Communiqué de presse

Nigeria. Les habitants d’un bidonville s’apprêtent à témoigner contre le gouvernement dans un cas de recours meurtrier aux armes à feu

Mardi 7 janvier, Amnesty International a une nouvelle fois demandé au gouvernement fédéral nigérian de créer une commission indépendante chargée d’enquêter sur l’utilisation d’armes à feu par les forces de sécurité à Bundu (Port Harcourt), à l’heure où les résidents de ce quartier doivent fournir des éléments de preuve contre les autorités devant la justice.

Mercredi 8 février, la cour de justice de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) examinera une plainte déposée contre le gouvernement fédéral et contre celui de l’État de Rivers pour le recours meurtrier à des armes à feu, imputé à des membres des forces de sécurité, contre des résidents du quartier de Bundu, situé au bord de l’eau, et des habitants des alentours, à Port Harcourt (État de Rivers, Nigeria) en octobre 2009.

La plainte a été déposée par 10 résidents de Bundu et des zones voisines, et par le Projet pour les droits socio-économiques et la responsabilité (SERAP), une ONG nigériane.

Amnesty International a soumis un mémoire destiné à éclairer la cour, répertoriant les normes internationales et nationales sur le droit à la vie, le droit à la protection contre les expulsions forcées, et le droit à un recours utile, ainsi que celles relatives au recours à la force et aux armes à feu. Ce mémoire souligne par ailleurs que l’ordonnance de police 237 du Nigeria n’est pas conforme à ces normes, mais permet à la police de faire feu sur des manifestants, qu’ils représentent une menace pour la vie d’autrui ou non.

Le 12 octobre 2009, au moins une personne a été tuée et 12 autres grièvement blessées par balle dans le quartier de Bundu, lorsque des membres des forces de sécurité ont ouvert le feu sur une foule de personnes qui protestaient pacifiquement contre le projet de démolition de leurs habitations. Le nombre total de morts demeure indéterminé et, plus de deux ans plus tard, aucune enquête n’a été menée. En 2010, Amnesty International a attiré l’attention sur ce cas dans un rapport et demandé au gouvernement d’ouvrir une enquête sans délai. Pour plus d’informations, consultez le document d’Amnesty International intitulé Nigeria : Port Harcourt demolitions : Excessive use of force against demonstrators.

Les règlements de la police nigériane ne sont pas conformes aux normes internationales sur le recours à la force et aux armes à feu, qui ont pour objectif d’empêcher toute perte de vie supplémentaire et de permettre à la police d’utiliser des armes à feu uniquement lorsque cela est strictement nécessaire à la protection de la vie. En particulier, le Nigeria doit abroger l’ordonnance de police 237, qui ne fournit pas de consignes suffisamment claires concernant le recours aux armes à feu. Rédigée en termes vagues, elle autorise les policiers à faire feu sur les manifestants, qu’ils représentent une menace pour la vie d’autrui ou non.

Complément d’information :

L’action en justice ECW/CCJ/APP/10/10, datée du 29 octobre 2010, a été engagée par le SERAP au nom des plaignants. Ont à répondre des actes incriminés : le ministre nigérian de la Justice ; Rotimi Amaechi, gouverneur de l’État de Rivers ; et le ministre de la Justice et le ministre de l’Urbanisme de l’État de Rivers.

Les plaignants ont décrit les faits comme suit : « Le 12 octobre, ils se sont massés à l’entrée du quartier, à proximité de la prison municipale, afin de protester contre la procédure de recensement et les démolitions envisagées. La manifestation était non violente. Vers 8 h 30 du matin, deux blindés de la police mobile (MOPOL) se sont approchés de l’entrée du quartier et se sont garés à proximité de la prison. À 9 heures, un convoi d’environ 10 véhicules appartenant à la police et à l’armée a atteint le croisement situé devant la prison. Un petit véhicule blindé se trouvant en tête du convoi a avancé sur la foule », ont également déclaré les plaignants.

