Ouganda. Le gouvernement doit revenir sur la décision d’interdire un atelier sur les questions de droits humains concernant les travailleurs du sexe

DÉCLARATION PUBLIQUE

Index AI : AFR 59/014/2010

ÉFAI

19 novembre 2010

Amnesty International a condamné vendredi 19 novembre la décision du secrétaire d’État ougandais chargé de l’Éthique et de l’Intégrité d’interdire un atelier de trois jours organisé par des structures de la société civile et portant sur les questions de droits humains concernant les travailleurs du sexe en Ouganda et dans d’autres pays d’Afrique de l’Est. L’organisation demande au gouvernement ougandais de revenir sur la décision du secrétaire d’État d’empêcher la tenue du séminaire. Les autorités doivent par ailleurs affirmer clairement leur engagement de soutenir les actions en faveur des droits humains.

Des défenseurs et des militants des droits fondamentaux des travailleurs du sexe devaient participer à l’atelier mis sur pied par Akina Mama Wa Africa, une organisation non gouvernementale (ONG) internationale de défense des droits des femmes dont le siège se trouve à Kampala. Le séminaire devait se tenir du 18 au 20 novembre dans un hôtel de la périphérie de la capitale ougandaise. Dans une lettre datée du 17 novembre et adressée à la direction de l’établissement, le secrétaire d’État chargé de l’Éthique et de l’Intégrité, Nsaba Buturo, a ordonné l’annulation des réservations pour la manifestation. Il a indiqué :

« […] je dois vous informer que la prostitution est une infraction pénale en Ouganda. En accueillant dans vos locaux le séminaire d’Akina Mama Wa Africa, vous vous rendez complice d’une infraction. »

Sur la base de cette lettre, l’hôtel a annulé la réservation pour l’atelier.

Amnesty International considère que la décision du secrétaire d’État constitue une restriction injustifiable des droits à la liberté d’expression, de réunion pacifique et d’association, qui sont indispensables au bon déroulement des activités en matière de droits humains et sont garantis par la Constitution ougandaise et le droit international. La décision est en outre contraire à l’engagement pris par l’Ouganda en vertu la Déclaration sur le droit et la responsabilité des individus, groupes et organes de la société de promouvoir et protéger les droits de l’homme et les libertés fondamentales universellement reconnus (Déclaration sur les défenseurs des droits de l’homme), adoptée par consensus par les États membres des Nations unies – dont l’Ouganda – en 1998, de permettre les activités de défense des droits humains. La Déclaration affirme explicitement le droit à la liberté d’expression, de réunion pacifique et d’association pour les activités de promotion et de protection des droits humains.

La « prostitution » est illégale aux termes du Code pénal ougandais, mais l’objectif du séminaire était d’aborder les souffrances et les atteintes aux droits humains subies par les personnes – des femmes pour la plupart – qui travaillent dans l’industrie du sexe. Le fait que le travail du sexe soit illégal en Ouganda et que les femmes puissent être arrêtées pour « prostitution » a une conséquence, montrent les recherches effectuées par Amnesty International : les travailleurs du sexe ne disposent d’aucune voie de recours légal ni de possibilité d’obtenir réparation lorsqu’ils sont victimes de violences et d’autres atteintes à leurs droits fondamentaux. Il n’existe en outre aucune politique de prise en compte des besoins de ces personnes en matière de santé, ce qui pose un problème grave compte tenu des risques particuliers de contamination par le VIH et d’autres maladies sexuellement transmissibles auxquels sont confrontés les travailleurs du sexe. Les ONG qui travaillent dans ce domaine craignent d’être accusées d’enfreindre la loi, et certains responsables politiques et religieux affirment que la légalisation de l’industrie du sexe constituerait une atteinte à la moralité publique et favoriserait la propagation du VIH/sida. Ces questions devraient faire l’objet d’un débat au sein du gouvernement et de la société civile.

La réalisation du droit à la santé nécessite l’élimination de tous les obstacles qui entravent l’accès aux services de santé, à l’éducation et à l’information, y compris en matière de santé sexuelle et reproductive. Les normes internationales relatives aux droits humains font obligation aux États de ne pas censurer, dissimuler ou déformer intentionnellement les informations relatives à la santé, y compris l’information et l’éducation dans le domaine de la sexualité, et de ne pas empêcher les personnes de s’impliquer dans les questions de santé.

L’interdiction d’un séminaire organisé dans le but de débattre de ces questions est une nouvelle preuve de la dérive de certaines composantes du gouvernement ougandais, qui ont récemment restreint de manière injustifiée certaines activités dans le domaine des droits humains en général et sur certains thèmes en particulier.

Des restrictions ont ainsi été imposées aux défenseurs des droits humains mobilisés pour la protection des droits des lesbiennes, des gays et des personnes bisexuelles, transgenres ou intersexuées (LGBTI), qui continuent de faire l’objet de discriminations et d’autres violations des droits humains. L’une des causes de cette situation est l’attitude du gouvernement, qui ne fait rien pour mettre un terme à ces atteintes au prétexte que les pratiques homosexuelles constituent une infraction pénale en Ouganda. Une proposition de loi contre l’homosexualité a été déposée au Parlement en 2009. Le texte, qui n’a pas encore été examiné, entend ancrer dans le droit la criminalisation des pratiques homosexuelles et prévoit d’ériger en infraction les activités de défense des droits des LGBTI.

Complément d’information

Le Code pénal (articles 136 à 139) définit comme infraction la « prostitution », le fait de vivre des revenus du travail du sexe et celui de tenir une maison destinée au travail du sexe. Le travail du sexe est un délit passible de sept années d’emprisonnement. Aucune disposition légale n’interdit toutefois de recourir aux services d’un travailleur du sexe, ce qui a pour effet de faire porter tout le poids de la sanction sur les femmes et non sur les bénéficiaires de leurs services, des hommes dans leur immense majorité.

Le gouvernement ougandais avait interdit en mars 2008 un atelier similaire ayant pour objectif d’aborder les questions de droits humains concernant les travailleurs du sexe. Le secrétaire d’État chargé de l’Éthique et de l’Intégrité avait à l’époque tenu les propos suivants, rapportés dans la presse : « Nous n’apprécions pas du tout l’idée que des prostitués se réunissent pour mettre au point des manières de propager leur vice. »

Amnesty International a consacré récemment un rapport aux difficultés d’accès à la justice auxquelles sont confrontées les femmes victimes de violences en Ouganda, dont les travailleuses du sexe, qui constituent un groupe particulièrement vulnérable. Ce rapport, publié en avril 2010, est disponible sur http://www.amnesty.org/en/library/info/AFR59/001/2010/en.

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