Ouzbékistan : Informations faisant état d’actes de torture infligés à Rachitjon Kadirov et ses coaccusés

Amnesty International, l’Association pour les droits de l’homme en Asie centrale (AHRCA), Human Rights Watch, le Partenariat international pour les droits de l’homme (IPHR) et le Comité Helsinki de Norvège font part de leurs vives inquiétudes quant aux allégations selon lesquelles Rachitjon Kadirov, ancien procureur général d’Ouzbékistan, et ses 12 co-accusés ont été torturés et ont subi d’autres formes de mauvais traitements après avoir été placés en détention par le gouvernement.

Le 7 janvier 2019, devant le tribunal pénal du district de Iounoussabad, a débuté le procès à huis clos de Rachitjon Kadirov et de ses co-accusés. Rachitjon Kadirov est inculpé au titre de 12 articles du Code pénal pour des infractions incluant la fraude, la corruption et le détournement de fonds. Nous demandons aux autorités ouzbèkes d’enquêter immédiatement sur les allégations de torture et d’autres mauvais traitements et, s’il existe des preuves crédibles de tels actes, de poursuivre toutes les personnes soupçonnées d’en être pénalement responsables dans le cadre de procès équitables respectant les normes internationales. Nous souhaitons également leur rappeler qu’elles doivent garantir le bien-être physique et moral de Rachitjon Kadirov et de ses co-accusés, et les traiter conformément au droit international relatif aux droits humains que l’Ouzbékistan est tenu de respecter.

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Selon des informations crédibles émanant de sources proches de Rachitjon Kadirov, depuis qu’il a été arrêté le 21 février 2018, il a été soumis à des violences psychologiques, des menaces de mort, des privations de sommeil et des menaces visant ses proches destinées à le forcer à témoigner contre lui-même. D’après ces sources, lors de l’information judiciaire qui a duré 10 mois en 2018, plus de 40 personnes, dont certains de ses proches, ont été convoquées pour témoigner et certaines ont été détenues de manière arbitraire, frappées et soumises à d’autres mauvais traitements par des responsables de l’application des lois. Tous les témoins ont depuis été libérés.

Trois de ses co-accusés libérés de détention provisoire en août 2018 sont toujours assignés à résidence. Rachitjon Kadirov et les neuf autres maintenus en détention provisoire depuis février 2018 risquent toujours de subir des actes de torture et d’autres mauvais traitements.

Deux sources crédibles et un témoin [1] qui ont vu Rachitjon Kadirov en détention en août 2018 ont signalé les mauvais traitements qui lui ont été infligés. Le témoin a raconté qu’ils ont vu une marque allongée dans le cou de Rachitjon Kadirov et que celui-ci était visiblement déprimé, refermé sur lui-même et presque incapable de répondre aux questions. Il portait un pull à manches longues et malgré la demande des témoins, il a refusé de l’enlever pour un examen physique un peu plus poussé.

Rachitjon Kadirov a dit à ce témoin qu’il partageait une cellule avec trois autres détenus qui lui faisaient subir des pressions psychologiques et des violences physiques, notamment en le rouant de coups, sur ordre des autorités pénitentiaires. Il aurait également déclaré que des responsables avaient pointé un pistolet sur sa tête pour le forcer à « avouer », lui disant qu’il allait être pendu et que sa mort serait maquillée en suicide. Ils l’auraient également placé à l’isolement, nu, sans lit ni draps, l’auraient régulièrement privé de sommeil entre le 21 février et le 18 mars 2018 et auraient menacé de l’accuser d’un homicide qu’il n’a pas commis.

Des responsables de l’application des lois auraient également forcé Rachitjon Kadirov à assister au passage à tabac de son gendre, dans le but de l’obliger à témoigner contre lui-même. Il n’aurait qu’un accès restreint à la nourriture, aux médicaments et aux toilettes. En mai 2018, il a été conduit à l’hôpital de la prison pour y être soigné pendant une courte période.

