Paraguay. La perquisition d’une ONG serait une sanction contre l’opposition publique de celle-ci à une expédition scientifique

Déclaration publique

ÉFAI

6 décembre 2010

Index AI : AMR 45/007/2010

Amnesty International fait part de sa préoccupation face aux agissements de l’État contre Iniciativa Amotocodie, une organisation non gouvernementale (ONG) travaillant avec des groupes indigènes Ayoreo isolés ou sans contacts avec le monde extérieur, dans le département du Chaco paraguayen.

Mercredi 1er décembre 2010, des employés du parquet et des policiers ont perquisitionné les bureaux d’Iniciativa Amotocodie, à la suite de l’ouverture d’une enquête contre cette ONG. L’organisation avait publiquement dénoncé une expédition scientifique du nom de Chaco Seco 2010 , parce qu’elle craignait que celle-ci n’enfreigne les droits de peuples indigènes isolés. L’expédition a été suspendue le 12 novembre par le gouvernement paraguayen. Il semble que les agissements visant l’ONG et les défenseurs des droits humains qui la composent constituent des représailles contre les critiques formulées par ces derniers à la veille de l’expédition.

L’organisation considère en outre qu’une série d’erreurs de procédure, conjuguées à une interprétation erronée de la mission et des compétences inhérentes à l’action d’une ONG, jettent le doute sur la légalité et la légitimité de l’intervention du parquet et de la police.

Au lieu de remettre en question l’organisation d’une expédition scientifique qui n’a pas suffisamment pris en considération l’impact potentiel sur les droits de groupes indigènes isolés, ou de prendre les initiatives qui s’imposaient afin de consulter au préalable d’autres groupes indigènes qui pourraient être touchés, les autorités ont détourné l’attention du problème de fond en critiquant les défenseurs des droits humains.

La perquisition a été ordonnée par le parquet après qu’un groupe de 16 dirigeants et membres de communautés Ayoreo se furent plaints lors d’une réunion organisée par la Direction des affaires ethniques du ministère public ayant semble-t-il le but d’« informer » l’Union des autochtones Ayoreo du Paraguay au sujet de cette expédition scientifique. Au cours de cette réunion, ils ont dit que l’organisation Iniciativa Amotocodie avait fait pression sur d’autres dirigeants et représentants de la communauté Ayoreo et les avaient abusés afin qu’ils signent un document s’opposant à la présence des scientifiques, allégations réfutées publiquement par l’organisation.

Les minutes de ces réunions, ainsi que les documents signés par différents dirigeants et représentants de la population Ayoreo s’opposant à l’expédition scientifique montrent clairement l’existence de divergences d’opinion sur cette expédition et sur son impact potentiel. Il semble que l’État, n’ayant pas mené de consultation préalable, libre et approfondie auprès des groupes indigènes pouvant être dérangés par l’expédition, aurait profité de divergences exacerbées par ses propres manquements afin d’encourager les critiques à l’égard d’un des multiples acteurs de cette situation complexe. La situation en question résulte d’intérêts divers relatifs à certaines terres et à leur utilisation, qui se heurtent aux demandes formulées par les peuples indigènes afin que leur droit à leurs terres ancestrales soit respecté.

Ce cas illustre une fois encore le fait que le Paraguay n’applique pas certaines normes internationales relatives aux droits des populations indigènes, ainsi que la nécessité d’adopter en urgence des protocoles et des critères pour les processus de consultation visant à obtenir un consentement libre, préalable et éclairé de la part des peuples autochtones du pays. Ces paramètres doivent être conformes aux normes consacrées par la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones et la Convention 169 de l’Organisation internationale du Travail.
Amnesty International est préoccupée par le fait que tout cela se déroule sur fond de critiques croissantes à l’égard des ONG et des défenseurs des droits humains au Paraguay, critiques se fondant en outre très souvent sur des interprétations erronées et déformées de leur rôle de défense et de la législation régissant leurs activités.

Depuis peu, Iniciativa Amotocodie et d’autres organisations défendant les droits humains voient leur travail remis en question dans des campagnes de dénigrement orchestrées par certains médias.
La Déclaration des Nations unies sur les défenseurs des droits de l’homme, adoptée en 1998, insiste sur l’obligation pour les gouvernements de reconnaître et de soutenir le travail essentiel effectué par les défenseurs des droits humains, ainsi que de garantir qu’ils puissent mener leur action sans craintes de représailles ou de menaces.

