NIGÉRIA : Amnesty International craint que des violations des droits humains n’aient été commises à la suite du déploiement des forces de sécurité dans l’État de Bayelsa, dans le delta du Niger

Index AI : AFR 44/006/2005
ÉFAI
Mardi 8 mars 2005

DÉCLARATION PUBLIQUE

Amnesty International craint qu’au moins quinze civils n’aient été tués, au moins deux femmes violées, de nombreuses personnes blessées et la plupart des maisons rasées lors d’une opération militaire menée à Odomia, dans l’État de Bayelsa (delta du Niger), par des soldats de la force d’intervention conjointe chargée de l’opération Restaurer l’espoir, a déclaré l’organisation de défense des droits humains ce mardi 8 mars 2005.
Amnesty International a été informée que, le 19 février 2005, des soldats de la force d’intervention conjointe, composée d’unités de l’armée de terre et de la marine, avaient été appelés à Odomia par les autorités de l’État pour apaiser des tensions intercommunautaires et pour rechercher et arrêter des jeunes accusés d’avoir tué 12 personnes dans la ville, dont quatre conseillers municipaux, au début du mois de février. Les forces de sécurité ont ouvert le feu avec des mitrailleuses contre des habitants qui, selon elles, leur tiraient dessus à leur arrivée. Les soldats auraient mis le feu aux maisons en jetant à l’intérieur des vêtements imbibés d’essence ; ils réfutent toutefois ces accusations. Au moins 15 personnes ont trouvé la mort, dont un jeune garçon de dix ans, Lucky Sidia, qui a semble-t-il reçu une balle dans l’estomac et a été tué sur le coup. Au moins douze personnes sont mortes brûlées vives, parmi lesquelles une femme de 105 ans, Balasanyum Omieh, et un enfant de deux ans, Inikio Omieye, qui aurait été jeté dans le feu par des membres des forces de sécurité. On ignore le nombre exact de blessés.
Amnesty International a aussi reçu des informations faisant état d’au moins deux viols de femmes par des membres des forces de sécurité ; l’une de ces femmes a raconté que deux soldats l’avaient traînée par terre avant de la violer dans l’école secondaire.
Certains responsables locaux auraient été sauvagement molestés pendant cette attaque. Des témoins ont raconté avec horreur comment les forces de sécurité, arrivant dans des bateaux militaires, avaient mis le feu à toutes les maisons situées au bord de l’eau. Selon des témoignages, certains habitants ont tenté de fuir en traversant le fleuve en pirogue, mais des pirogues se sont renversées et une dizaine de personnes, principalement des femmes et des enfants, se seraient noyées. D’autres habitants se sont aussi noyés en essayant de traverser le fleuve à pied. Un nombre non précisé de personnes ayant tenté de fuir sont portées disparues. Jusqu’à une centaine de femmes et d’enfants déplacés vivent actuellement sur l’Île St-Nicholas, qu’ils ont atteinte après plusieurs jours de marche à travers la brousse et les nombreux fleuves et ruisseaux de la région. Ils n’ont aucune idée de ce que sont devenus leurs maris et leurs pères.
Les forces de sécurité n’ont pas nié avoir causé la mort de plusieurs personnes dans le cadre de cette opération au cours de laquelle elles étaient censées protéger et sauver des vies. Le 24 février, le gouverneur de l’État de Bayelsa, Diepreye Alamieyeseigha, aurait justifié le déploiement des forces de sécurité par des tensions intercommunautaires croissantes et par la nécessité de débarrasser la ville des « criminels ». Toutefois, après s’être rendu sur place le 27 février, il se serait déclaré gravement préoccupé par l’état de dévastation de la ville. Plus d’une centaine de membres des forces de sécurité sont toujours présents sur place, contribuant à maintenir un climat de peur et d’insécurité.
Le 27 février, Diepreye Alamieyeseigha a annoncé son intention de mettre en place une commission d’enquête judiciaire sur cette affaire. Amnesty International se félicite de cette décision, mais exhorte le gouvernement de l’État à :
• veiller à ce que cette commission d’enquête puisse, pleinement et sans obstacles, accéder à toutes les informations nécessaires et interroger toutes les personnes concernées - y compris les membres et les commandants de la force d’intervention conjointe ;
• rendre publiques les conclusions de l’enquête sur les événements du 19 février, et notamment déterminer le nombre et l’identité des personnes tuées ;
• traduire en justice tous les responsables d’atteintes aux droits humains, qu’il s’agisse de commandants militaires ou de civils soupçonnés d’appartenir à la force d’intervention conjointe, dans le cadre de procédures conformes aux normes internationales d’équité ;
• veiller à ce que les victimes et leurs familles reçoivent pleinement réparation.
Par ailleurs, le gouvernement fédéral a la responsabilité de restaurer l’ordre public dans la région, de mettre un terme aux homicides de civils et de traduire les auteurs de ces actes en justice.
Amnesty International demande instamment au gouvernement de veiller à ce que les forces de sécurité respectent strictement les droits humains fondamentaux, notamment les dispositions du Code de conduite des Nations Unies pour les responsables de l’application des lois et des Principes de base des Nations Unies sur le recours à la force et l’utilisation des armes à feu par les responsables de l’application des lois. Le principe 4 de ce dernier instrument dispose que les responsables de l’application des lois doivent avoir recours, autant que possible, à des moyens non violents avant de faire usage de la force ou d’armes à feu. Selon le principe 5, ils ne doivent utiliser les armes à feu que si c’est inévitable, et avec modération.

Contexte
Des centaines de personnes auraient été tuées en 2004 dans les États du Delta, de Bayelsa et de Rivers. Ces homicides ont été commis dans le cadre de violences intercommunautaires et intracommunautaires, ainsi que de violences entre groupes criminels rivaux. Des informations ont aussi fait état d’usage abusif de la force par des membres des forces de sécurité ou des responsables de l’application des lois dans le cadre d’opérations destinées à « débarrasser la région des criminels », ainsi que souvent lors de missions de contrôle des manifestations.
Cette violence intervient dans un contexte de violations des droits économiques, sociaux et culturels de la population, qui entraînent une frustration et des tensions croissantes au sein des différents groupes de population et entre ces groupes, ainsi que des conflits en matière d’accès à la terre et aux ressources dans le delta du Niger - principale région pétrolifère du pays. Dans certains cas, la violence est aussi provoquée par le sentiment que les compagnies pétrolières internationales ne respectent pas leurs protocoles d’accord, ou par l’attribution des contrats par ces compagnies. La situation est exacerbée par la facilité avec laquelle on peut se procurer des armes à feu dans la région. Les employés et les biens des compagnies pétrolières, par exemple les oléoducs, sont aussi souvent la cible d’attaques et de sabotages.
La conduite déplorable des forces de sécurité s’est manifestée à plusieurs reprises, par exemple à Odi, dans l’État de Bayelsa, en 1999, et à Zaki-Biam, dans l’État de Benue, en 2001, où, appelées pour des affrontements, elles ont recouru abusivement à la force et se sont rendues coupables d’homicides illégaux. Amnesty International est préoccupée par le fait que les violations des droits humains impliquant les forces de sécurité nigérianes sont souvent suivies d’une impunité totale pour leurs auteurs.

Toutes les infos
Toutes les actions
2024 - Amnesty International Belgique N° BCE 0418 308 144 - Crédits - Charte vie privée
Made by Spade + Nursit