Ce rapport, intitulé 13 Years in Limbo : Forced Evictions of the Benet in the Name of Conservation, qui se fonde sur des entretiens avec 61 personnes expulsées, fait la lumière sur les nombreuses conséquences que les expulsions forcées ont eues pour cette communauté d’environ 18 000 personnes, notamment en ce qui concerne les droits à la santé, à un logement adéquat et à l’éducation. Il montre que les Benets continuent de subir les effets de la perturbation de leur mode de vie et de risquer des atteintes physiques de la part des gardes forestiers, bien que l’État – y compris le président Yoweri Museveni – ait promis à maintes reprises de les sortir de cette situation difficile.
Les Benets ont été expulsés d’abord par le Service national des forêts en 1983, puis par le Service ougandais de la faune et de la flore sauvages (UWA) en 1993, lorsque l’État a fait de cette forêt un parc national. En 2008, l’UWA a expulsé de force quelque 200 familles de Benets, en ciblant cette fois les membres de la communauté qui, selon lui, vivaient encore à l’intérieur du parc national, alors que l’État leur avait alloué les mêmes terres après les expulsions précédentes.
« Ce traitement constitue une violation flagrante de la Constitution de l’Ouganda et des obligations internationales qui incombent à ce pays en matière de droits humains »
« Non seulement les Benets ont été expulsés violemment de la forêt et dépossédés de leurs terres ancestrales, mais aujourd’hui, 13 ans plus tard, ils habitent toujours dans de frêles cabanes faites de torchis et de morceaux de bois, qui devaient être une solution de relogement provisoire, et sont privés de services essentiels comme l’accès à l’eau potable, à l’électricité, aux soins de santé et à l’éducation. Ce traitement constitue une violation flagrante de la Constitution de l’Ouganda et des obligations internationales qui incombent à ce pays en matière de droits humains », a déclaré Deprose Muchena, directeur du programme Afrique de l’Est et Afrique australe à Amnesty International.
« Il faut que l’État ougandais reconnaisse les Benets comme les habitants autochtones de la forêt et leur permette de réintégrer leur territoire ancestral. »
Les Benets accusent l’UWA de se rendre coupable d’homicides, de recours illégal à la force et à des armes à feu, notamment de tirs, de coups et même d’infractions au droit international, y compris la torture et d’autres traitements cruels, inhumains et dégradants, lorsqu’ils tentent d’entrer dans la forêt, qui a été déclarée parc national en 1993. Ils signalent également être victimes d’extorsion de la part de gardiens de l’UWA déployés pour les empêcher de retourner dans la forêt afin de cultiver, de faire paître leurs animaux ou d’effectuer leurs rites culturels.
« Le président Yoweri Museveni a promis à plusieurs reprises de prendre des mesures et a ordonné au moins deux fois aux services du Premier ministre de le faire. Cependant, les années ont passé et les Benets demeurent dans l’incertitude, ne sachant vers où se tourner pour obtenir justice. L’État doit remédier immédiatement au problème afin d’être en conformité avec le droit ougandais et le droit international », a déclaré Deprose Muchena.
« Il faut que l’État ougandais reconnaisse les Benets comme les habitants autochtones de la forêt et leur permette de réintégrer leur territoire ancestral »
Amnesty International a fait part de ses constatations à divers organes étatiques en Ouganda, notamment au ministère public et au ministère de la Santé, et a entrepris des échanges avec ces services afin de veiller à ce que les droits des Benets soient respectés.
Expulsions forcées dans tout le pays
Les Benets ne sont pas le seul peuple à avoir été victime d’expulsions forcées. En mai 2018, l’armée ougandaise et l’UWA ont expulsé de force des populations à Apaa, dans le nord du pays, au motif qu’elles se seraient installées dans une réserve naturelle. Plus de 250 logements avaient alors été réduits en cendres, faisant des centaines de sans-abri, dont des enfants. Les expulsions illégales et violentes se sont poursuivies en 2019 et 2020.
En janvier 2021, plus de 35 000 personnes appartenant à plus de 2 300 familles avaient été expulsées de force de leur logement à Kiryandongo par les forces de sécurité ougandaises afin de permettre l’implantation de fermes industrielles.
« Les expulsions sont un outil qui ne doit être utilisé qu’en dernier recours et selon une procédure en bonne et due forme qui soit en accord avec les normes internationales relatives aux droits humains »
En 2016, le président Yoweri Museveni a chargé une commission dirigée par la juge Catherine Bamugemereire d’enquêter sur les différends fonciers dans tout le pays. Cependant, le rapport final de cette commission n’a toujours pas été rendu public.
« Cela montre que, de manière plus générale, l’État ougandais doit faire le nécessaire pour prévenir les expulsions forcées, tant en droit que dans la pratique. Il doit non seulement veiller à ce que les droits des peuples autochtones soient respectés, y compris en ce qui concerne la propriété de leurs terres ancestrales, mais aussi protéger le droit au logement pour tous et toutes, sans discrimination », a déclaré Deprose Muchena.
Les autorités ont parfois argué que le changement climatique et la nécessité de l’atténuer par des mesures de conservation justifiaient l’expulsion des Benets. Les peuples autochtones du monde entier vivent en harmonie avec leurs écosystèmes depuis des siècles et Amnesty International est convaincue que, si l’État collaborait avec les Benets pour gérer conjointement le territoire du mont Elgon, cela continuerait.
« Le président Yoweri Museveni a promis à plusieurs reprises de prendre des mesures et a ordonné au moins deux fois aux services du Premier ministre de le faire »
« Il ressort des recherches universitaires que les effets de la conservation sont optimaux lorsque les peuples autochtones sont des partenaires qui participent à la conservation sur un pied d’égalité. Cela ne doit pas donner lieu à des violations des droits humains ni servir à les justifier », a déclaré Deprose Muchena.
« Les expulsions sont un outil qui ne doit être utilisé qu’en dernier recours et selon une procédure en bonne et due forme qui soit en accord avec les normes internationales relatives aux droits humains. L’Ouganda a signé des traités africains et mondiaux qui établissent ces exigences minimales et interdisent les expulsions forcées. Il doit les respecter. »
Les Benets sont une population de chasseurs-cueilleurs et de pasteurs souvent désignés par le terme péjoratif de Ndorobo, qui signifie « peuple primitif de la montagne ». Leurs problèmes fonciers remontent à la période coloniale. À l’époque, les autorités britanniques avaient fait des landes et des prairies du mont Elgon, territoire des Benets depuis des temps immémoriaux, une réserve forestière. Cependant, les problèmes ont perduré et n’ont cessé de s’aggraver depuis l’indépendance.