Une nouvelle loi pour combattre les mariages forcés et précoces

Une nouvelle loi visant à aider à protéger les adolescentes contre les mariages forcés et précoces au Kirghizistan a été adoptée en troisième et dernière lecture par le Parlement mercredi 5 octobre ; 68 députés ont voté pour et 40 contre. Cette loi a bénéficié de l’apport considérable de militantes des droits des femmes au Kirghizistan. Une fois promulguée par le président, cette loi introduira des sanctions pénales pouvant aller jusqu’à cinq ans d’emprisonnement contre quiconque organise ou célèbre un mariage religieux où l’un des époux ou les deux ont moins de 18 ans. Cela inclut les responsables religieux, ainsi que les parents des conjoints potentiels.

Reflétant ce qui se passe dans de nombreux autres pays d’Asie centrale et au-delà, la plupart des mariages impliquant des jeunes filles mineures ne sont pas enregistrés officiellement. En vertu du Code de la famille, l’âge minimum légal pour se marier, pour les hommes comme pour les femmes, est fixé à 18 ans, même s’il peut être ramené à 17 ans dans certaines circonstances. Forcer une personne à se marier contre sa volonté est illégal, et des peines plus lourdes (pouvant aller jusqu’à 10 ans de prison) peuvent être prononcées si elle a moins de 17 ans ; les relations sexuelles avec une personne âgée de moins de 16 ans constituent également des infractions. Certains responsables religieux sont cependant prêts à unir des couples alors que l’un des futurs conjoints est mineur ; cela signifie que leur mariage est considéré comme légitime par les familles et l’entourage même si cette union n’est pas reconnue légalement, et qu’aucun des deux époux ne dispose des droits et des devoirs reconnus par la loi qui sont liés au mariage. C’est exactement pour cela que cette nouvelle loi cible les mariages religieux.

Des informations recueillies par l’Agence nationale des statistiques en 2014 ont indiqué que 13 % des femmes âgées de 20 à 49 ans ayant participé à l’enquête s’étaient mariées ou « avaient conclu une union maritale » (c’est-à-dire un mariage non enregistré) avant l’âge de 18 ans, et que 0,5 % s’étaient mariées avant leur 15e anniversaire. L’enquête ne donnait pas d’information sur le nombre de garçons mariés, mais comme dans la plupart des autres pays, beaucoup moins de garçons que de filles se marient au Kirghizistan lorsqu’ils sont encore mineurs (en 2014, 948 garçons et hommes âgés de 15 à 19 ans se sont mariés selon les statistiques officielles, contre 11 797 filles et jeunes femmes appartenant à la même classe d’âge).

Le mariage des mineures est un grave problème de droits humains au Kirghizistan. Dans de nombreux cas, le mariage est arrangé par les parents de la jeune fille et elle n’a pas la possibilité de dire non, ou bien elle subit un « mariage par enlèvement » (où une femme ou une jeune fille sont enlevées par le « mari » potentiel, puis n’ont pas d’autre choix que d’accepter de l’épouser, ou de risquer la réprobation sociale, car il est supposé que leur ravisseur les a violées et qu’elles ne sont plus vierges). Le mariage forcé est reconnu comme une violation des droits humains par des accords internationaux auxquels le Kirghizistan est partie, notamment le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (article 23), la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (article 16), et la Convention sur le consentement au mariage, l’âge minimum du mariage et l’enregistrement des mariages.

Même dans les cas où une adolescente consent à un mariage, il est possible que ce consentement ne soit pas valable. Par exemple, elle peut accepter de se marier par devoir si ses parents font pression sur elle, ou pour alléger le fardeau financier pesant sur sa famille, et permettre à des frères et sœurs plus jeunes de poursuivre leurs études, ou parce que face à des opportunités d’études ou d’emploi très limitées, le mariage lui paraît être la solution la moins mauvaise.

Se marier très jeune expose aussi à un risque accru d’autres violations des droits humains. Au Kirghizistan, l’usage veut qu’une femme emménage avec son époux et la famille de celui-ci après leur mariage. Les rapports de force très déséquilibrés entre une adolescente mariée et son époux adulte plus âgé - et entre la jeune fille et sa belle-famille, notamment sa belle-mère - signifient que les mineures mariées sont exposées à un risque de violence domestique, de viol et de grossesse forcée, ainsi qu’à des risques de santé associés à une grossesse et à un accouchement précoces. Les complications survenant au cours de la grossesse et de l’accouchement constituent la deuxième cause de mortalité pour les jeunes filles de 15 à 19 ans dans le monde. Les jeunes filles mariées ne peuvent généralement pas finir leurs études, ce qui porte atteinte à leur droit à l’éducation. Il arrive que leur droit de circuler librement soit restreint (par exemple qu’elles ne puissent pas quitter la maison sans permission) et qu’elles souffrent d’isolement si on les empêche de rester en contact avec leur famille et leurs amis. Elles ne sont parfois pas autorisées à travailler hors de la maison, ou peuvent être privées du droit de garder leur salaire quand elles travaillent.

Comme les auteurs de ce texte le reconnaissent, l’adoption de la loi n’éliminera pas la pratique du mariage des mineures au Kirghizistan, mais associé aux garanties juridiques déjà en place, il aura un effet dissuasif et enverra un message fort selon lequel la religion ne peut et ne doit pas être invoquée pour légitimer les atteintes aux droits fondamentaux des jeunes filles. La prochaine étape prendra la forme d’une collaboration entre les organes chargés de faire respecter la loi et le ministère public afin de veiller à ce que la loi soit appliquée, et d’une action des autorités dans l’objectif de remettre en question les attitudes sociales discriminatoires et les stéréotypes de genre nocifs qui sous-tendent le mariage des mineures au Kirghizistan.

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