Ouganda. Amnesty International lance un appel en faveur d’une véritable alternative à l’impunité

Déclaration publique

AFR 59/004/2006

Amnesty International a fait part en ce 4 août de sa profonde inquiétude face aux informations qui lui parviennent, selon lesquelles le gouvernement de l’Ouganda serait en train de brader les droits des victimes de crimes contre l’humanité et crimes de guerre dans les négociations politiques actuellement en cours au sud du Soudan en vue de mettre fin au conflit armé dans le nord de l’Ouganda. L’organisation lance un nouvel appel au gouvernement ougandais pour qu’il révise les mesures envisagées qui aboutiraient à la mise en place d’un système d’impunité pour les crimes commis de part et d’autre au cours du conflit d’une vingtaine d’années qui a opposé l’Armée de résistance du Seigneur aux forces gouvernementales ; l’organisation demande au gouvernement ougandais d’élaborer plutôt une stratégie globale face au problème de l’impunité, afin que justice soit rendue aux victimes et que des réparations leur soient accordées pour les souffrances endurées.

Préoccupations concernant les offres de « protection » de personnes faisant l’objet de mandats d’arrêt de la Cour pénale internationale

Amnesty International est particulièrement inquiète après les déclarations du président Museveni, lequel aurait offert « protection » à cinq dirigeants importants de l’Armée de résistance du Seigneur inculpés par la Cour pénale internationale de crimes contre l’humanité et crimes de guerre ; ils sont notamment accusés de meurtre, esclavage sexuel et enrôlement forcé d’enfants soldats.

La Cour, tribunal indépendant auquel le gouvernement ougandais avait demandé de mener les enquêtes arguant du fait que les autorités nationales ne pouvaient rendre justice pour des crimes de droit international commis dans la région, a agi dans les plus brefs délais pour que justice soit rendue aux populations du nord de l’Ouganda. Il est inquiétant de constater que le gouvernement, au lieu d’apporter son plein soutien et sa coopération au travail de la Cour, cherche maintenant à affaiblir les décisions de justice qu’il lui a demandé de rendre. Ce faisant, il a tenté d’utiliser la Cour comme un outil politique dans ses négociations avec l’Armée de résistance du Seigneur.

Amnesty International remarque que le gouvernement n’a aucune autorité pour accorder « protection » à une personne inculpée par la Cour pénale internationale. En fait, des efforts en ce sens constitueraient une violation des obligations de l’Ouganda au regard du droit international. Seule la Cour a la possibilité de révoquer ses mandats d’arrêt. Il n’est pas dans le pouvoir de la Cour, qui a pour mandat de traduire en justice les personnes accusées des pires crimes contre l’humanité jamais commis, de révoquer des mandats d’arrêts au motif que cela pourrait aider des négociations politiques visant à mettre un terme à un conflit armé. Après les déclarations du président Museveni, le procureur de la Cour a appelé les États, Ouganda et Soudan compris, à exécuter les mandats d’arrêts déclarant que « le meilleur moyen d’arrêter le conflit et de rétablir la sécurité dans la région était d’arrêter les principaux dirigeants ». La Commission africaine des droits de l’homme et des peuples a également exprimé son soutien aux efforts de la Cour en vue de « traduire en justice les auteurs présumés de crimes de guerre dans le nord de l’Ouganda ». D’autres États, notamment les États-Unis d’Amérique, ont lancé un appel à l’Ouganda et au Soudan pour qu’ils arrêtent ces personnes.

Amnesty International renouvelle l’appel qu’elle avait lancé en octobre 2005 après qu’eurent été décernés des mandats d’arrêt pour l’Ouganda, le Soudan et d’autres États – notamment la République démocratique du Congo, où les accusés se trouveraient – afin que les cinq hommes soient arrêtés et remis à la Cour pénale internationale au plus vite.En outre, l’organisation demande instamment à la Cour et à la communauté internationale , notamment les Nations unies et la Mission des Nations unies en République démocratique du Congo (MONUC) de continuer leurs efforts en vue d’arrêter ces cinq hommes ainsi que toute autre personne à l’encontre de laquelle la Cour aurait décernée un mandat d’arrêt. D’autres États sont également incités à exercer leur compétence universelle en menant des enquêtes sur les personnes soupçonnées de crimes de droit international dans le nord de l’Ouganda, et, lorsque suffisamment de preuves admissibles existent, en entamant des poursuites devant les tribunaux nationaux.

