Communiqué de presse

Nigeria. Les personnes laissées dans le dénuement par une expulsion forcée doivent être suffisamment indemnisées

La Banque mondiale a approuvé un programme d’indemnisation inadapté proposé par le gouvernement de l’État de Lagos à des milliers de personnes expulsées de force d’un quartier informel, écrit Amnesty International dans un rapport rendu public mardi 19 août.

Ce rapport, intitulé At the mercy of the government, estime que les résidents de Badia-Est dont le logement a été démoli par des bulldozers le 23 février 2013 n’ont pas été suffisamment indemnisés par le gouvernement pour les pertes subies, et que la Banque mondiale a soutenu à tort un processus d’indemnisation qui n’est pas conforme aux normes internationales en matière de droits humains ni à sa propre politique.

« Il est scandaleux que cette population, laissée dans le dénuement par les agissements du gouvernement de l’État de Lagos, se voie privée d’un recours effectif par ce même gouvernement, et que la Banque mondiale ait été complice de ces actes  », a déclaré Audrey Gaughran, directrice du programme Thématiques mondiales à Amnesty International.

« La démolition de centaines de maisons et de commerces a détruit des moyens de subsistance et fait des milliers de sans-abri. Le fait qu’aucun recours effectif ne leur ait été fourni par la suite n’a fait qu’aggraver la situation des victimes, en les enfonçant encore plus profondément dans la pauvreté.  »

Le quartier informel de Badia-Est, dans l’État de Lagos, a été choisi comme bénéficiaire d’un projet financé par la Banque mondiale ayant pour objectif le développement de l’accès à des services de base tels que le tout-à-l’égout, par le biais d’investissements dans les infrastructures. Cependant, la démolition d’au moins 266 structures qui servaient de logements et de commerces a eu lieu sans véritable consultation ni délai suffisant ou raisonnable, et sans qu’aucun recours ne soit proposé pour les pertes occasionnées.

Face aux pressions croissantes, le gouvernement de l’État de Lagos, en collaboration avec la Banque mondiale, a accepté d’élaborer et de mettre en œuvre un Plan d’action en faveur de la réinstallation des résidents de Badia-Est, qui soit conforme à la politique de réinstallation de la Banque mondiale. La teneur du plan d’action et sa procédure d’élaboration ont cependant été contraires aux normes internationales en matière de droits humains et à la politique de la Banque mondiale.

Le plan d’action n’a pas :

• € € € €proposé de solution de relogement ou de réinstallation convenable sur d’autres sites ;
• € € € €veillé à ce que les personnes concernées se voient offrir le soutien requis pour rétablir leurs moyens de subsistance et leur niveau de vie ;
• € € € €prévu une indemnisation suffisante pour les personnes touchées. Au lieu de cela, une « aide financière » d’un montant déterminé unilatéralement par le gouvernement et considéré comme insuffisant par ces personnes a été proposée. Par ailleurs, le gouvernement de l’État de Lagos est revenu sur un accord conclu entre une commission qu’il avait établie et les représentants de la population concernant cette indemnisation. La Banque mondiale le savait ;
• € € € €prêté suffisamment attention aux besoins de l’ensemble des groupes défavorisés.

Malgré ces défaillances flagrantes, le plan d’action en faveur de la réinstallation a été approuvé par la Banque mondiale. La Banque mondiale a par ailleurs enfreint sa propre ligne de conduite en s’abstenant de révéler une version préliminaire du plan d’action avant accord, exacerbant ainsi les difficultés auxquelles étaient confrontées les personnes concernées en participant au processus.

Bien que plusieurs des personnes touchées aient demandé au Panel d’inspection de la Banque mondiale - un organe censé être indépendant de la direction de la Banque - d’effectuer une évaluation approfondie du cas, cela a été refusé et le Panel a lui aussi soutenu le plan d’action.

« Le Plan d’action en faveur de la réinstallation - et son processus d’élaboration - n’ont pas respecté les normes en matière de droits humains et n’ont pas permis de réduire le terrible impact des expulsions forcées subies par la population de Badia-Est, qui est déjà vulnérable  », a déclaré Audrey Gaughran.