Le traitement réservé aux témoins et aux co-accusés dans l’affaire concernant Rachitjon Kadirov

D’après nos sources crédibles, qui souhaitent garder l’anonymat pour des raisons de sécurité, les co-accusés de Rachitjon Kadirov et d’autres personnes brièvement détenues en tant que témoins dans le cadre de l’enquête ont été soumis à des actes de torture et d’autres mauvais traitements et ont subi des violations des garanties prévues par la loi. Les accusés Oulougbek Khouramov, Ramazan Poulatov, Mouhabbat Mirzaïeva, Akhmat Ikramov, Oulougbek Sounnatov et Jamchit Faïziev auraient fait des déclarations au tribunal affirmant qu’ils ont été torturés, en étant frappés sur la plante des pieds et soumis à des décharges électriques, notamment sur les parties génitales.

Ramazan Poulatov aurait fait une attaque après avoir été interrogé plusieurs heures et menacé de représailles contre sa famille. Depuis, il ne peut plus ni parler ni marcher.

Ramazan Poulatov aurait fait une attaque après avoir été interrogé plusieurs heures et menacé de représailles contre sa famille. Depuis, il ne peut plus ni parler ni marcher. Ramazan Poulatov et Miraglam Mirzaïev, un autre accusé qui aurait fait une attaque lors de son arrestation, ont été conduits au tribunal en ambulance en raison de leur état de santé. Mouhabbat Mirzaïeva et Ioussouf Goïpov, eux aussi co-accusés, souffrent de graves problèmes de santé spécifiques. Nous avons également reçu des informations crédibles selon lesquelles Choukour Aminov, un témoin, a été roué de coups au niveau des reins pour le contraindre à fournir des preuves contre l’accusé [2].

Le 3 mars 2018, des responsables de l’application des lois ont effectué des perquisitions au domicile de neuf proches de Rachitjon Kadirov. Du 5 au 10 mars, 13 hommes de sa famille auraient été détenus pendant trois jours et placés à l’isolement. Quatre femmes de son entourage ont été brièvement détenues, et des responsables de l’application des lois leur ont demandé de réunir et de leur remettre une grosse somme d’argent. Le 6 mars, ils ont conduit un autre membre de sa famille dans sa cellule pour le voir et lui ont dit que s’ils ne réunissaient pas une grosse somme d’argent pour la leur remettre, leurs fils seraient arrêtés et enfermés dans la même cellule que Rachitjon Kadirov.

Au moins huit partenaires et clients du cabinet d’avocats de son fils Alitcherbek Kadirov ont également été détenus en tant que témoins et certains ont été frappés, interrogés pendant plusieurs jours sans dormir et soumis à des pressions psychologiques en vue de les contraindre à témoigner contre Rachitjon Kadirov. Sept témoins ont fait des déclarations au tribunal affirmant qu’entre mars et juin 2018, ils avaient été soumis à des pressions physiques et psychologiques dans le but de fournir des déclarations. Ils ont renoncé à leurs déclarations au tribunal. Les avocats des accusés auraient soumis 40 demandes d’examens médicaux et d’investigations liées aux conditions de détention, toutes rejetées par le juge [3].

D’après nos sources crédibles, toutefois, à la suite de l’Action urgente d’Amnesty International du 8 avril 2019, qui réclamait qu’une enquête impartiale soit menée en raison des vives inquiétudes concernant le risque de torture et de mauvais traitements planant sur Rachitjon Kadirov et ses co-accusés, le juge a ordonné un examen médical pour tous les co-accusés afin d’établir avec certitude s’ils avaient été torturés.

