Le 24 mai 2018, l’organisation a publié un rapport intitulé They Betrayed Us, qui porte sur la prévalence des violences sexuelles dont sont victimes des femmes et jeunes filles affamées et retenues captives dans des camps satellites se trouvant sous le contrôle de soldats et de miliciens nigérians. L’armée nigériane a réagi en lançant des campagnes de dénigrement et en menaçant de « prendre des mesures contre Amnesty International ».
« Au lieu de s’employer à régler les problèmes soulevés dans le rapport, notamment en menant des enquêtes sur les innombrables allégations de viol et d’autres crimes de guerre, l’armée nigériane recourt à sa tactique habituelle constituant à nier et menacer », a déclaré Osai Ojigho, directrice d’Amnesty International Nigeria.
« Amnesty International fait toujours part des conclusions de ses recherches à l’armée nigériane avant de les rendre publiques. Nous posons des questions détaillées afin que l’armée puisse donner sa version des faits, mais soit elle fait preuve d’un désintérêt total face à nos tentatives de nouer le dialogue, soit elle nous renvoie vers d’autres branches du gouvernement, essayant ainsi clairement d’esquiver nos questions. »
Amnesty International se félicite de la décision prise mercredi 6 juin par le Sénat de se pencher sur les allégations figurant dans They Betrayed Us, la qualifiant de signal d’espoir pour les victimes en quête de justice.
Le travail accompli par Amnesty International au Nigeria ne se limite pas à rendre compte des violations perpétrées par l’armée, loin s’en faut. L’organisation a également publié des rapports sur les nombreuses exactions commises par le groupe armé Boko Haram, et sur les atteintes aux droits humains attribuées à la police nigériane. Des chercheurs d’Amnesty International ont aussi recueilli des informations sur de violentes expulsions forcées menées par le gouvernement de l’État de Lagos, et travaillé avec des populations se trouvant sous la menace d’expulsions forcées dans l’État de Kaduna et dans le territoire de la capitale fédérale, soutenant dans les deux cas le droit à un logement convenable. L’organisation a en outre attiré l’attention sur la contamination permanente des eaux dans le delta du Niger par des compagnies pétrolières, et demande depuis des décennies que les responsables rendent des comptes pour la destruction environnementale qui en résulte.
Conformément aux normes en la matière, les rapports d’Amnesty International sur les violations des droits humains au Nigeria demandent que des enquêtes soient menées sur les allégations qu’ils contiennent, mais l’armée nigériane répond systématiquement à ces requêtes par des campagnes de dénigrement, des actes d’intimidation et des menaces.
Par exemple, le 20 mars 2017, des manifestants payés portant un cercueil ont envahi le bureau d’Amnesty International à Abuja en scandant des slogans hostiles à l’organisation, comme « Amnesty International soutient Boko Haram » et « Vous êtes des démons, quittez le Nigeria maintenant ». Ces manifestants, dont certains étaient des personnes déplacées à l’intérieur du pays venues de camps situés aux abords d’Abuja, ont déclaré qu’ils avaient été payés 1 400 nairas par jour par des représentants des sponsors de la manifestation, qu’ils avaient rencontrés à Unity Fountain (Abuja).
Le 23 mai 2018, veille du lancement de They Betrayed Us, des campagnes de dénigrement lancées sur les médias, et des actions de protestation organisées à l’avance ont eu lieu dans le but manifeste d’intimider et de harceler Amnesty International.
Un porte-parole de l’armée nigériane a également répété l’affirmation selon laquelle Amnesty International avait tout intérêt à ce que le combat contre Boko Haram se prolonge. Amnesty International montre au contraire systématiquement à quel point les conflits à travers le Nigeria réduisent l’accès - déjà restreint - à l’éducation, à la santé et aux services sociaux dans le pays, et a déclaré que l’impunité pour les violations commises par l’ensemble des camps perpétue un cycle de violence meurtrière.
« Ces manœuvres de diversion sont une tentative sans vergogne d’éviter d’enquêter sur les signalements de violations des droits humains relayés par Amnesty International. Les déclarations de l’armée nigériane montrent clairement que personne dans ses rangs n’a lu nos rapports », a déclaré Osai Ojigho.
« Par exemple, alors que nos récents rapports portaient sur des camps satellites distants, dans des zones comme Bama et Banki, l’armée a emmené des journalistes dans d’autres camps, à Maiduguri, dans le but de prouver que nous avions tort. »
Amnesty International est une organisation de défense des droits humains, pas une instance chargée d’entamer des poursuites - son rôle consiste à rappeler aux gouvernements leur obligation de respect et de protection des droits humains, et à faire en sorte que les personnes dont les droits ont été bafoués bénéficient d’un recours effectif. C’est pour cette raison que l’organisation continue à demander que le gouvernement nigérian utilise son autorité et ses ressources afin d’enquêter sur toutes les allégations de violations des droits humains, notamment de viol, de torture, de détention arbitraire et d’exécution illégale, pour garantir que les victimes reçoivent des réparations, amener les responsables à rendre des comptes, et veiller à ce que les violations ne se reproduisent pas.
« L’armée a beau se démener, nous ne nous tairons pas. Face aux efforts qu’elle déploie afin de se dérober à ses responsabilités ou de calomnier notre organisation, nous continuerons à élever notre voix dès que nous verrons des injustices, des abus sexuels, des discriminations contre les femmes, ou d’autres violations des droits humains au Nigeria », a déclaré Osai Ojigho.