Depuis longtemps, les autorités nigérianes utilisent les disparitions forcées pour faire taire les critiques et insinuer la peur au sein de la population civile qui se trouve doublement menacée par des groupes armés, dont Boko Haram, et les opérations militaires visant ceux-ci.
« De très nombreuses familles cherchent encore des proches dont elles sont sans nouvelles depuis des années. Certaines ignorent même si la personne disparue est toujours en vie. Il est temps que l’État fasse ce qu’il faut.
« Il doit libérer les détenus concernés ou bien les inculper d’une infraction dûment reconnue par la loi avant de les soumettre à un procès équitable excluant tout recours à la peine de mort », a déclaré Osai Ojigho, directrice d’Amnesty International Nigeria.
Certaines personnes sont détenues au secret depuis neuf ans, voire plus, et privées de tout contact avec leur famille ou un avocat. D’autres ont obtenu une décision de justice ordonnant leur libération, que les services de sécurité s’obstinent à ne pas appliquer.
Cela a notamment été le cas du journaliste Jones Abiri, qui a été détenu à la Direction des services secrets (DSS) pendant deux ans sans voir sa famille ni son avocat.
« Au début, les autorités ont nié le détenir ; elles ont fini par le libérer sous la pression d’organisations de la société civile. Il est inacceptable que de nombreuses familles subissent les mêmes tourments que celle de Jones Abiri », a déclaré Osai Ojigho.
Des centaines de personnes soupçonnées d’appartenir ou d’être associées à Boko Haram et/ou à des groupes affiliés, à savoir les agitateurs du delta du Niger ou les militants pro-Biafra présents dans le sud-est du pays, ont été arrêtées arbitrairement et détenues illégalement par la DSS ces dernières années.
« Les nouveaux dirigeants de la DSS ont commencé à libérer des détenus mais les autorités doivent veiller à ce que les centaines d’autres soient rapidement libérés ou inculpés », a déclaré Osai Ojigho.
Selon les chiffres avancés par le Mouvement islamique du Nigeria (MIN), on ignore où se trouvent au moins 600 de ses membres ou ce qu’il est advenu d’eux depuis les affrontements avec l’armée qui ont eu lieu en décembre 2015 à Zaria (État de Kaduna). Plus de 350 personnes auraient été tuées illégalement par l’armée lors de ces violences.
Plusieurs familles de victimes ont fait part à Amnesty International de leur angoisse et de leur profond désir de justice.
Dans les zones du nord-est où sévit Boko Haram, des milliers de détenus ont été victimes de disparition forcée et ainsi soustraits à la protection de la loi. Les familles sont laissées sans nouvelles de leurs proches.
« Nous appelons l’État nigérian à faire cesser de toute urgence les arrestations illégales et les détentions au secret. Les disparitions forcées sont un instrument d’intimidation qui constitue une violation manifeste des droits humains. Cette pratique est inacceptable et ne doit pas perdurer », a déclaré Osai Ojigho.
Les autorités nigérianes doivent veiller à ce que les victimes et leurs familles puissent connaître la vérité et recevoir des réparations pleines et entières pour le préjudice subi.
Complément d’information
Les disparitions forcées sont le fait d’agents de l’État ou de personnes agissant pour leur compte. L’arrestation ou l’enlèvement est suivi du refus de reconnaître que la personne concernée est détenue, outre la dissimulation délibérée de l’endroit où elle se trouve et de ce qu’il est advenu d’elle ; celle-ci est ainsi soustraite à la protection de la loi.
Les disparitions correspondent en général au même schéma : après leur arrestation, les victimes ne sont pratiquement jamais déférées à un tribunal et il n’y a pratiquement jamais de trace de leur « infraction » ni de leur détention. Une fois qu’elles sont loin des regards, les victimes de disparition forcée risquent la torture et d’autres formes de mauvais traitements, voire la mort.