Index AI : AFR 44/018/2005
Deux ans après la fuite en exil au Nigéria de l’ancien président du Libéria, Charles Taylor, le président nigérian Olusegun Obasanjo ne doit plus permettre à Charles Taylor d’échapper encore aux poursuites pour les crimes de guerre et crimes contre l’humanité perpétrés au cours de la guerre civile en Sierra Leone, ont déclaré ce jeudi 11 août les organisations membres de la Campagne contre l’impunité. Le Nigéria doit immédiatement remettre Charles Taylor au Tribunal spécial pour la Sierra Leone afin qu’il soit jugé.
La Campagne contre l’impunité, qui comprend quelque 300 groupes africains et internationaux de la société civile, a été mise en place pour veiller à ce que le Nigéria remette Charles Taylor au Tribunal spécial pour la Sierra Leone. Dix-sept chefs d’accusation pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité contre la population de Sierra Leone pèsent contre Charles Taylor. Parmi ces crimes, on peut citer les homicides, mutilations, viols et autres formes de violence sexuelle, l’esclavage sexuel, le recrutement et l’enrôlement d’enfants soldats, les enlèvements et le recours au travail forcé par des groupes d’opposition armés sierra-léonais.
En dépit d’une montée de la pression internationale des pays africains, des Nations unies, de l’Union européenne et des Etats-Unis, le Nigéria continue de résister et refuse de remettre Charles Taylor, pourtant inculpé de crimes de guerre, au Tribunal spécial pour la Sierra Leone. Très récemment, le 28 juillet, l’Union du fleuve Mano, qui comprend la Sierra Leone, le Libéria et la Guinée, a publié un communiqué demandant à ce que soit revue l’autorisation de séjour temporaire accordée à Charles Taylor au Nigéria.
« Le Nigéria va à contre-courant de la justice internationale, a déclaré Shina Loremikan, directrice du Comité nigérian de défense des droits humains, organisation nigériane membre de la Campagne contre l’impunité. La communauté internationale s’accorde à dire que Charles Taylor doit être remis au Tribunal spécial pour la Sierra Leone pour y être jugé. Il est grand temps que le président Obasanjo fasse ce qu’il est juste de faire et remette Charles Taylor à la justice pour les crimes dont on l’accuse. »
La Campagne contre l’impunité a souligné que le procès de Charles Taylor devait respecter le droit international et les normes d’équité des procès et reconnaître notamment à l’accusé le droit d’être présumé innocent jusqu’à ce que sa culpabilité ait été établie au-delà de tout doute raisonnable.
Remettre Charles Taylor au Tribunal spécial est essentiel non seulement pour s’assurer que justice a été rendue pour les crimes commis au cours du conflit en Sierra Leone, mais également pour assurer la stabilité en Afrique de l’Ouest, selon la Campagne contre l’impunité. Des rapports concordants font état de l’ingérence de Charles Taylor dans la politique du Libéria, en dépit des termes de l’accord passé au moment de sa demande d’asile lui interdisant toute intervention.
Le secrétaire général des Nations unies Kofi Annan et, plus récemment, l’Union du fleuve Mano ont exprimé leur inquiétude face au potentiel de Charles Taylor à fomenter des troubles et créer l’instabilité dans la région. Le communiqué du 28 juillet publié par l’Union du fleuve Mano faisait état d’allégations portant sur l’implication de Charles Taylor dans une attaque contre le président guinéen , un rassemblement d’hommes armés dans les forêts du Libéria et plusieurs appels téléphoniques passés à des responsables libériens. Dans son rapport du 7 juin sur le Libéria, le secrétaire général des Nations unies, Kofi Annan, déclarait que Charles Taylor serait en contact régulier avec d’anciens associés d’affaires ainsi que des militaires et des politiques au Libéria et qu’il est soupçonné de soutenir des candidats à l’élection présidentielle du Libéria en octobre prochain.
« En ce deuxième anniversaire de la fuite de Charles Taylor au Nigéria, son impunité permanente affaiblit les règles du droit en Afrique de l’Ouest et met en danger les civils de cette région, » a déclaré Richard Dicker, directeur du programme Justice internationale auprès de l’organisation Human Rights Watch., qui fait partie de la campagne.
« Les dirigeants africains doivent à leurs peuples de collaborer énergiquement, avec le président Obasanjo, pour faire en sorte que Charles Taylor passe très rapidement en jugement », a déclaré Kolawole Olaniyan, directeur du programme Afrique d’Amnesty International, également partie prenante à la campagne.
Le premier appel public en faveur de la remise de Charles Taylor au Tribunal spécial pour la Sierra Leone est venu du Parlement européen en février de cette année, sous forme d’une résolution. Plus tard en mai, la Chambre des représentants et le Sénat américain ont voté des résolutions identiques. Lors d’une visite en Afrique de l’Ouest le mois dernier, la Haut-Commissaire aux droits de l’homme des Nations unies, Louise Arbour, a demandé à ce que Charles Taylor comparaisse devant le Tribunal spécial pour la Sierra Leone et a lancé un appel aux présidents africains pour qu’ils demandent instamment au président Obasanjo de livrer Charles Taylor.
La Campagne a appelé les membres de la Communauté de développement de l’Afrique australe à suivre l’exemple de l’Union du fleuve Mano et à insister sur la nécessité de remettre Charles Taylor au Tribunal spécial. La Communauté de développement de l’Afrique australe doit tenir son sommet annuel à Gaborone, au Botswana, dans les jours qui viennent.
« Le moment est maintenant venu de livrer Charles Taylor au Tribunal spécial, a déclaré Paul James Allen, militant sierra-léonais des droits humains impliqué dans la campagne. L’inculpation de Charles Taylor pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité doit être honorée. Les victimes de Sierra Leone qui ont subi de graves crimes de droit international ne doivent pas attendre plus longtemps. »
Les organisations partenaires de la Campagne contre l’impunité ont organisé un certain nombre de manifestations au Nigéria et ailleurs en Afrique ce jeudi 11 août ; il y a eu notamment des prières œcuméniques à Lagos et Calabar (la ville où réside actuellement Charles Taylor) pour marquer le deuxième anniversaire de l’arrivée au Nigéria de Charles Taylor auquel a été lancé un appel à se rendre.