Ouzbékistan : Des utilisateurs de Facebook arrêtés et interrogés

L’Association pour les droits de l’homme en Asie centrale (AHRCA), le Partenariat international pour les droits de l’homme (IPHR) et Amnesty International sont préoccupés par une récente série d’arrestations et d’interrogatoires visant un certain nombre d’utilisateurs du réseau social Facebook en Ouzbékistan.

Depuis le 24 août, des sources en Ouzbékistan informent nos organisations que des dizaines de personnes sont arrêtées arbitrairement un peu partout dans le pays et détenues sur la base de charges administratives après avoir publié des commentaires sur leur page Facebook ou « liké » et partagé des publications d’autres membres de Facebook.

Tous les commentaires concernés semblent porter sur des questions culturelles et religieuses que les autorités ouzbèkes jugent particulièrement sensibles, par exemple le port du hidjab (foulard islamique), qui est interdit sur le lieu de travail et à l’école en Ouzbékistan. Nous sommes préoccupés par le fait que les autorités ouzbèkes tentent de réprimer, sur les réseaux sociaux, toute discussion critique à l’égard des politiques culturelles et religieuses et des initiatives législatives des autorités.

L’identité de neuf des personnes arrêtées est la suivante : Adham Olimov, Otabek Ousmanov, Miraziz Ahmedov, Ziyovouddine Rahim, Toulkine Astanov, Tourabek Baïmirzaev, Dilchod Khalilov, Khourchidbek Moukhammadrozykov et Erkine Soulaïmon. La police a également détenu et interrogé trois personnes pendant quatre à cinq heures : Chokir Charipov (alias Mouhammad Chakour sur Internet), Iskander Sadirov et Malokhat Anvarova (alias Oummou Abbos sur Internet). Selon les médias, plusieurs des utilisateurs de Facebook arrêtés ont été libérés le 11 septembre, dont Miraziz Ahmedov, Adham Olimov et Dilchod Khalilov, mais leurs ordinateurs et téléphones ne leur ont pas été restitués.

Plusieurs des personnes arrêtées ont signé des déclarations par lesquelles elles s’engageaient à ne plus participer à des activités « suspectes », sans que les forces de l’ordre leur expliquent en quoi consistaient de telles activités. Le terme « suspect », de plus, n’est pas défini par le droit et ne fait référence à aucune infraction internationalement reconnue, cette demande constitue donc une restriction arbitraire du droit à la liberté d’expression.

Plusieurs des personnes arrêtées ont signé des déclarations par lesquelles elles s’engageaient à ne plus participer à des activités « suspectes », sans que les forces de l’ordre leur expliquent en quoi consistaient de telles activités.

Selon les informations dont nous disposons, les autorités ont localisé les utilisateurs de Facebook via leur adresse IP, puis ont envoyé des policiers d’unités régionales antiterroristes du ministère des Affaires intérieures pour les arrêter, fouiller leur domicile et saisir des ordinateurs et des équipements techniques, dans la plupart des cas sans présenter de mandat d’arrêt ni de perquisition. Dans les cas dont nous avons eu connaissance, les interrogatoires au poste de police ont duré au moins quatre heures, et ont eu lieu en l’absence d’avocat et sans que les proches des personnes détenues aient été informés de leur arrestation. Les charges retenues étaient souvent disproportionnées par rapport aux faits reprochés - ainsi, une personne qui avait essayé d’organiser une manifestation à petite échelle (piquet) a été inculpée d’incitation à des troubles de grande ampleur.

Selon des informations que nous avons reçues de sources qui ne peuvent être identifiées pour des raisons de sécurité, des membres des forces de l’ordre ont arbitrairement inculpé certaines des personnes arrêtées de « désobéissance aux ordres légitimes d’un policier » au titre de l’article 194 du Code des infractions administratives. Dans certains cas, des policiers eux-mêmes ont outrepassé les pouvoirs qui leur étaient conférés en insultant des détenus, en les agressant physiquement et en leur faisant subir des mauvais traitements.

Les autorités ont localisé les utilisateurs de Facebook via leur adresse IP, puis ont envoyé des policiers d’unités régionales antiterroristes du ministère des Affaires intérieures pour les arrêter, fouiller leur domicile et saisir des ordinateurs et des équipements techniques, dans la plupart des cas sans présenter de mandat d’arrêt ni de perquisition.

