Le parlement mauritanien doit rejeter un nouveau projet de loi en examen aujourd’hui restreignant les droits à la liberté de réunion et d’association, ont déclaré Amnesty International et une vingtaine d’organisations de la société civile.
Le projet de loi a déjà été approuvé en conseil des ministres sans consultation publique. Si elle est votée, cette loi confirmerait tout d’abord la singularité de la Mauritanie où, jusqu’à présent, la création d’une association est soumise à une autorisation étatique. Les organisations signataires estiment que cette disposition va continuer de restreindre l’espace civique déjà limité.
« L’absence de consultations préalables avec les associations et le manque de prise en compte de leurs préoccupations ont les apparences d’un passage en force, qui ne se justifie pas. Des restrictions ont déjà été imposées aux droits à la liberté d’expression et d’association, ce qui a entraîné la détention de militants des droits de l‘homme pour appartenance à une organisation non autorisée », a déclaré Gaetan Mootoo, chercheur sur l’Afrique de l’Ouest pour Amnesty International.
« Le régime de la déclaration est le seul conforme aux règles en vigueur dans les pays qui respectent les dispositions internationales sur la liberté d’expression et de pensée. La Mauritanie ne doit pas faire figure d’exception et doit appliquer l’article 10 de sa Constitution qui garantit la liberté d’association ».
Amnesty International a documenté les cas d’au moins quatre organisations qui peinent toujours à recevoir leur autorisation malgré le dépôt de statuts en bonne et due forme. Il s’agit du « Mouvement IRA », Initiative de résurgence du mouvement abolitionniste, de « Touche pas à ma nationalité », de « l’Association des veuves mauritaniennes » et de « l’Union des Jeunes Volontaires ».
« Les statuts de notre association ont été présentés depuis 2013 au ministère de l’Intérieur. Après des va-et-vient incessants entre le ministère et le commissariat de police, il nous a été refusé à quatre reprises de déposer notre demande d’autorisation sous prétexte que l’association ne regroupe que des membres d’une seule communauté alors que plusieurs communautés en font partie », a témoigné Alassane Dia, Président de « Touche pas à ma nationalité », une organisation non encore reconnue et née en réaction au recensement lancé en 2011 par les autorités et jugé discriminatoire à l’égard des communautés négro-mauritaniennes.
Le collectif des veuves qui demande que la vérité soit faite sur les exécutions sommaires et des disparitions survenues dans les années 9O, attend depuis 1993 d’être reconnue, après avoir encore renouvelé sa demande en 2010.
Le projet de loi compte en outre plusieurs dispositions liberticides et ne comporte aucune référence aux engagements internationaux de la Mauritanie. Son article 4 impose aux associations constituées de restreindre leur domaine de compétence soit à un niveau national, régional ou local alors qu’elles doivent avoir la possibilité d’agir sur l’ensemble du territoire.
Certaines dispositions de l’article 6 du projet de loi qui stipule qu’aucune association ne peut être créée sur une base ou pour un objectif contraire à l’islam, à la Constitution, aux lois en vigueur ou pour des activités de nature à porter atteinte à la sécurité des citoyens, à l’unité nationale, à l’intégrité du territoire, à la forme républicaine de l’Etat ou aux bonnes mœurs pourraient être liberticides. Les autorités pourraient utiliser des arguments religieux par exemple si elles jugent que l’objectif de l’association est contraire à l’islam ou menace l’unité nationale ou les bonnes mœurs pour empêcher à des associations d’exercer leurs droits.
Alors que l’article 24 exige des associations la communication de leur rapport d’activité et financier au plus tard le 31 mars de chaque année, faute de quoi elles pourraient être suspendues, les organisations signataires estiment que les exigences de transparence dans le financement des associations ne doivent pas faire peser une menace sur la liberté d’association. Aussi, le projet de loi prévoit de limiter le champ d’action des associations à un seul domaine.
« Si cette loi est adoptée, il ne sera plus possible pour une association de travailler par exemple sur les droits des femmes et des enfants en même temps, car selon la nouvelle loi c’est deux domaines différents », a déclaré Maitre Mine Abadallah, avocat, membre du comité ad hoc sur le projet de loi association.
« La Mauritanie doit aligner sa législation sur les normes et standards internationaux en matière de droits de l’homme ».
Déjà, depuis février dernier, les associations ne peuvent pas organiser de manifestations sans l’autorisation préalable du préfet. Une note datant du 11 février 2016, dont Amnesty International a eu copie stipule : « sans l’autorisation préalable du Hakem (préfet), il est formellement interdit d’organiser un spectacle, une conférence, une manifestation où le public est admis ».
Des organisations de la société civile interrogées par Amnesty International ont affirmé qu’avant de confirmer leur réservation pour organiser des conférences de presse ou des ateliers et séminaires, les hôtels leur demandent de fournir l’autorisation écrite du préfet. D’ailleurs, le Forum des organisations nationales de droits humains (FONADH) avait été convoqué en mars 2016 par le ministère de l’Intérieur qui lui avait signifié que les organisations non autorisées ne pourraient plus tenir des conférences de presse au siège de l’organisation.
En août 2015, le rapporteur spécial des Nations unies sur les droits à la liberté de réunion pacifique et d’association avait appelé l’Assemblée nationale à rejeter ce même projet de loi relatif aux associations de la société civile qui avait été approuvé, sans consultation publique, par le Conseil des ministres.