Un nouveau rapport publié le 28 novembre 2024 sur la « guerre contre la drogue » actuellement menée dans le pays et intitulé Submit and surrender : The harms of arbitrary drug detention in the Philippines, révèle que les personnes qui consomment des drogues sont envoyées dans des établissements publics, où elles sont contraintes de suivre des programmes qui ne sont pas fondés sur des données probantes. Les personnes en « réadaptation » sont punies en raison de leur consommation de stupéfiants et contraintes à l’abstinence, obligées de se soumettre à des tests de dépistage obligatoires en violation de leur droit à la vie privée, et visées par des sanctions sévères lorsqu’elles enfreignent les règles (des semaines voire des mois d’isolement par exemple).
« Les centres de détention pour usagers de stupéfiants sont présentés comme des centres de désintoxication et de réinsertion. En réalité, ce sont des lieux de détention arbitraire où les personnes enfermées subissent de graves violations des droits humains, qui se poursuivent même après leur libération », a déclaré Jerrie Abella, responsable de la campagne sur les Philippines à Amnesty International.
Ce rapport est publié au moment où les violations perpétrées sous l’ancien président Rodrigo Duterte dans le cadre de la « guerre contre la drogue » font l’objet d’un nouvel examen.
La « guerre contre la drogue » actuelle continue d’affecter de manière disproportionnée les personnes vivant dans la pauvreté et à faible revenu
« Tandis que les législateurs examinent à juste titre le rôle du président Rodrigo Duterte et d’autres responsables présumés de crimes contre l’humanité, il faut s’occuper d’urgence de ces violations largement dissimulées qui se déroulent dans les centres de détention à des fins de désintoxication, a déclaré Jerrie Abella.
« Le gouvernement du président Marcos Jr a promis d’adopter une nouvelle approche du fléau que représente la drogue dans le pays, axée sur la santé publique et les droits humains. Au lieu de cela, les usagers de stupéfiants continuent d’être criminalisés et stigmatisés par des politiques et des pratiques punitives, malgré la fin de l’ère Duterte. »
La « guerre contre la drogue » actuelle continue d’affecter de manière disproportionnée les personnes vivant dans la pauvreté et à faible revenu.
Actes de torture pendant l’arrestation et « aveux » forcés
Les consommateurs de drogue aux Philippines sont souvent la cible d’opérations policières violentes qui impliquent fréquemment des actes de torture et des mauvais traitements, des détentions arbitraires et des aveux forcés ou peu fiables.
L’une des personnes interrogées, Michael (nom fictif), a raconté que les policiers l’ont torturé pour qu’il admette consommer de la drogue : ils lui ont asséné des coups de bâton sur les pieds, lui ont pressé les mains avec des balles entre les doigts et lui ont brûlé les yeux et le visage avec du jus de piment. Il a ajouté qu’ils avaient ensuite pris des photos mises en scène où on le voyait en train de « consommer » de la drogue à titre de preuves. Il a été envoyé dans un centre de détention pour toxicomanes trois jours plus tard.
Ces centres sont généralement situés à proximité, voire à l’intérieur, de bases policières ou militaires, ce qui accentue leur caractère punitif. Comme Michael, la plupart des personnes interrogées par Amnesty International y ont été envoyées après avoir conclu des accords de négociation de peines avec les tribunaux, qui ne disposent pas de l’expertise médicale requise pour ordonner ou superviser un quelconque traitement de désintoxication. Dans le cadre de ces accords, les accusés plaident coupable et, en échange, ils échappent à l’incarcération mais doivent se soumettre à une « réadaptation » obligatoire.
Selon les termes de ces accords de négociation, ils doivent rester dans les centres pendant toute la durée de leur peine, généralement comprise entre six mois et un an.
Tests de dépistage obligatoires et châtiments corporels en cas de violation des règles
Les conditions de vie dans les centres de détention à des fins de désintoxication sont rarement conformes aux normes et au droit international relatif aux droits humains. Avant et pendant la détention, des tests de dépistage obligatoires et répétés sont réalisés.
« Les tests de dépistage aléatoires ou obligatoires sans justification valable constituent une ingérence arbitraire dans la vie privée et sont contre-productifs du point de vue du droit à la santé, car les autorités s’en servent généralement pour conserver leur influence sur les usagers de drogues », a déclaré Jerrie Abella.
L’infraction aux règles donne souvent lieu à des châtiments corporels : obligation de faire des exercices physiques intenses, isolement pendant des semaines voire des mois, et actes dégradants tels que l’obligation de « marcher comme un canard » ou de « se tenir face au mur » pendant des heures.
Les infractions les plus graves – tentatives d’évasion ou relations sexuelles notamment – peuvent entraîner la prolongation de la détention pendant des mois, sans justification médicale.
« Je devais rester face au mur de 8h à 20h, sur l’estrade du gymnase où il faisait tellement chaud »
Des mineur·e·s âgés d’à peine 15 ans ont également été arrêtés, soumis à diverses formes de torture et d’autres mauvais traitements, et parfois à une détention arbitraire pour cause de consommation de drogue dans des centres inadaptés à leurs besoins, ce qui les expose à des traumatismes durables, voire permanents.
Tol (son nom a été modifié) avait 16 ans lorsqu’il a été arrêté et placé arbitrairement dans un centre de détention pour toxicomanes de juin 2022 à décembre 2023. D’après lui, il a écopé de quatre mois supplémentaires pour avoir enfreint la règle du « pas de sexe ».
Il a évoqué cette peine supplémentaire : « Je devais rester face au mur de 8h à 20h, sur l’estrade du gymnase où il faisait tellement chaud, malgré le toit, tous les jours du lundi au dimanche. »
Des programmes de suivi intrusifs
Une fois libérés, ils sont soumis à un programme intrusif de suivi qui les oblige à se présenter régulièrement aux autorités pendant 18 mois et à réaliser des tests de dépistage inopinés et obligatoires. Ceux qui suivent ce programme savent qu’un refus de se soumettre à un test de dépistage serait considéré comme une preuve de rechute et qu’ils risqueraient alors d’être de nouveau arrêtés ou admis dans un centre de détention pour toxicomanes. En outre, le gouvernement n’apporte guère d’aide à la réinsertion dans la société, ce qui renforce encore la stigmatisation.
« La politique de lutte contre le trafic de stupéfiants aux Philippines doit renoncer aux réponses punitives et préjudiciables au profit d’initiatives fondées sur des preuves qui respectent la dignité de tous et s’attaquent aux causes profondes de la consommation de stupéfiants. Le traitement de la toxicomanie doit toujours être volontaire, sur indication médicale, fondé sur des preuves scientifiques et garanti par un consentement libre et éclairé. La détention n’est pas et ne sera jamais la solution, a déclaré Jerrie Abella.
« Les établissements qui ne respectent pas les normes internationales doivent être fermés sur-le-champ. Enfin, le gouvernement doit tenir sa promesse et réviser la loi RA1965, texte de loi anti-drogue punitif qui est au cœur des violations actuelles commises dans le cadre de la "guerre contre la drogue ", et la remplacer par une loi mettant l’accent sur la réduction des risques, la désintoxication et le soutien social. »