Les plaignants ont aussi expliqué : « Sans aucune sommation, les soldats ont ouvert le feu. Ils ont d’abord tiré en l’air, puis ont dirigé leurs véhicules jusqu’au bout de la route. Les habitants du quartier à la tête de cette action ont dit aux gens de ne pas courir car, à ce moment-là, ils pensaient que le gouvernement ne tirerait pas pour tuer. Les soldats ont recommencé à tirer mais cette fois-ci en direction de la foule. »

« Les manifestants ont essayé de s’enfuir mais ils ont été pris en chasse et canardés par les forces de sécurité, avant de s’éparpiller à travers le quartier. À l’exception de celles qui ont été prises pour cible à leur domicile, dans la plupart des cas les forces de sécurité ont tiré dans le dos de personnes qui tentaient de s’enfuir. Des agents armés, sans cesser de tirer, ont suivi dans le quartier des personnes qui s’enfuyaient en courant », ont ajouté les plaignants.

« Par ailleurs, le matin du 12 octobre 2009, des représentants des autorités gouvernementales – accompagnés par des membres des forces de sécurité portant : des tenues de camouflage de l’armée régulière et des casques assortis ; des tenues de camouflage et des bérets rouges ; des uniformes de la police mobile, des uniformes de la police mobile et des gilets pare-balles, des uniformes de police et des gilets pare-balles portant les mentions " S.O.S./Swift Ops. Squad ", et des vêtements civils avec des gilets pare-balles portant la mention " JTF " – se sont rendus dans le quartier de Bundu pour effectuer un recensement et estimer la valeur des bâtiments destinés à la démolition » , ont précisé les plaignants.

Les plaignants ont affirmé que « le gouvernement de l’État de Rivers, avec le soutien ou la complicité du gouvernement fédéral, prévoit des démolitions à grande échelle dans les zones d’habitation se trouvant au bord de l’eau à Port Harcourt. On dénombre plus de 40 zones d’habitat informel en bordure d’eau dans celle ville, qui font partie des secteurs les plus densément peuplés de la ville, puisqu’y vivent au moins 200 000 personnes. »

D’après les plaignants, « les démolitions à grande échelle prévues ont été décidées sans que les populations concernées ne soient consultées en bonne et due forme. Le quartier de Njemanze, proche de Bundu Ama, a été démoli en août 2009 et on estime qu’entre 13 800 et 19 000 personnes ont alors été expulsées de force de leur domicile. Plusieurs milliers de personnes, dont des enfants, des femmes et des personnes âgées, se sont retrouvées à la rue et exposées à d’autres atteintes aux droits humains. »

Les plaignants demandent à la cour de justice de la CEDEAO de leur accorder les réparations suivantes :

• Une déclaration aux termes de laquelle tirer sans discernement sur une foule composée de manifestants non armés est illégal, car :

• cela est disproportionné et ne saurait être justifié sous aucune circonstance, et constitue donc une violation des obligations et engagements du Nigeria en vertu du droit international relatif aux droits humains ;

• cela porte atteinte au droit à la vie et à la sécurité ; à la dignité de la personne humaine et au droit à la santé ;

• cela a donné lieu à des violences, des manœuvres de harcèlement, des agressions, des homicides et d’autres graves violations des droits humains contre les habitants du quartier de Bundu, actes ayant bafoué les obligations qui sont celles du Nigeria en matière de droits humains au titre de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples.

• Une déclaration selon laquelle le refus d’enquêter et de poursuivre les responsables présumés de ces tirs aveugles (et des homicides et blessures qui en ont résulté) est illégal, car il bafoue les obligations et engagements des accusés, en vertu desquels ceux-ci sont tenus de proposer un recours utile aux victimes de violations des droits fondamentaux, ainsi que le reconnaît la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples.

• L’ordre de verser une indemnisation satisfaisante, d’un montant
équivalent à 75 millions d’euros aux deuxième et onzième plaignants pour les violations commises contre leurs droits fondamentaux, qui font l’objet de cette plainte, et d’accorder tous les autres types de réparation, pouvant prendre la forme d’une restitution, d’une réhabilitation ou de garanties de non répétition, que la Cour jugera appropriés.

• Une injonction empêchant les accusés de mettre en œuvre un quelconque projet visant à effectuer un recensement en prévision de la démolition de structures et biens immobiliers dans la zone de Bundu se trouvant en bordure de rivière.

• Une ordonnance enjoignant les accusés à promouvoir, respecter, protéger, réaliser et garantir les droits des deuxième et onzième plaignants et ceux des autres habitants du quartier de Bundu ayant été victimes de graves violations des droits fondamentaux le 12 octobre 2009.

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