Nous saluons cette mesure positive, tout en restant préoccupés par les déclarations faites le 11 et le 21 avril 2019 par le bureau du procureur général à la suite de l’Action urgente d’Amnesty International, indiquant que les examens médicolégaux réalisés dans le cadre de l’enquête n’avaient décelé aucun élément attestant de coups et blessures. Ces déclarations ne fournissaient aucun autre détail. Une telle réponse ne peut être considérée comme une enquête indépendante et impartiale sur les allégations concernées. En outre, les conclusions de l’examen médicolégal n’ont pas été mises à la disposition de la défense, qui ignore qui a réalisé ces examens et quand.

Appels adressés aux autorités ouzbèkes

Depuis que le président Chavkat Mirziyoyev est arrivé au pouvoir en 2016, il a pris des mesures afin d’améliorer le bilan de l’Ouzbékistan en termes de droits humains, notamment en édictant des décrets présidentiels et en adoptant des modifications législatives visant à renforcer la protection des droits des citoyens dans le cadre des procédures judiciaires [4].

Aux termes du droit international, l’interdiction de la torture est absolue et s’applique en tous temps, en toutes circonstances, y compris dans les situations de guerre ou d’état d’urgence, et s’applique à tous les États, quelles que soient les obligations qui leur incombent aux termes des traités, en tant que règle du droit international coutumier. L’interdiction absolue de la torture s’applique en toutes circonstances, y compris lorsque les personnes concernées ont pu commettre de graves crimes et de graves violations des droits humains.

Aussi, nous rappelons au gouvernement de l’Ouzbékistan l’obligation qui lui incombe au titre du droit international de prévenir l’usage de la torture et des mauvais traitements en toutes circonstances, sans exception. Nous demandons aux autorités d’ouvrir une enquête efficace et impartiale sur les allégations de torture et de mauvais traitements concernant Rachitjon Kadirov, ses coaccusés et d’autres personnes et, en cas de preuves crédibles, d’engager des poursuites contre toutes les personnes soupçonnées d’être pénalement responsables dans le cadre de procès équitables, devant des tribunaux civils de droit commun.

Par ailleurs, nous engageons les autorités ouzbèkes à confirmer rapidement l’état de santé de Rachitjon Kadirov et de ses co-accusés, et à leur permettre de bénéficier des soins médicaux nécessaires et adéquats.

Nous leur demandons d’ouvrir le procès de Rachitjon Kadirov et de ses co-accusés aux observateurs indépendants et aux experts, de lever l’interdiction de divulguer des informations liées à cette affaire et de faire en sorte que les accusés soient représentés par l’avocat de leur choix et bénéficient d’un procès libre et équitable.

En vertu du droit international, l’Ouzbékistan est tenu d’assurer une protection contre l’ingérence de l’exécutif dans les décisions judiciaires, conformément à la Constitution du pays et aux normes internationales relatives aux droits humains qui garantissent l’indépendance de la justice. Nous invitons la communauté internationale à suivre l’évolution de cette affaire, afin de veiller au respect de la légalité et des normes internationales d’équité des procès, et à protéger les accusés et les témoins contre tout risque de torture et d’autres mauvais traitements.

Notes

[1Ce témoin, qui connaît Rachitjon Kadirov depuis de nombreuses années, a souhaité garder l’anonymat pour des raisons de sécurité.

[3Il s’agit de témoins directs, qui préfèrent taire leur identité pour des raisons de sécurité.

[4Décret présidentiel du 21/10/2016 Numéro УП-4850, sur les mesures visant à réformer davantage le système judiciaire et juridique, renforçant les garanties relatives à la protection fiable des droits et des libertés des citoyens ; Décret présidentiel du 30 novembre 2017 Numéro UP-5268, sur les mesures supplémentaires visant à renforcer les garanties des droits et des libertés des citoyens dans le cadre des procédures judiciaires et d’investigations ; Loi de la République d’Ouzbékistan Numéro ZRU-470 du 04/04/2018, sur les amendements et les ajouts aux textes législatifs de la République d’Ouzbékistan en lien avec l’adoption de mesures visant à renforcer les garanties des droits et des libertés des citoyens dans le cadre des procédures judiciaires et d’investigations.

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