Ouganda. Une proposition de loi sur les médias menace le droit à la liberté d’expression

Déclaration publique

Index AI : AFR 59/006/2010 (Public)-
ÉFAI-
11 mai 2010

Amnesty International s’inquiète d’une proposition de loi du gouvernement ougandais qui imposerait aux médias des restrictions bafouant le droit à la liberté d’expression. Le projet (d’amendement)de la loi sur la presse et les journalistes, du 29 janvier 2010, doit être discuté en Conseil des ministres et, s’il est adopté et soutenu par l’ensemble des ministres, soumis au Parlement en vue de la promulgation d’une loi.

Le projet de loi prévoit de rendre obligatoires l’enregistrement des journaux et l’obtention d’une licence de presse auprès d’un Conseil des médias contrôlé par le gouvernement. Le Conseil aurait tout pouvoir pour révoquer les licences accordées et les journalistes enfreignant la loi seraient sanctionnés par de lourdes amendes et des peines pouvant aller jusqu’à deux ans d’emprisonnement.

Ces propositions ont été mises en avant dans un contexte d’actions gouvernementales remettant en cause la liberté d’expression, particulièrement la liberté de la presse ces dernières années. Actuellement, on compte plus d’une dizaine d’affaires pénales en cours impliquant des journalistes accusés de diffamation pénale, sédition et « publication de fausses nouvelles » pour des articles critiquant le gouvernement. De nombreux journalistes ont également fait l’objet d’arrestations arbitraires à titre individuel et ont été placés en détention ou soumis à des actes de torture et autres mauvais traitements.

Après les manifestations politiques et les émeutes de septembre 2009 dans la capitale Kampala et dans d’autres régions du pays, plusieurs stations de radio et de télévision ainsi qu’un certain nombre de journaux ont fait l’objet d’actes d’intimidation de la part des autorités – la possible fermeture de ces organismes a été évoquée en raison de la couverture des évènements par ces médias. Le Conseil de radiodiffusion – organisme d’État disposant de pouvoirs lui permettant d’exercer le contrôle sur la radiodiffusion, notamment sur le contenu des programmes – a ordonné arbitrairement la fermeture de quatre stations radio, officiellement pour non-respect des conditions concernant le contenu des programmes, énumérées dans la loi sur les médias électroniques de 2000, avant et pendant les manifestations. Aucun avertissement préalable et aucune explication n’ont été donnés aux chaînes sur les raisons de cette fermeture, elles n’ont pas eu non plus la possibilité de faire appel de la décision les concernant, comme le prévoit pourtant la loi. À ce jour, une station de radio est toujours fermée. Le Conseil a également ordonné la cessation de certains programmes radio pendant et immédiatement après les émeutes.

Si le projet de loi sur la presse et les journalistes était adopté, le Conseil des médias pourrait, dans le cadre des pouvoirs que lui confère la loi pour l’enregistrement et l’octroi ou la révocation de licences, décider, à partir de considérations générales et vagues telles que « les valeurs économiques, culturelles et sociales du journal », si les conditions préalables à l’octroi d’une licence sont remplies et si les articles publiés sont préjudiciables à « l’unité, la stabilité et la sécurité nationale » ou aux relations de l’Ouganda avec des pays voisins ou amis » ou s’ils relèvent du « sabotage économique ». À côté de la procédure d’enregistrement et d’autorisation, la publication d’articles « préjudiciables à la sécurité nationale, à la stabilité du pays ou à son unité » ou « relevant du sabotage économique » constitueraient des infractions passibles d’une lourde amende ou d’une peine pouvant aller jusqu’à deux années d’emprisonnement ou des deux.

Dans ce contexte, le projet de loi offrira au gouvernement des pouvoirs élargis pour faire taire toute critique de la politique et des pratiques du gouvernement dans les médias.

Amnesty International considère que le projet de loi élargira et aggravera la censure déjà très présente de la presse écrite au titre des pouvoirs inscrits dans la loi sur la presse et les journalistes en vigueur depuis juillet 1995.

Amnesty International craint que cette loi, qui confère à un organisme contrôlé par l’État le pouvoir de refuser ou de révoquer des licences à des médias sur la base de critères définis en termes vagues, ne comporte un très haut risque de violations du droit à la liberté d’expression, non seulement des journalistes mais de la population ougandaise en général. Le droit à la liberté d’expression inclut le droit non seulement de communiquer, mais aussi de rechercher et de recevoir des informations et des idées de toute espèce. Les médias jouent donc un rôle clé pour permettre l’exercice de ces différents aspects du droit à la liberté d’expression, tant par les journalistes, les professionnels des médias et tous ceux qui souhaitent communiquer des informations et des idées à titre individuel, que par les personnes pour lesquelles les médias sont une source importante d’information.

Amnesty International appelle le gouvernement ougandais à retirer son projet de loi et à amender les lois existantes en vue de les rendre conformes aux obligations du pays relatives à la liberté d’expression garantie en droit international et par l’article 29 de la constitution ougandaise.


Complément d’information

L’article 19 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP)garantit le droit à la liberté d’expression, qui comprend la liberté « de rechercher, de recevoir et de répandre des informations et des idées de toute espèce ». Ce droit est aussi garanti par l’article 9 de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples (CADHP). L’Ouganda est État partie au PIDCP et à la CADHP. L’article 29 de la constitution de l’Ouganda accorde à toute personne le droit de jouir de la liberté de parole et d’expression, qui comprend la liberté de la presse et des autres médias. 

Si le droit international autorise certaines restrictions à l’exercice du droit à la liberté d’expression, le PIDCP dispose que toute ingérence dans le droit à la liberté d’expression doit répondre à trois conditions : (a) être expressément fixée par la loi et (b) être nécessaire à la réalisation de certains objectifs précis autorisés (tels que la protection de la sécurité nationale et de l’ordre public et (c) être justifiée comme étant nécessaire dans les circonstances pour réaliser l’un des objectifs spécifiés. Le Comité des droits de l’homme, organe composé d’experts indépendants chargés de contrôler l’application du PIDCP par les États a fait observer, dans son Observation générale sur l’article 19, que « Lorsqu’un État partie impose certaines restrictions à l’exercice de la liberté d’expression, celles-ci ne peuvent en aucun cas porter atteinte au droit lui-même. »

L’article 43 de la constitution ougandaise prévoit que dans la jouissance des droits garantis par la Constitution, nul ne saurait porter préjudice aux droits humains et libertés fondamentales d’autrui ou à l’intérêt public. L’article 43(2)(c) de la constitution précise cependant que l’intérêt public ne doit pas autoriser la limitation de la jouissance des droits et libertés au delà de ce qui est acceptable et justifié dans une société libre et démocratique, ou de ce qui est prévu par la constitution.

Les manifestations et les émeutes qui ont eu lieu du 10 au 13 septembre 2009 à Kampala et dans d’autres régions avaient éclaté après le décision du gouvernement d’empêcher une délégation du royaume de Buganda en Ouganda de se rendre dans le district de Kayunga à l’est du pays pour participer aux célébrations de la Journée nationale de la jeunesse le 12 septembre. Selon la police, la décision avait été prise pour empêcher de possibles violences entre partisans du Kabaka, souverain traditionnel des Bagandas et les Banyalas, membres d’une tribu locale hostile à l’autorité du Kabaka. Les affrontements auraient fait 27 morts. La moitié des victimes au moins auraient succombé à des tirs de la police et des agents des forces de sécurité.

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