L’incapacité des autorités nigérianes à protéger des vies a conduit à une intensification croissante de la violence collective ces dix dernières années, les citoyens se faisant de plus en plus souvent justice eux-mêmes et appliquant une prétendue « justice de la jungle ».
Le rapport intitulé Instantly Killed : How Law Enforcement failures exacerbate wave of mob violence in Nigeria montre que des victimes accusées de vol, de blasphème, de vol à l’étalage et de sorcellerie sont rouées de coups, torturées et tuées en toute impunité, tandis que les auteurs présumés échappent presque toujours à la justice.
Entre janvier 2012 et août 2023, Amnesty International a recensé au moins 555 victimes de violences collectives, dans le cadre de 363 cas enregistrés à travers le pays. Au cours de cette période, 57 personnes ont été tuées par des foules violentes, 32 ont été brûlées vives, deux ont été enterrées vivantes et 23 ont été torturées à mort.
« La menace de la violence collective est peut-être l’un des plus grands dangers qui pèsent sur le droit à la vie au Nigeria. Le fait que ces homicides se produisent de longue date et que rares sont les affaires qui font l’objet d’enquêtes et de poursuites met en évidence le manquement choquant des autorités à leur obligation de respecter et de remplir leur obligation de protéger les personnes contre les préjudices et la violence », a déclaré Isa Sanusi, directeur d’Amnesty International Nigeria.
« L’incapacité des organes chargés de l’application de la loi, en particulier des forces de police du Nigeria, à prévenir les violences collectives, à enquêter sur les allégations de torture et d’homicide, et à traduire en justice les auteurs présumés de ces actes, donne aux foules le pouvoir de tuer. Le problème est exacerbé par la faiblesse et la corruption des institutions et des systèmes judiciaires. »
Des personnes souffrant de troubles mentaux et de handicaps psychosociaux sont régulièrement la cible de foules violentes
Les conclusions des recherches effectuées par Amnesty International décrivent des cas de victimes de violences collectives, parmi lesquelles au moins 13 femmes, six enfants et deux personnes souffrant de troubles mentaux réels ou supposés et/ou de handicaps psychosociaux ou intellectuels. Des cas de violence collective ont été recensés dans chacune des six zones géopolitiques du Nigeria : Sud-Sud (82), Sud-Est (43), Sud-Ouest (98), Centre-Nord (42), Nord-Ouest (100) et Nord-Est (26).
Dans le sud du Nigeria, les violences collectives visent principalement des personnes accusées de vol, de participation à des rituels ou de pratique de la sorcellerie. Dans le nord, elles sont surtout utilisées contre des personnes accusées de blasphème, et souvent approuvées par des responsables religieux.
Des personnes souffrant de troubles mentaux et de handicaps psychosociaux sont régulièrement la cible de foules violentes qui utilisent leur handicap pour porter de fausses accusations contre les victimes et justifier leur lynchage.
« Il est consternant de constater que la violence collective devient progressivement la norme et qu’elle est souvent perpétrée dans des lieux très fréquentés, tels que des parkings, des marchés et des routes très passantes. Les victimes sont toujours torturées, notamment rouées de coups, lapidées ou frappées à l’aide d’armes improvisées telles que des bâtons et des tiges métalliques », a déclaré Isa Sanusi.
De nombreuses victimes de violences collectives ont été ciblées en raison de leur statut social, de leur identité en tant que membres de groupes religieux ou d’autres groupes minoritaires. Parmi les autres motifs figurent des tentatives de restreindre le droit à la liberté d’expression et le droit de ne pas subir de discrimination fondée sur le genre ou sur des conditions spécifiques, notamment à l’égard de femmes, d’enfants et de personnes souffrant de handicaps psychosociaux.
Meurtres liés au blasphème dans le nord du Nigeria
Le fait que des responsables religieux semblent encourager le meurtre face au blasphème crée un environnement dans lequel les foules se sentent autorisées à faire justice elles-mêmes. Dans le même temps, les responsables gouvernementaux condamnent rarement publiquement les violences commises par des foules pour blasphème.
Deborah Samuel Yakubu, étudiante au Shehu Shagari College of Education de Sokoto, a été tuée le 12 mai 2022. Une vidéo terrifiante la montrant en train d’être lapidée et brûlée vive a été largement diffusée sur les réseaux sociaux. La police est arrivée sur les lieux alors que la jeune femme était déjà morte. Les personnes arrêtées après les faits ont été libérées et n’ont jamais été traduites en justice.
Le 4 juin 2022, Ahmad Usman (également connu sous le nom de Musa) a été accusé de blasphème. Il a été lynché par une foule au dépôt de camions bennes du district de Lugbe, à Abuja.
Le 25 juin 2023, Usman Buda, un boucher de Sokoto, a été tué par une foule pour blasphème présumé. Amnesty International a constaté que l’argument religieux qui a conduit à son lynchage était un piège, tendu en raison de rancœurs personnelles concernant des ventes au marché.
Malgré les nombreux cas de femmes victimes de violences collectives du fait d’allégations de sorcellerie, les autorités nigérianes n’ont pas mené dans les meilleurs délais d’enquêtes approfondies et efficaces sur ces allégations, et n’ont pas mis en place de mesures de protection, en particulier dans les zones rurales, où des femmes sont prises pour cible, dans de nombreux cas, dans le cadre de règlements de comptes personnels ou interfamiliaux.
Le 27 août 2022, Martina Okey Itagbor a été accusée d’avoir causé la mort de deux jeunes hommes, décédés dans un accident de la route. Elle a été accusée de sorcellerie, raison de l’accident selon la foule présente. Cette foule s’est rassemblée autour de Martina Okey et l’a interrogée. Le groupe a ensuite ramassé des pierres et d’autres objets susceptibles d’infliger des blessures, et a torturé cette femme avant de la brûler vive au bord de la route.
Absence de protection de la part des autorités
Les autorités nigérianes ne protègent pas les droits fondamentaux des victimes et de leurs proches. Elles ne garantissent pas aux victimes l’accès à la justice et à des voies de recours efficaces.
« Les autorités nigérianes doivent s’attaquer de toute urgence à l’escalade des violences collectives, notamment en faisant respecter et en protégeant le droit à la vie et le droit de ne pas être soumis à la torture.
« Le gouvernement doit veiller à ce que les cas de violence collective fassent l’objet d’enquêtes approfondies, impartiales, indépendantes, transparentes et efficaces dans les meilleurs délais, et à ce que les personnes soupçonnées d’en être responsables soient traduites en justice dans le cadre de procès équitables. Les autorités doivent également prendre des mesures appropriées et efficaces pour prévenir les cas de violence collective dans tout le pays et garantir aux victimes l’accès à la justice et à des recours utiles. La police doit être équipée de manière adéquate pour répondre aux violences collectives », a déclaré Isa Sanusi.