OUGANDA : Les premières mesures prises pour enquêter sur les crimes commis dans le cadre du conflit doivent s’inscrire dans un plan exhaustif de lutte contre l’impunité

Index AI : AFR 59/001/2004
EFAI

Vendredi 30 janvier 2004

DÉCLARATION PUBLIQUE

Amnesty International salue l’annonce, la nuit dernière, par le procureur de
la Cour pénale internationale (ci-après dénommée la Cour), de mesures
destinées à enquêter et à engager des poursuites à propos des crimes de
guerre et des crimes contre l’humanité perpétrés dans le cadre du conflit
qui fait rage dans le nord de l’Ouganda.

Ce conflit oppose le gouvernement ougandais à un groupe d’opposition armé,
la Lord’s Resistance Army (LRA, Armée de résistance du Seigneur). Accompagné
du président ougandais Yoweri Museveni, le procureur, Luis Moreno Ocampo, a
révélé que la Cour avait été saisie par le gouvernement ougandais à propos
des crimes commis par la LRA.

« Toute enquête de la Cour pénale internationale sur les crimes de guerre et
les crimes contre l’humanité perpétrés dans le cadre du conflit qui fait
rage dans le nord de l’Ouganda doit s’inscrire dans un plan exhaustif de
lutte contre l’impunité pour tous ces crimes, quels que soient le camp qui
les a commis et le rang occupé par leurs auteurs », a déclaré Amnesty
International.

Le texte de la saisine n’a pas encore été rendu public, mais il semble que
l’Ouganda ait cherché à la limiter aux crimes commis par une seule des
parties au conflit. Cependant, une fois saisi d’une situation par un État
partie, le procureur, après analyse des informations reçues, peut ouvrir une
enquête officielle sans avoir à demander d’autorisation judiciaire et a le
droit d’enquêter sur tous les crimes relatifs à cette situation, quels qu’en
soient les auteurs.

« L’État partie au Statut de Rome qui saisit la Cour ne peut pas limiter la
portée de l’enquête menée par le procureur sur la situation qui lui a été
signalée, » a précisé Amnesty International. En outre, en vertu de l’article
15, alinéas 1 et 3, du Statut de Rome, le procureur peut ouvrir une enquête
de sa propre initiative (proprio motu) sur des crimes autres que ceux pour
lesquels il a été saisi, sur autorisation de la Chambre préliminaire. Par
ailleurs, a souligné l’organisation, l’article 42-1 du Statut de Rome
stipule que « le Bureau du Procureur agit indépendamment » et que « ses
membres ne sollicitent ni n’acceptent d’instructions d’aucune source
extérieure ».

Amnesty International demande instamment à l’Ouganda de coopérer pleinement
avec la Cour dans le cadre de toute enquête ou poursuite. Pour cela, ce pays
va devoir, dans les plus brefs délais, adopter des lois d’application
efficaces pour le Statut de Rome, ratifier l’Accord sur les privilèges et
immunités de la Cour pénale internationale et promulguer des lois
d’application appropriées pour cet Accord. L’organisation appelle aussi
l’Ouganda à ne pas ratifier ni appliquer l’accord d’impunité qu’il a signé
avec les États-Unis.

D’autre part, il faudrait que l’Ouganda revoie sa Loi d’amnistie de 1999,
qui couvre les crimes commis dans le cadre du conflit. « Une loi d’amnistie
ne devrait jamais pouvoir s’appliquer à des crimes relevant du droit
international », a souligné l’organisation de défense des droits humains.

Le procureur de la Cour pénale internationale a affirmé à plusieurs reprises
que l’un des plus grands défis qu’il aurait à relever consisterait à combler
l’écart, en matière d’impunité, entre les crimes sur lesquels il pourrait
enquêter et engager des poursuites et les centaines de milliers d’autres
crimes qui continueraient de relever de la responsabilité première des
gouvernements. Amnesty International l’engage donc à suivre l’exemple du
secrétaire général des Nations unies, qui a déclaré qu’« aucune amnistie ne
[pouvait] être accordée pour des crimes relevant du droit international tels
que le génocide, les crimes contre l’humanité ou les autres violations
graves du droit international humanitaire » [traduction non officielle].

L’article 12-2-b du Statut de Rome confère à la Cour la compétence de juger
les crimes commis par des ressortissants d’États parties, tels que
l’Ouganda, quel que soit l’endroit dans le monde où ces crimes ont été
commis, par exemple en République démocratique du Congo, où des Ougandais et
des ressortissants d’autres pays se sont rendus coupables de graves
atteintes aux droits humains.

Or, le procureur de la Cour mène aussi actuellement une enquête préliminaire
sur les crimes relevant de sa juridiction qui ont été commis dans la région
de l’Ituri, en République démocratique du Congo. Depuis la création de la
Cour le 1er juillet 2002, des milliers de civils ont en effet été victimes
de crimes contre l’humanité ou de crimes de guerre dans cette région. « La
nécessité d’enquêter sur ces crimes et d’en poursuivre les auteurs reste
plus urgente que jamais », a rappelé Amnesty International.

La semaine dernière, le procureur a reçu une lettre du président de la
République démocratique du Congo, Joseph Kabila, dans laquelle celui-ci
exprimait la volonté du gouvernement de collaborer avec la Cour. « Le
gouvernement de la République démocratique du Congo devrait apporter des
preuves supplémentaires de cette volonté en adoptant des lois d’application
efficaces pour le Statut de Rome, en ratifiant et en appliquant l’Accord sur
les privilèges et immunités de la Cour pénale internationale, ou en
saisissant lui-même la Cour. »

Complément d’information

Le conflit qui fait rage depuis dix-huit ans dans le nord de l’Ouganda a
fait des milliers de victimes parmi les civils, et la situation se serait
encore détériorée en 2003. Ce conflit s’accompagne de déplacements massifs
de population, d’homicides arbitraires, de mutilations, d’enlèvements et
d’enrôlements forcés. En particulier, la LRA est accusée d’enlever des
enfants, qu’elle emmènerait parfois de l’autre côté de la frontière, au
Soudan. Parmi ces enfants figurent des dizaines de fillettes utilisées comme
esclaves sexuelles et comme combattantes. La manière dont sont traités les
enfants qui quittent leurs ravisseurs, volontairement ou à la suite
d’opérations militaires, est aussi sujette à controverse. En effet, les
forces de sécurité ougandaises ont été accusées de reformer certains de ces
enfants à des fins militaires pour les utiliser dans la lutte contre la LRA.

Toute amnistie pour des crimes relevant du droit international, tels que le
génocide, les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre, est
interdite aux termes de ce droit, comme l’a souligné Amnesty International
dans de nombreuses études, notamment dans un document récent intitulé Sierra
Leone : Special Court for Sierra Leone : Denial of right to appeal and
prohibition of amnesties for crimes under international law (index AI : AFR
51/012/2003, septembre 2003). L’organisation est opposée à toutes les
mesures d’amnistie, de grâce ou autres mesures d’impunité s’appliquant à des
crimes qui relèvent du droit international dans toutes les circonstances où
ces mesures risquent d’empêcher la justice de déterminer la culpabilité ou
l’innocence d’un accusé, de découvrir la vérité ou d’offrir une réparation
pleine et entière aux victimes.

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