NIGÉRIA : Le maintien de l’ordre porte gravement atteinte aux droits humains

Index AI : AFR 44/026/02

Dans les trois années qui ont suivi le retour du pouvoir civil au Nigéria, les tentatives des forces de sécurité visant à endiguer la hausse de la criminalité et la multiplication des affrontements entre les communautés se sont soldées par la mort de milliers de personnes. Bien souvent, ces violences semblent avoir été commises dans l’indifférence, voire avec la complicité du gouvernement.

« Au cours des opérations de maintien de l’ordre, la police fédérale et les forces armées se sont rendues régulièrement responsables de nombreuses violations des droits humains, notamment d’exécutions extrajudiciaires et de morts en détention, ainsi que d’actes de torture et autres traitements cruels, inhumains et dégradants envers des suspects », écrit Amnesty International dans un nouveau rapport sur le Nigéria intitulé Security forces in Nigeria : Serving to protect and respect human rights ? [Les forces de sécurité au Nigéria contribuent-elles à la protection et au respect des droits humains ?].

Dans de nombreux cas, la torture dans les cellules des postes de police se solde par la mort. La police attribue généralement ces morts en détention à des tentatives de fuite. Les victimes sont cataloguées comme auteurs de vols à main armée, ce qui les prive de toute forme de sympathie de la part de l’opinion publique et justifie l’inaction des supérieurs au sein de la police, qui ne tentent que rarement d’enquêter sur ces affaires.

Au Nigéria, les exécutions extrajudiciaires perpétrées hors des centres de détention sont fréquemment liées à des opérations des brigades d’intervention spéciales. Leur mission consiste à patrouiller dans les rues et sur les grandes voies de circulation afin de faire obstacle aux vols à main armée, violences et activités illicites de certains membres des forces de police, qui installent notamment des barrages illégaux dans le but d’extorquer des pots-de-vin aux citoyens. Dans un contexte d’inquiétude généralisée face à la délinquance, de graves irrégularités dans l’appareil judiciaire permettent aux policiers de déterminer que des citoyens sont « soupçonnés de vol à main armé ou de meurtre », sans aucun élément de preuve, et d’obtenir qu’ils soient placés en détention pendant des années en attendant d’être jugés.

Les déclarations de certains hauts fonctionnaires semblent cautionner ces violations flagrantes des droits humains. Le 11 mars 2002, au cours d’une visite du quartier général des officiers de commandement de Lagos, Tafa Balogun, nouvel inspecteur général de la police, a ordonné aux policiers nigérians de tirer sans demander l’approbation de leurs supérieurs lorsqu’ils se trouvaient aux prises avec « une situation particulièrement difficile ».

« Les maigres résultats obtenus par la police nigériane dans la lutte contre la criminalité, les allégations constantes de violations des droits fondamentaux commises au cours des opérations de maintien de l’ordre et le sentiment de méfiance que la police inspire aux Nigérians, ont également favorisé la création de groupes d’autodéfense armés, au niveau local comme à celui des États. Ces groupes procèdent couramment à des exécutions sommaires, recourent à des détentions illégales et infligent torture et autres traitements cruels, inhumains ou dégradants à des criminels présumés », a ajouté Amnesty International.

La volonté des autorités fédérales de lancer des opérations de lutte contre la délinquance ou de s’attaquer à la violence des groupes d’autodéfense ne suffirait sans doute pas pour éradiquer ces violences criminelles. Il est également nécessaire que les forces de sécurité entreprennent des réformes de fond, afin d’améliorer leurs résultats, de réduire la corruption dans leurs rangs et de montrer leur ferme engagement en faveur des droits humains dans leurs fonctions d’application des lois.
Les conflits entre les communautés, sans doute la plus grave source d’atteintes aux droits humains dans le pays, ont causé la mort de plus de 5 000 personnes ces trois dernières années et demeurent épineux. À plusieurs reprises, le gouvernement a déployé des soldats pour renforcer l’œuvre de pacification de la police menée dans la plupart de ces conflits. Cependant, par deux fois, l’intervention des soldats a abouti à un usage excessif de la force et à des exécutions extrajudiciaires.
En novembre 1999, à Odi, dans l’État de Bayelsa, les soldats ont exécuté 250 personnes en représailles après que 12 policiers eurent été tués. L’armée a de nouveau tué 200 personnes dans des villages de l’État de Benue entre le 22 et le 24 octobre 2001, pour venger la mort de 19 soldats.

« Le meurtre de policiers et de soldats est un crime grave et les responsables doivent être déférés à la justice. Toutefois, rien ne peut justifier le mépris de la vie humaine dont ont fait preuve les forces armées en ces deux occasions », a précisé l’organisation de défense des droits humains.

À ce jour, les autorités militaires n’ont poursuivi aucun membre de l’armée en relation avec ces homicides. Pire, en mars 2001, le président Obasanjo a déclaré sur une chaîne de télévision locale qu’il n’avait « aucune excuse à présenter » pour la destruction de la ville de Odi par les soldats. « Cette déclaration du président montre clairement l’absence de volonté politique d’engager des poursuites contre ceux qui, dans les forces armées, se sont rendus responsables de ces violations des droits humains. C’est une déclaration dangereuse qui pourrait ouvrir la voie à de nouveaux événements de nature similaire », a déclaré Amnesty International.
L’organisation demande au gouvernement fédéral de veiller à ce que les membres des forces de l’ordre ne recourent pas à la torture et n’infligent pas de traitements cruels, inhumains ni dégradants aux détenus, quelles que soient les circonstances, et à ce qu’ils cessent de procéder à des exécutions extrajudiciaires et de faire un usage excessif de la force meurtrière. Parallèlement, tous les militaires responsables des massacres de Odi et de l’État de Benue doivent être traduits en justice, dans le respect des normes internationales d’équité des procès.

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