« Il semble que le gouvernement du Nigeria a fourni au Bureau du procureur des “informations complémentaires” dans l’espoir de retarder l’enquête inévitable. Des éléments de plus en plus nombreux laissent penser que les autorités nigérianes ne sont volontairement pas en mesure de traduire en justice les responsables présumés. Il est grand temps que le Bureau du procureur mène une enquête sur les crimes commis par Boko Haram et par l’armée du Nigeria », a déclaré Netsanet Belay, directeur du travail de plaidoyer et de recherche à Amnesty International.
« Le retard est devenu beaucoup trop long et le Bureau du procureur doit faire ce qu’il faut pour les victimes de ces crimes horribles qui attendent d’obtenir justice depuis plus de dix ans. La CPI doit ouvrir immédiatement une enquête sur les atrocités commises dans le Nord-Est du Nigeria. »
Complément d’information
Depuis le début du conflit, le groupe armé connu sous le nom de Boko Haram et les forces de sécurité nigérianes ont commis de graves violations du droit international humanitaire et relatif aux droits humains. Boko Haram a tué des milliers de civils et enlevé plusieurs milliers de femmes, de filles et de garçons, bien souvent soumises à des mariages forcés et réduites en esclavage sexuel pour les unes, ou enrôlés de force comme enfants soldats pour les autres. Parallèlement, les forces de sécurité nigérianes ont procédé à des exécutions extrajudiciaires, des arrestations et détentions arbitraires en masse, perpétré des actes de torture et d’autres mauvais traitements qui ont fait des milliers de morts en détention, soumis des personnes à des disparitions forcées et commis d’autres crimes dont des viols et autres violences sexuelles.
Le Bureau du procureur de la CPI mène un examen préliminaire de la situation au Nigeria depuis 2010. Mardi 15 octobre, il a publié un communiqué de presse à l’issue de la quatrième mission de la procureure Fatou Bensouda au Nigeria, indiquant que celle-ci s’est « réjouie de la communication par lesdites autorités d’informations complémentaires sur les procédures engagées à l’échelle nationale dans l’optique de faciliter le travail d’analyse et d’évaluation mené à l’heure actuelle par son Bureau au sujet des critères en vigueur prévus par le Statut de Rome ». Vraisemblablement, le Bureau du procureur n’a pas encore déterminé s’il va ouvrir ou non une enquête sur la situation au Nigeria, près de dix ans après le lancement de l’examen préliminaire.
En décembre 2018, Amnesty International a publié son rapport intitulé Willingly Unable : ICC Preliminary Examination And Nigeria’s Failure To Address Impunity For International Crimes, dans lequel l’organisation évaluait de façon critique l’examen préliminaire du Bureau du procureur de la CPI au Nigeria, ainsi que la capacité et la volonté du gouvernement nigérian à garantir le respect de l’obligation de rendre des comptes pour les crimes commis par Boko Haram et par les forces de sécurité nigérianes. Notre analyse a montré que les enquêtes menées au niveau national sur les allégations concernant des crimes commis par l’armée nigériane n’avaient jamais réellement pour objectif d’aboutir à des poursuites pénales.
Elle a également révélé que les enquêtes et les poursuites concernant des crimes commis par Boko Haram étaient rares et que les « procès collectifs de suspects de Boko Haram » ayant eu lieu dans l’État du Niger constituaient des simulacres de procédures visant à dissimuler l’incapacité des autorités nigérianes à amener les dirigeants de Boko Haram à rendre des comptes. Sur la base de ses recherches et de son analyse, Amnesty International a appelé le Bureau du procureur à demander l’ouverture d’une enquête de la CPI au Nigeria. Presque un an après ce rapport, aucune avancée n’a eu lieu dans la moindre procédure au niveau national.