« Il est impératif que le gouvernement de l’État de Lagos agisse immédiatement afin que toutes les personnes expulsées de force de Badia-Est soient pleinement indemnisées pour les pertes subies et, que celles qui ne peuvent retrouver de logement aient accès à des solutions de relogement. »

« La Banque mondiale doit de nouveau collaborer avec le gouvernement de l’État de Lagos sur ce cas, afin de remplir son obligation de diligence à l’égard des personnes qui ont été affectées par son incapacité à respecter et faire respecter les normes en matière de droits humains et sa propre ligne de conduite. »

« Le gouvernement nigérian doit en outre imposer un moratoire sur les expulsions de masse le temps d’adopter des lois permettant de protéger les citoyens des expulsions forcées, qui sont illégales aux termes du droit international. »

Complément d’information

Le 23 février 2013, des milliers de résidents de Badia-Est, dans l’État de Lagos, se sont retrouvés sans domicile lorsque les autorités de l’État, soutenues par la police, ont démoli logements et commerces dans cette zone.

À Badia-Est, aucune des garanties juridiques et de procédure prévues par le droit et les normes internationaux relatifs aux droits humains en ce qui concerne les expulsions n’a été observée. Il n’y a pas eu de véritable consultation auprès des personnes affectées afin de trouver des solutions permettant d’éviter les expulsions. Le gouvernement a manqué à son devoir consistant à donner un délai acceptable avant toute expulsion, à proposer des recours en justice, et à offrir des solutions de relogement à toutes les personnes qui ne sont pas en mesure de subvenir à leurs besoins ou une indemnisation pour les pertes subies. Les démolitions à Badia-Est constituent une expulsion forcée, ce qui porte atteinte au Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (PIDESC) auquel le Nigeria est partie.

En vertu des normes internationales en matière de droits humains, toute personne, y compris si elle vit dans un quartier informel, a droit à un recours efficace lorsque ses droits sont bafoués.
Le droit à un logement convenable et le droit à la sécurité de la personne et du domicile sont des principes de base du droit en matière de droits humains.

En septembre 2013, le gouvernement de l’État de Lagos a négocié avec des représentants des victimes de l’opération d’expulsion forcée de Badia-Est, dans l’optique d’une indemnisation. La Banque mondiale a suivi l’élaboration du plan d’action pour la réinstallation, dont le gouvernement de l’État s’est chargé.

En novembre 2013, le gouvernement a réduit le montant de l’indemnisation qu’il avait dans un premier temps accepté de payer dans le cadre du plan d’action. En décembre 2013, la population de Badia-Est a accepté cette réduction sous certaines conditions.

Les conditions étaient les suivantes : le gouvernement devrait revoir le programme d’indemnisation à la hausse à l’avenir ; l’ensemble des propriétaires de structures devaient se voir accorder un droit de préemption concernant les projets de logement que le gouvernement compte lancer sur les terrains libérés ; et le plan d’action en faveur de la réinstallation devait être mis en œuvre dès que possible.

Le gouvernement a rejeté les requêtes de la population et les résidents ont eu pour seule solution d’accepter sans condition une indemnisation d’un montant réduit.

Le 30 septembre 2013, trois des personnes concernées, agissant au nom de la population de l’agglomération de Badia, a déposé une demande d’inspection auprès du Panel d’inspection de la Banque mondiale. Le Panel d’inspection est un mécanisme d’enregistrement de plaintes permettant aux personnes estimant qu’elles ont été lésées - ou qu’elles sont susceptibles de l’être - par un projet financé par la Banque mondiale de faire état de leurs préoccupations et d’obtenir un droit de recours. Le 16 juillet 2014, en dépit des failles présentées par le plan d’action en faveur de la réinstallation, le Panel a décidé de ne pas donner suite à leur requête.

Badia-Est est l’une des nombreuses communautés du Nigeria bouleversées par les expulsions forcées de ces dernières années.

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