Préoccupations concernant l’offre d’une nouvelle amnistie

Amnesty International est également très préoccupée par la nouvelle offre d’amnistie du gouvernement ougandais à tous les membres de l’Armée de résistance du Seigneur, leur garantissant l’impunité devant les tribunaux ougandais pour des crimes de droit international, notamment des crimes contre l’humanité, crimes de guerre et actes de torture.

Amnesty International s’oppose fortement à l’adoption d’une nouvelle amnistie pour de tels crimes, les amnisties pour crimes de droit international étant interdites en droit international.En outre, de telles amnisties constituent une violation claire de l’Acte constitutif de l’Union africaine qui inclut expressément parmi ses principes la condamnation et le rejet de toute impunité. Les amnisties ne sont contraignantes ni pour la Cour pénale internationale ni pour les tribunaux nationaux, y compris les tribunaux d’autres pays ayant compétence universelle. Les conséquences des amnisties dépassent évidemment les questions légales. Sans justice, les droits et les besoins des victimes sont souvent oubliés.

Bien que certains préconisent de sacrifier la justice à la paix, il n’existe aucune preuve concluante permettant d’affirmer que de telles mesures d’impunité apporteraient une paix durable. En Sierra Leone, l’amnistie de Lomé pour les crimes de droit international n’a pas empêché que se poursuive l’escalade de la violence. Dans le nord de l’Ouganda, une loi d’amnistie n’a pas permis d’arrêter les crimes ni de faire la paix. Amnesty International a lancé un appel en faveur de l’abrogation de cette loi.

L’exemple de l’ex-Yougoslavie démontre par contraste que la justice peut co-exister avec des initiatives de paix, ainsi que l’a prouvé l’Accord de Dayton, et peut même promouvoir la paix en instituant l’obligation pour toute personne de rendre compte de ses actes afin d’empêcher que ne se reproduisent de tels crimes à l’avenir. Amnesty International considère qu’une approche similaire pourrait être adoptée dans tous les cas où des crimes de droit international ont été commis.

Une alternative – une stratégie globale pour traiter de tous les crimes commis au cours du conflit

Amnesty International appelle le gouvernement à ne pas remettre en cause la justice et les droits des victimes au cours des négociations politiques visant à mettre fin au conflit. L’organisation demande instamment au gouvernement de faire tout son possible pour établir une paix durable, en abordant la question des crimes commis par l’Armée de résistance du Seigneur et les forces gouvernementales au cours du conflit ; une stratégie globale devrait être élaborée au niveau national, visant à rendre justice, établir la vérité et accorder des réparations aux victimes, notamment aux victimes de violences sexuelles et aux enfants victimes de la violence. Cette stratégie devrait tenir compte du fait que des mineurs pouvant être tenus pour responsables pénalement, auteurs de crimes de droit international, ont parfois été eux-mêmes victimes, notamment d’enlèvement ou de violences sexuelles, ou recrutés comme enfants soldats, circonstances atténuantes qui devront être pris en compte dans les poursuites criminelles. Un programme effectif devrait être développé en consultation avec des hommes et des femmes de la société civile, pour faire en sorte que les poursuites judiciaires concernant des mineurs respectent pleinement les normes de droit international relatives aux délinquants juvéniles et les droits des autres victimes et s’inscrivent dans le cadre d’une véritable stratégie de réhabilitation et de réinsertion des enfants dans la société.

Toutes les mesures devront être mises en œuvre de manière à respecter pleinement le droit international et les droits des femmes. La stratégie mise en place devrait notamment inclure les mesures suivantes, qui pourraient être efficacement complétées par les mécanismes de justice traditionnels :

  faire en sorte que les personnes présumées responsables de crimes de droit international perpétrés au cours du conflit comparaissent devant des tribunaux nationaux, de façon à ce que justice soit rendue aux victimes et que ces procès agissent comme outil de dissuasion pour des crimes futurs ;
  mettre en place des mécanismes effectifs visant à accorder pleine réparation aux victimes pour les aider à reconstruire leur vie. Faire en sorte que les tribunaux traitant des cas d’enfants enrôlés par l’Armée de résistance du Seigneur ou les Forces de défense populaire de l’Ouganda (UPFD) comme enfants soldats respectent pleinement les normes du droit international concernant la justice rendue aux mineurs délinquants, tenant compte notamment des circonstances atténuantes telles que l’enlèvement et la contrainte et en faisant en sorte que des réparations soient accordées, dans le cadre d’un programme plus vaste de réhabilitation et de réinsertion des enfants soldats.
  élaborer des mécanismes efficaces permettant d’établir la vérité sur les crimes commis au cours du conflit, en offrant la possibilité aux personnes affectées de raconter leur histoire.

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