Communiqué de presse

Nigeria. Le président doit abroger l’ordonnance de police 237 pour éviter de nouvelles victimes lors des manifestations contre la flambée du prix du carburant

Amnesty International a de nouveau demandé mercredi 11 janvier à la police nigériane de cesser de tirer sur les manifestants après qu’au moins trois d’entre eux eurent été tués et 25 autres blessés au cours des deux derniers jours.

L’organisation exhorte les autorités nigérianes à rendre le règlement de police du Nigeria conforme aux normes internationales pour empêcher qu’il y ait de nouvelles victimes et faire en sorte que les forces de l’ordre utilisent des armes à feu uniquement lorsque cela est absolument nécessaire pour protéger des vies humaines.

Amnesty International a demandé à plusieurs reprises aux autorités d’abroger l’ordonnance de police 237 qui réglemente l’utilisation des armes à feu par les policiers et qui est tellement approximative qu’elle les autorise à tirer sur des manifestants, que ceux-ci menacent ou non des vies humaines.

Il est inacceptable que le règlement enjoigne aux policiers intervenant dans le cadre d’« émeutes » de « repérer » les « meneurs à l’avant du cortège » pour tirer sur eux. La définition qui est donnée d’une émeute est tellement vague que tous les manifestants, même pacifiques, sont en danger. Le texte donne également pour consigne aux policiers de faire feu en visant « les genoux des émeutiers » et leur interdit explicitement de tirer en l’air. Tirer sur quelqu’un peut le tuer, quel que soit l’endroit visé.

Alors que de nouvelles manifestations sont annoncées, le président Goodluck Jonathan doit montrer qu’il est déterminé à protéger la population. Il doit abroger l’ordonnance de police 237 et annoncer immédiatement que le recours à la force meurtrière n’est autorisé que s’il est absolument inévitable pour protéger des vies humaines.

Le président doit aussi nommer une commission indépendante pour enquêter sur tous les cas où la police aurait eu recours à la force contre des manifestants. Les normes internationales prévoient que tout usage de la force ou d’une arme à feu ayant entraîné la mort ou des blessures doit faire l’objet d’une enquête pour vérifier qu’il ne s’agissait pas d’un recours arbitraire ou abusif à la force.

La police doit être dotée de matériel non meurtrier pour faire face adéquatement à toutes les situations de maintien de l’ordre, dont les manifestations, y compris lorsqu’elles deviennent violentes.

Le mouvement de protestation a commencé le 2 janvier, après que le président Goodluck Jonathan a annoncé la suppression des subventions sur le carburant. Cette décision a entraîné une hausse du prix de l’essence, qui est passé de 65 nairas (0,31 euros) à au moins 140 nairas (0,68 euros) le litre. Les coûts de transport ont doublé et d’autres produits de première nécessité devraient voir leur prix augmenter considérablement.

Depuis le 9 janvier, des dizaines de milliers de Nigérians sont en grève dans tout le pays pour protester contre la suppression des subventions sur le carburant et réclamer une bonne gouvernance. Les manifestations se déroulent le plus souvent de manière pacifique mais quelques cas de violence ont été signalés.

Le 10 janvier, à Kaduna, un homme a été grièvement blessé à la tête par un tir de la police. Les autorités de cet État du nord du pays ont alors imposé un couvre-feu de 24 heures, et la police a menacé d’arrêter quiconque manifesterait.

Selon des informations non confirmées, trois personnes auraient été blessées le 10 janvier à Benin City, capitale de l’État d’Edo, lorsque la police a tiré en l’air. Certains des organisateurs des manifestations dans cet État se sont réfugiés dans la clandestinité par crainte pour leur sécurité.

Le 9 janvier, à Kano, au moins une personne a été tuée et 22 autres blessées lorsque la police a tiré à balles réelles sur les manifestants pour tenter de disperser la foule rassemblée près de la résidence du gouverneur. D’après des informations non confirmées, deux autres personnes auraient été tuées. La police a eu recours à la force meurtrière sans effectuer de sommation ; elle a ouvert le feu et fait usage de gaz lacrymogène simultanément. Au moins un passant, qui ne participait pas à la manifestation, a été blessé par balle. Selon des témoins, les manifestants n’étaient pas armés. À la suite de ces événements, les responsables syndicaux de l’État de Kano ont mis un terme aux manifestations et ont demandé aux grévistes de rester chez eux. Les autorités ont instauré un couvre-feu de 18 heures à 8 heures du matin.

Le 9 janvier, au moins cinq personnes ont été atteintes par des coups de feu : d’après les informations recueillies, trois ont été blessées et deux tuées à Lagos. La police a annoncé l’arrestation d’un de ses agents, soupçonné d’avoir tiré sur des manifestants.

Le recours intentionnel à la force meurtrière contre des personnes dans le cadre d’opérations de maintien de l’ordre constitue une violation du droit à la vie, pourtant garanti par la Constitution du Nigeria, le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP) et la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples.

En janvier 2006, le rapporteur spécial des Nations unies sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires a déclaré que l’ordonnance de police 237 donnait aux forces de l’ordre « carte blanche pour tirer et tuer à leur gré ». Il a recommandé de modifier ce texte pour le rendre conforme aux normes internationales. Le gouvernement n’a pas donné suite à cette requête.

Complément d’information

Amnesty International a recensé de nombreux cas de recours excessif et illégal à la force par la police et d’autres forces de sécurité (voir le document intitulé Ils tuent à leur gré. Exécutions extrajudiciaires et autres homicides illégaux commis par la police au Nigeria, index AI : AFR 44/038/2009, http://www.amnesty.org/fr/library/info/AFR44/038/2009).

Chaque année, la police nigériane commet des centaines d’homicides illégaux. Dans la majorité des cas, aucune enquête n’est ouverte et personne n’est puni pour ces crimes. Les familles des victimes n’ont généralement pas la possibilité de s’adresser à la justice ni d’obtenir réparation. Certaines sont même menacées si elles cherchent à obtenir justice.

Nombre d’entre elles ne découvrent jamais exactement ce qui est arrivé à leurs proches. La plupart du temps, les informations données par les policiers ne sont pas remises en question et les plaintes ne sont pas traitées. Les enquêtes sont rares et, lorsqu’elles ont lieu, elles ne sont pas conformes aux normes internationales. La transparence et l’indépendance font défaut aux enquêtes internes de la police.

Le président et les procureurs généraux fédéraux ou des différents États peuvent nommer une commission d’enquête. La commission Justice Goodluck, qui a examiné les exécutions extrajudiciaires dont ont été victimes six jeunes gens en juin 2005 à Apo, dans le Territoire de la capitale fédérale, en est un exemple.

À plusieurs reprises, le gouvernement nigérian a fait part de sa volonté de s’employer à réparer les failles du système pénal, améliorer l’accès à la justice et réformer les forces de police. Malgré les recommandations faites ces dernières années par divers comités de révision au sujet des améliorations à apporter, pratiquement aucune mesure n’a été prise. La révision de la Loi relative à la police (1990) a débuté en 2004 mais le projet est en souffrance depuis octobre 2006. Les lois, règlementations et codes de conduite destinés à protéger les droits humains ne sont tout simplement pas appliqués.

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