Pérou. Amnesty International déplore la décision qui a été prise concernant des événements survenus à la prison d’El Frontón

Déclaration publique

Index AI : AMR 46/012/2008 -
ÉFAI

Amnesty International déplore la décision du Tribunal constitutionnel du Pérou dans l’affaire Teodorico Bernabé Montoya. Le Tribunal a déclaré irrecevable le recours en inconstitutionnalité déposé par l’organisation non gouvernementale Instituto de Defensa Legal (IDL).

Au-delà des raisons invoquées par le Tribunal pour le rejet du recours, cette décision revient à une reconnaissance implicite du caractère prescriptible des crimes commis à la prison d’El Frontón, dont l’homicide et la disparition de plus d’une centaine de personnes qui y étaient détenues en 1986.

L’organisation a bien conscience de ce que l’État péruvien se devait de mettre fin à la mutinerie ayant eu lieu les 18 et 19 juin 1986 à la prison d’El Frontón, mais cette intervention aurait dû se dérouler dans le respect de la législation nationale et du droit international et ne pas se transformer en une attaque de toute évidence disproportionnée.

D’autre part, Amnesty International regrette que, huit ans après la décision de la Cour interaméricaine des droits humains dans l’affaire Durand et Ugarte, une résolution ait été adoptée qui semble avaliser la prescription d’infractions présumées au droit international. En août 2000, la Cour interaméricaine avait statué à l’unanimité que l’État péruvien était tenu de faire « tous les efforts possibles pour retrouver et identifier les restes des victimes et les rendre à leur famille, ainsi que pour enquêter sur les faits et poursuivre et punir les responsables ». Elle avait ajouté qu’à cette obligation d’enquêter s’ajoutait celles de préparer la mise en place d’une commission des disparitions forcées et de sanctionner les personnes soupçonnées d’être responsables de ces agissements. La Cour précisait également que ces obligations demeureraient jusqu’à ce que l’État s’en soit pleinement acquitté. Amnesty International considère que les agissements d’éléments des forces armées dans l’affaire d’El Frontón constituent des crimes contre l’humanité du fait qu’ils s’inscrivaient dans une attaque généralisée et systématique contre des civils ; l’organisation considère que ces crimes en tant que tels sont imprescriptibles. Le Pérou ayant reconnu la compétence de la Cour interaméricaine des droits humains, il est tenu de respecter ses décisions et, comme l’a rappelé la Cour, de s’y plier de bonne foi.

Amnesty International rappelle en outre qu’en tant qu’État partie à la Convention de Vienne sur le droit des traités, le Pérou a accepté qu’il ne pouvait pas « invoquer les dispositions de son droit interne comme justifiant de la non-exécution d’un traité ».

En conclusion, Amnesty International rappelle à l’État péruvien qu’il a le devoir de faire toute la lumière sur ce qui s’est passé à la prison d’El Frontón ; d’ouvrir des enquêtes sur les infractions qui y ont été commises ; d’engager des poursuites contre les personnes soupçonnées de ces agissements et de respecter le droit des proches des victimes à la justice et à la vérité.

Complément d’information

Lorsque plusieurs mutineries ont éclaté dans différentes prisons du pays le 18 juin 1986, les autorités péruviennes ont chargé le Commandement unifié des forces armées de reprendre le contrôle des prisons, ce dont se sont chargées la Marine de guerre et la Garde républicaine du Pérou. Le 19 juin, des membres de ces deux corps d’armée ont pris des mesures violentes disproportionnées à l’encontre des détenus ; ils ont utilisé des armes à feu et ont procédé à la destruction du bâtiment Pabellón Azul, provoquant la mort par écrasement des détenus qui se trouvaient à l’intérieur. Nolberto Durand Ugarte et Gabriel Pablo Ugarte Rivera ne figuraient pas sur la liste des survivants et, en raison de l’insuffisance manifeste des recherches effectuées, leurs dépouilles ne furent jamais identifiées.

Les démarches entreprises par la mère et sœur de ces personnes devant la justice péruvienne n’ayant donné aucun résultat, l’affaire a été portée devant la Commission interaméricaine des droits de l’homme puis devant la Cour interaméricaine des droits de l’homme. La Cour, dans sa décision du 16 août 2000, a statué qu’il y avait violation, de la part de l’État péruvien, de plusieurs droits fondamentaux de Nolberto Durand Ugarte et Gabriel Pablo Ugarte Rivera ; elle a établi notamment que les deux hommes avaient été privés arbitrairement de la vie et elle a enjoint l’État péruvien d’« enquêter sur les faits et [de] poursuivre et punir les responsables ».

Le 12 mars 2007, le Ministère public a ouvert une procédure pour meurtre contre plusieurs membres de la Marine de guerre en qualité d’auteurs matériels du crime. Une des personnes visées, Bernabé Montoya, a déposé une requête en habeas corpus, en invoquant le non-respect de son droit aux garanties prévues par la loi étant donné qu’aux termes du Code pénal il y avait prescription pour le crime dont il était accusé. C’est dans le cadre dans cette procédure que le Tribunal constitutionnel a été amené à se prononcer sur cette affaire.

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