutes pièces en vue de saper l’exercice pacifique de leurs droits fondamentaux [...] »
Le rassemblement a été violemment réprimé par les forces de sécurité, conduisant à leur arrestation et à celle de quatre membres de la société civile. Ces quatre personnes ont bénéficié d’une libération provisoire le 30 avril. Quant à Moudi Moussa, Halidou Mounkaila et Maïkoul Zodi, ils se trouvent toujours derrière les barreaux.
« Depuis près de deux ans, au Niger, les journalistes et les militant·e·s des droits humains sont la cible d’arrestations arbitraires répétées du fait du durcissement de la répression exercée contre les voix dissidentes, a déclaré Samira Daoud, directrice pour l’Afrique de l’Ouest et l’Afrique centrale à Amnesty International.
« Ces militants ont été arrêtés pour des accusations globalement forgées de toutes pièces en vue de saper l’exercice pacifique de leurs droits fondamentaux et leurs revendications en matière d’obligation de rendre des comptes. Il faut libérer immédiatement Moudi Moussa, Halidou Mounkaila et Maïkoul Zodi. »
Depuis le début de l’année, Amnesty International a recensé 27 arrestations de militant·e·s, syndicalistes, journalistes et dissident·e·s au Niger, dont 17 sont des militant·e·s anti-corruption qui se sont faits l’écho des accusations visant le ministère de la Défense.
Moudi Moussa, journaliste et syndicaliste, Halidou Mounkaila, leader d’un syndicat enseignant (SYNACEB) et Maïkoul Zodi, coordinateur national de Tournons la Page (TLP), un mouvement global qui rassemble des acteurs des sociétés civiles africaines, ont pris part à la manifestation du 15 mars à Niamey et dans d’autres villes du Niger.
Les autorités avaient interdit toutes les manifestations dans le cadre de la lutte contre la pandémie de COVID-19. Les organisateurs ont néanmoins décidé de maintenir les rassemblements et les forces de sécurité ont bloqué toutes les voies d’accès menant au lieu de l’événement à Niamey.
Selon des témoins, les forces de sécurité ont tiré des gaz lacrymogènes sur les toits des boutiques du marché de Tagabati, déclenchant un incendie et causant au moins trois morts. Une dizaine de personnes, dont sept leaders de la société civile, ont été arrêtées par la suite.
Les militants n’auraient pas dû être placés en détention pour avoir enfreint les restrictions liées au COVID-19 et les accusations portées à leur encontre pour complicité dans la dégradation de biens publics, incendie volontaire et homicide avec circonstances atténuantes semblent être forgées de toutes pièces pour entraver leur travail en tant que défenseurs des droits humains.
L’arrestation et la détention de Moudi Moussa, Halidou Mounkaila et Maïkoul Zodi mettent en lumière la détérioration inquiétante de la situation des droits civils et des libertés qu’Amnesty International observe et dénonce au Niger ces dernières années. La répression s’est durcie depuis quelques mois, une dizaine de militants, journalistes, enseignants et défenseurs des droits humains ayant été arrêtés ou poursuivis en justice, parfois sur la base de conversations privées échangées sur les réseaux sociaux.
Les préoccupations d’Amnesty International sont avivées par l’adoption en 2019 d’une loi controversée sur la cybercriminalité, qui comporte des dispositions susceptibles de faciliter la violation de la liberté d’expression ou l’arrestation arbitraire et la détention de dissident·e·s. Huit personnes ont été arrêtées entre mars et avril cette année, au titre de l’article 31 de cette loi.
En outre, le 29 mai, le Niger a adopté une loi sur l’interception des communications électroniques qui risque de rogner l’espace civique dans le pays. Elle permet notamment à l’exécutif de décider de surveiller telle personne, un pouvoir qui devrait être exercé par un juge ou une instance indépendante de l’exécutif. Elle ne comporte pas les garanties nécessaires pour prévenir les abus et mettre fin à une surveillance si celle-ci est jugée illégale.
« L’arrestation et la détention de Samira Sabou sont arbitraires et s’inscrivent dans le cadre du harcèlement acharné contre les militant·e·s de la société civile et les journalistes »
L’arrestation le 10 juin de la journaliste et blogueuse Samira Sabou, à la suite d’une plainte en diffamation déposée par le fils et chef de cabinet du président nigérien, marque une nouvelle phase dans la volonté de faire taire celles et ceux qui dénoncent la corruption. Samira Sabou est inculpée de « diffamation par un moyen de communication électronique » pour une publication sur Facebook, et un commentaire ajouté à ce post par un autre utilisateur de Facebook.
Elle se trouve en détention provisoire à la prison de Niamey, qui se caractérise par une surpopulation et de mauvaises conditions de détention, exacerbées en cette pandémie de COVID-19. Son état de santé se dégrade depuis son arrestation. Si elle est reconnue coupable, elle encourt jusqu’à trois ans de prison et une amende pouvant atteindre trois millions de francs CFA (environ 4 500 euros).
« L’arrestation et la détention de Samira Sabou sont arbitraires et s’inscrivent dans le cadre du harcèlement acharné contre les militant·e·s de la société civile et les journalistes. Il faut abandonner tous les chefs d’accusation portés à son encontre et la libérer immédiatement et sans condition », a déclaré Samira Daoud.