Communiqué de presse

Nigeria. L’état d’urgence ne doit pas se traduire par une augmentation des atteintes aux droits humains

Les autorités nigérianes ne doivent pas profiter de l’état d’urgence en vigueur dans le nord du pays pour commettre des violations des droits humains, a déclaré Amnesty International jeudi 23 mai 2013, tandis que l’armée poursuivait son offensive contre le groupe islamiste armé Boko Haram.

Plusieurs personnes auraient été tuées et des centaines d’autres arrêtées depuis l’instauration de l’état d’urgence dans les états d’Adamawa, de Borno et de Yobe, dans le nord du Nigeria, le 14 mai 2013. L’armée affirme que les personnes qu’elle prend pour cible sont des membres présumés de Boko Haram.

Selon une déclaration publiée le 21 mai par le Comité international de la Croix-Rouge, quelque 2 400 personnes ont fui la région pour aller se réfugier au Niger voisin.

« Les problèmes de sécurité dans le pays et l’état d’urgence ne donnent pas carte blanche aux militaires », a déclaré Lucy Freeman, directrice adjointe du programme Afrique d’Amnesty International.

« Il incombe à l’État de prouver qu’il n’utilise pas l’état d’urgence comme prétexte pour bafouer les droits humains. »

Au cours de ces trois dernières années, Amnesty International a recensé de graves violations des droits humains commises par les forces de sécurité en réaction aux exactions de Boko Haram, notamment des exécutions extrajudiciaires, des disparitions forcées, des incendies volontaires d’habitations choisies au hasard, et des placements en détention arbitraire.

Ces dernières semaines, des habitants de l’État de Borno ont signalé à Amnesty International que les vagues d’arrestations s’étaient multipliées dans la capitale de l’État, Maiduguri.

Les détenus continuent d’être privés de toute possibilité de communiquer avec leurs avocats et leurs familles, et ne sont ni inculpés, ni présentés à un tribunal. Beaucoup ont passé plus d’un an en détention militaire sans jugement ni inculpation, tandis que d’autres ont tout simplement disparu.

Des véhicules militaires convoient des cadavres presque quotidiennement vers les morgues de la ville. Le gouvernement ne semble pas mener d’enquêtes sur ces décès, et ne fournit aucune information sur les personnes décédées et déposées à la morgue.

« Le gouvernement doit diligenter immédiatement des enquêtes approfondies et efficaces sur les nombreux décès et disparitions survenus récemment dans l’État de Borno, et se pencher notamment de près sur les raisons pour lesquelles des cadavres se retrouvent à l’arrière de véhicules militaires », a affirmé Lucy Freeman.

De nombreux habitants de la ville ont fui, laissant derrière eux des quartiers qui deviennent petit à petit des « villes fantômes ». Les écoles publiques ont fermé car les parents ont trop peur pour envoyer leurs enfants à l’école.

Un couvre-feu a été instauré du crépuscule à l’aube dans certaines zones, ce qui, selon le conseiller spécial du président en charge des affaires intérieures, doit permettre de fouiller plus facilement les habitations.

Or, ces deux dernières années, Amnesty International a reçu de nombreux témoignages concordants indiquant que des habitants avaient été abattus devant chez eux par des soldats lors d’opérations menées dans cette zone, notamment à l’occasion de perquisitions dans les maisons.

« Compte tenu des violations des droits humains commises régulièrement par les forces de sécurité lors d’opérations de perquisition dans les habitations, il est extrêmement préoccupant que ces opérations soient renforcées », a souligné Lucy Freeman.

« Il semble que les forces de sécurité aient utilisé à maintes reprises des armes à feu contre des personnes qui ne représentaient pas une menace imminente de mort ni de blessure grave. »

Le conseiller spécial du président a ajouté que, avec le couvre-feu, seuls les « fauteurs de troubles et ceux qui cherchent l’affrontement avec les soldats » oseraient sortir, et que l’on pourrait ainsi « s’en occuper sans autre forme de procès ».

« Le conseiller spécial semble suggérer aux soldats de tirer à vue sur toute personne qui violerait le couvre-feu », s’est indignée Lucy Freeman.

« Quelle que soit la gravité de la situation, un État ne doit jamais déroger au principe fondamental de la présomption d’innocence. »

Le gouvernement nigérian a rarement enquêté sur les allégations de violations des droits humains aux mains des forces de sécurité.

« Le président Goodluck Jonathan doit donner l’ordre aux militaires de respecter les droits humains et l’état de droit. L’armée n’est pas au-dessus des lois », a ajouté Lucy Freeman.

« Le gouvernement a l’obligation assurer la sécurité de tous les Nigérians, non seulement en faisant face aux attaques de Boko Haram, mais aussi en veillant à ce que les forces de sécurité de l’État – celles-là mêmes qui sont censées apporter cette protection – cessent de commettre des violations des droits humains.

Complément d’information

En vertu du droit international, quelle que soit la gravité de la situation, un État ne peut pas déroger à certains droits fondamentaux ; il doit notamment respecter l’interdiction de priver quelqu’un arbitrairement de la vie, la prohibition de la torture et des autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, l’interdiction de la privation arbitraire de liberté, y compris de la détention au secret, et le droit de contester la légalité de sa détention devant un tribunal.

Dans les situations de conflit armé, c’est le droit international humanitaire qui s’applique ; celui-ci interdit notamment les attaques aveugles et disproportionnées, ainsi que les attaques visant des civils.

La Charte africaine des droits de l’homme et des peuples – applicable dans les tribunaux nigérians – n’autorise aucune dérogation à ses dispositions, y compris celles qui garantissent un procès équitable, quelles que soient les circonstances.

De même, la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées, à laquelle le Nigeria est partie, dispose qu’aucune circonstance exceptionnelle, quelle qu’elle soit, qu’il s’agisse de l’état de guerre ou de menace de guerre, d’instabilité politique intérieure ou de tout autre état d’exception, ne peut être invoquée pour justifier la disparition forcée ; elle interdit également la pratique de la détention secrète.

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