Amnesty International pense qu’il est du devoir des autorités paraguayennes d’enquêter sur les atteintes au droit national, et déplorerait tout acte de pression ou de tromperie commis par les autorités ou des personnes occupant des postes à responsabilité, qu’il conviendrait d’examiner de manière impartiale le cas échéant. L’organisation de défense des droits humains estime cependant que les nombreuses erreurs de procédures commises jusqu’à présent rendent l’action pénale engagée infondée et indéfendable.

Parmi les erreurs de procédure constatées, on peut citer l’absence de base juridique justifiant l’ordre judiciaire relatif à la perquisition ; cet ordre mentionne par ailleurs de nouvelles charges pénales qui ne sont pas citées dans la demande du parquet concernant l’ouverture de l’enquête. Le caractère générique du mandat de perquisition, ainsi que l’autorisation de « relever tout type d’éléments de preuve », ont permis aux agents du parquet de saisir des documents sans aucun rapport avec les chefs d’inculpation cités. Il est en outre préoccupant de constater que le courrier personnel de membres de l’organisation, qui n’avait rien à voir avec leur travail ou la plainte déposée, a été ouvert dans le cadre de la perquisition.
Complément d’information

Le projet Chaco Seco 2010 a été mis sur pied par le Musée d’histoire naturelle de Londres, en collaboration avec le gouvernement paraguayen (Secrétariat à l’environnement) et l’ONG paraguayenne Guyra Paraguay. En septembre, les autorités paraguayennes ont publiquement évoqué l’expédition pour la première fois, bien que la planification de ce projet ait été en cours depuis plus d’un an. Face aux critiques suscitées, l’expédition a été suspendue.

Le Chaco paraguayen est habité par diverses populations indigènes, dont certaines n’ont aucun contact avec le monde extérieur. L’État a l’obligation de consulter les populations indigènes sur tout projet susceptible de les affecter. Il existe, pour les peuples indigènes isolés et de premier contact, un ensemble de directives de protection préparées par le Haut commissaire des droits de l’homme des Nations unies, en collaboration avec des représentants de l’État, des organisations indigènes et d’autres acteurs, qui ont pour objectif de guider l’État paraguayen afin qu’il mette en place un travail de consultation préalable avec ces groupes.

Le 22 novembre, María José Irrazábal, procureure et responsable de la Direction des droits ethniques du parquet, a ordonné l’ouverture d’une enquête sur des faits de « simulation d’un acte punissable » (article 291 du Code pénal) contre Iniciativa Amotocodie, en citant la tenue d’une réunion de dirigeants Ayoreo rattachés à l’Union des autochtones Ayoreo du Paraguay, le 12 novembre, à laquelle elle a assisté « compte tenu de notre fonction de protection des droits et de la voix des peuples indigènes, afin d’éviter que ceux-ci soient en position de vulnérabilité ».

Dans les minutes de la réunion entre le parquet et 16 dirigeants et membres de communautés Ayoreo, il est fait référence aux actions menées par Iniciativa Amotocodie ; l’organisation y est notamment accusée d’avoir fait pression sur d’autres dirigeants et représentants de la communauté Ayoreo afin qu’ils signent un document hostile à l’expédition le 25 octobre.
Sur la base de cette enquête préliminaire, un mandat de perquisition a été émis le 30 novembre. Ce mandat revêt un caractère générique, ordonnant une perquisition « dans le but de relever des éléments de preuves matériels et documentaires, soit toutes les informations utiles en relation avec l’enquête en cours, et de procéder à l’arrestation des commanditaires et participants présumés des faits punissables faisant actuellement l’objet d’investigations ». Cependant, il convient de noter qu’il mentionne deux chefs d’accusation passibles de sanctions – « abus de confiance » (article 192) et « non notification d’un acte punissable » (article 240) – qui ne figuraient pas dans le document ayant donné lieu à l’ouverture de l’enquête.

Mercredi 1er décembre 2010, les bureaux de l’ONG Iniciativa Amotocodie ont été perquisitionnés par des représentants du ministère public et des membres de la police nationale. La perquisition a débuté à 14 h 30 sans que l’organisation n’en ait été avisée ; les employés n’étaient pas présents. Les personnels du ministère public et les policiers ont brisé une fenêtre pour pouvoir entrer dans les locaux. Au bout d’une heure, un membre de l’organisation est arrivé, suivi un peu plus tard de sympathisants de l’ONG. Pendant neuf heures, les fonctionnaires ont rassemblé et confisqué archives, ordinateurs et documents. Il semble par ailleurs que les employés du parquet aient appelé un journaliste de la publication nationale ABC Color afin qu’il couvre la perquisition.

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