Les cas décrits ci-dessous montrent que les autorités ouzbèkes surveillent de très près les réseaux sociaux et réagissent fortement aux commentaires critiques de particuliers concernant, par exemple, l’interdiction de porter le hidjab (voile islamique) ou des initiatives visant à organiser des manifestations à petite échelle.

Chokir Charipov (alias Mouhammad Chakour) a été arrêté le 25 août 2018. Il vit dans la région de Tachkent et a 4 879 « amis » et 753 abonnés sur Facebook. Il est en fauteuil roulant. Huit agents du bureau des Affaires intérieures du district de Kibraïsk, à Tachkent, sont venus l’arrêter à son domicile et l’ont emmené au poste de police. Pendant sa détention, il aurait été maltraité, menacé et insulté. Son ordinateur, son téléphone et d’autres équipements ont été saisis sans mandat ni récépissé. Plusieurs heures après, il a été ramené chez lui. Selon les médias, il a été inculpé d’« incitation à des troubles de grande ampleur » et de « résidence sans titre de séjour ».

Peu de temps avant son arrestation, le commentaire suivant (en ouzbek) était apparu sur la page Facebook de Mouhammad Chakour : « Les piquets - manifestations pacifiques - sont indispensables à un État démocratique. Le terme piquet renvoie à l’expression de toute protestation par un petit groupe de personnes. Il faut quatre personnes. Je suis la cinquième. Nous organiserons un piquet. Un piquet pacifique. Les slogans figurant sur les banderoles seront les suivants : « Un foulard n’est pas une arme ! », « Le foulard est une exigence de notre foi ! », « Ne piétinez pas nos âmes ! » »

Près de 200 utilisateurs de Facebook ont « liké » cette publication et les discussions qui suivaient et ont commencé à la partager. La législation ouzbèke n’interdit pas d’inciter des personnes à participer à un piquet, ce qui explique peut-être pourquoi Chokir Charipov a été inculpé d’incitation à des troubles de grande ampleur.

Adham Olimov (alias Moussanif Adham sur Internet) compte 5 601 abonnés à sa page personnelle. Il écrit sur des problèmes sociopolitiques et des questions relatives à la spiritualité et à la morale, et commente les changements au sein de la société. Il a été arrêté par un policier et huit agents du bureau des Affaires intérieures de l’arrondissement d’Olmazar le 28 août à 18 h 40 à son domicile, dans le quartier d’Almazar, à Tachkent. Le 29 août, il a été condamné à 15 jours de détention par le tribunal administratif d’Almazar pour les infractions administratives suivantes : « désobéissance aux ordres légitimes d’un policier » et « entrave au travail de policiers ». Adham Olimov est actuellement en détention.

Il est en fauteuil roulant. Huit agents du bureau des Affaires intérieures du district de Kibraïsk, à Tachkent, sont venus l’arrêter à son domicile et l’ont emmené au poste de police. Pendant sa détention, il aurait été maltraité, menacé et insulté. Son ordinateur, son téléphone et d’autres équipements ont été saisis sans mandat ni récépissé.

Otabek Ousmanov est originaire d’Andijan. Il a attiré l’attention des autorités en raison de ses commentaires sur des questions spirituelles et morales, comme les restrictions imposées par les autorités aux enfants autorisés à se rendre à la mosquée. Selon Fergana News, il a été arrêté par des représentants du ministère des Affaires intérieures sur son lieu de travail chez General Motors, dans la région d’Andijan, et détenu dans une cellule avec un groupe de femmes qui se sont querellées avec lui et ont porté plainte contre lui auprès du parquet régional. À la suite de cette plainte, le 29 août, les forces de l’ordre d’Andijan l’ont inculpé de « houliganisme mineur » et l’ont détenu pendant 15 jours.

Ziyovouddine Rahim : Ziyovouddine Kabirov, qui écrit sous le pseudonyme de Ziyovouddine Rahim, est théologien et l’auteur de plus de 20 ouvrages religieux. Il a 4 975 « amis » et 3 260 abonnés sur Facebook. Ses articles portent sur des questions spirituelles et morales. Peu d’informations sont disponibles sur sa détention, bien que l’on sache que sa maison a été fouillée lors de son arrestation et qu’il était toujours sous la garde des autorités au moment de la rédaction de la présente Déclaration.

