Un nouveau rapport d’Amnesty International et du Centre nigérian pour l’environnement, les droits humains et le développement (CEHRD), intitulé "Nigeria. La vraie « tragédie ». Retards et incapacité à stopper à stopper les fuites de pétrole dans le delta du Niger", souligne que de graves irrégularités institutionnelles et réglementaires ont suivi les deux grands déversements d’hydrocarbures survenus en 2008 près de la ville de Bodo, dans l’Ogoniland. Trois ans plus tard, Shell n’a toujours pas nettoyé les dégâts causés par la pollution et la population continue à souffrir (voir aussi ce communiqué)
En août 2011, une évaluation scientifique décisive du Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE) a révélé qu’une contamination par hydrocarbures grave et généralisée polluait l’Ogoniland. Dans son rapport, le PNUE a conclu que Shell néglige de nettoyer correctement cette pollution depuis des années.
Alors que Shell a été contrainte de mettre fin à ses activités d’exploitation en Ogoniland en 1993, après des manifestations d’habitants qui dénonçaient les conséquences néfastes de l’industrie pétrolière, des oléoducs sont toujours en fonctionnement dans la région et les déversements restent un grave problème.
La contamination de l’Ogoniland est si grave que le PNUE estime qu’il faudra certainement plus de vingt-cinq ans pour dépolluer entièrement la zone et qu’il a proposé la création d’un fonds spécial doté d’un montant initial d’un milliard de dollars pour commencer le nettoyage.
Amnesty International demande à Shell de fournir en totalité le milliard de dollars permettant d’établir le fonds spécial.
Des droits bafoués
L’incapacité de Shell à remédier aux déversements d’hydrocarbures de manière rapide et efficace et l’absence de mise en œuvre de la réglementation par le gouvernement nigérian ont nui gravement aux droits économiques, sociaux et culturels de centaines de milliers de personnes dans le delta du Niger, à commencer par les plus démunies.
Par exemple, la pollution provoquée par les déversements de Bodo a mis en danger la santé des habitants, détruit leurs moyens de subsistance et compromis leur accès à une eau et à une nourriture saines. Shell n’a apporté une aide alimentaire que plusieurs mois après le premier déversement, et elle était tout à fait inadaptée.
Les personnes affectées par la pollution reçoivent rarement justice pour les atteintes dont elles sont victimes. Plus de trois ans après le premier déversement de Bodo, la population attend toujours d’obtenir une réparation qui comporterait, entre autres, le nettoyage de la zone.
Shell affirme que la plupart des déversements d’hydrocarbures sont provoqués par des actes de sabotage ; néanmoins cette affirmation repose sur une procédure d’enquête déficiente. En outre, Shell est dans l’obligation de nettoyer les déversements, quelles qu’en soient les causes. Les déversements d’hydrocarbures constatés à Bodo en 2008 avaient été provoqués par des équipements défectueux.
Shell, au-delà des apparences
Shell se décrit comme une entreprise "responsable" qui fait de son mieux dans le delta du Niger, mais les recherches d’Amnesty International et du CEHRD, ainsi que le rapport du PNUE, donnent une autre vision des choses.
La différence est souvent grande entre les déclarations de Shell et la réalité sur le terrain :
DECLARATION : Shell "réagit immédiatement" lorsqu’un déversement d’hydrocarbures est constaté.
RÉALITÉ : Le PNUE a constaté qu’il y avait toujours un délai de réaction après les déversements d’hydrocarbures. Après le constat des déversements à Bodo en 2008, les hydrocarbures ont jailli pendant des semaines dans les deux cas, et le nettoyage n’a toujours pas commencé
DECLARATION : Lorsque Shell nettoie les déversements d’hydrocarbures, elle "rend au terrain son état initial".
RÉALITÉ : le PNUE a remarqué que, bien souvent, le nettoyage de la contamination par hydrocarbures qu’effectue Shell ne respecte même pas les propres normes de la compagnie. Les Nations unies ont conclu que, dans plusieurs cas, la différence entre les sites décrits comme "nettoyés" et ceux décrits comme "en attente de nettoyage" n’était pas toujours claire.
Shell n’est pas le seul acteur responsable de la pollution du delta du Niger. Néanmoins, l’entreprise omet depuis des dizaines d’années de prévenir et de réparer convenablement les problèmes de pollution. L’heure est venue pour Shell admettre ses responsabilités, les assumer et de nettoyer.
Comment joindre les deux bouts ?
Christian Lekoya Kpandei, 50 ans, est un pasteur de Bodo. Avant les déversements de 2008, il avait une exploitation piscicole florissante et employait une dizaine de personnes.
"Le 28 août, on m’a prévenu qu’il y avait un déversement d’hydrocarbures. Quand je suis arrivé sur les lieux, j’ai vu que l’ampleur des dégâts dépassait mon imagination. Au fur et à mesure que le pétrole brut était apporté par la marée, il entrait et recouvrait tous les bassins. J’ai vu tous mes poissons mourir en une journée. Tout ce que nous avions investi, tout notre travail de longue haleine, tout a disparu en un instant."
Christian Lekoya Kpandei a perdu son entreprise. Il dit qu’il a demandé à Shell de l’indemniser, mais s’est heurté à un mur de silence. "Shell n’a pas communiqué avec nous. Oui, nous avons adressé une demande. Depuis, rien. Shell ne m’a jamais répondu. »
Maintenant, il se démène pour joindre les deux bouts. « Ici, il n’y a pas d’autre travail, car il n’y a pas d’industrie qui fournisse des emplois en Ogoniland. Tous les poissons et toute la mer sont pollués, il est impossible de pêcher."