On sait également que Toulkine Astanov, un utilisateur de Facebook, a été arrêté le 24 août et retenu pendant 10 jours en détention administrative. 

Le sort de Miraziz Ahmedov est resté inconnu pendant une dizaine de jours. Le 2 septembre, il a écrit sur sa page Facebook : « J’ai été convoqué par la police. Priez pour moi. » Le jour même, il s’est rendu au poste de police de district où il avait été convoqué et n’a plus été vu avant sa libération, le 11 septembre. Selon des sources évoquées par l’agence de presse Ferghana.ru, il a été détenu au bureau des affaires intérieures de Tachkent. Miraziz Ahmedov a travaillé pendant plus de 15 ans en tant qu’architecte d’intérieur et a fondé le Miraziz Design Group. À l’automne, ce studio prévoyait d’ouvrir des écoles de design dans plusieurs villes d’Ouzbékistan.

Le 2 septembre, il a écrit sur sa page Facebook : « J’ai été convoqué par la police. Priez pour moi. » Le jour même, il s’est rendu au poste de police de district où il avait été convoqué et n’a plus été vu avant sa libération, le 11 septembre.

Miraziz Ahmedov a évoqué à maintes reprises des sujets religieux sur Facebook. Ainsi, en réponse à une résolution du gouvernement sur l’introduction d’un uniforme scolaire standard à l’échelle nationale, il a écrit que si sa fille n’était pas autorisée à porter le voile à l’école, elle ne pourrait pas s’y rendre. Il a condamné à plusieurs reprises ce qu’il considérait comme l’hypocrisie des débats religieux et a appelé les utilisateurs à rejoindre un groupe pour défendre les droits des musulmans en Ouzbékistan.

Des informations sur les détentions de ces utilisateurs de réseaux sociaux continuent à arriver d’Ouzbékistan ; toutefois, il s’avère difficile de suivre la situation actuelle des personnes détenues, même quand elles l’ont été pendant une courte période, car elles se refusent à tout commentaire. Les familles refusent également d’évoquer leur détention. Nous craignons que cela ne signifie que les autorités ont soumis ces personnes à des pressions pour les empêcher de parler aux médias ou aux observateurs des droits humains.

Le 5 septembre, le ministère de la Justice a publié un communiqué de presse évoquant la création d’un registre des sites Internet interdits, répertoriant les sites qui publient des informations appelant à renverser par la violence le système constitutionnel, à propager la violence, le terrorisme et l’extrémisme religieux, ou à fournir des informations confidentielles sur des secrets d’État ou des lois, ainsi que les sites qui incitent à la haine nationale, ethnique ou religieuse ou portent atteinte à l’honneur ou à la dignité des citoyens. Compte tenu du contexte restrictif en matière de liberté d’expression en Ouzbékistan, nous craignons que cette mesure de même que d’autres mesures, récemment annoncées, qui règlementent et restreignent l’accès à des sites Internet supposés diffuser ce type d’informations - n’ait pour conséquence de nouvelles violations des droits fondamentaux des internautes qui consultent de tels sites.

Nous appelons les autorités ouzbèkes à :

  libérer immédiatement et sans condition toutes les personnes détenues pour avoir simplement exercé leur droit à la liberté d’expression ;
  enquêter sur les informations selon lesquelles des policiers ont maltraité des internautes lors de leur arrestation et pendant leur détention administrative ;
  mettre les dispositions nationales régissant les médias en ligne, imprimés et radiodiffusés en pleine conformité avec les obligations internationales de l’Ouzbékistan en matière de droits humains, et veiller au plein respect du droit à la liberté d’expression en droit et en pratique ;
  garantir un accès illimité aux ressources d’information sur Internet, notamment aux sites d’information, aux réseaux sociaux et aux sites des organisations de la société civile, tant nationaux qu’internationaux ;
  veiller à ce qu’aucune restriction ne soit appliquée aux réseaux sociaux, aux médias et à la littérature, à moins qu’elles ne soient manifestement proportionnées et nécessaires à la protection des droits d’autrui ou à certains objectifs précis d’intérêt public, conformément au droit international ;
  veiller à ce que les journalistes, les écrivains et les particuliers puissent mener leurs activités librement, sans craindre des représailles pour avoir exprimé des vues critiques ou évoqué des sujets jugés sensibles par les autorités.

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