« Un an après le début de la pandémie, le gouvernement des Philippines n’a toujours pas pris les mesures nécessaires pour faire face de façon adéquate à la crise, et cela représente un grave problème en matière de droits humains, a déclaré Emerlynne Gil, directrice régionale adjointe à Amnesty International. Les autorités doivent fournir des soins de santé sans discrimination et en utilisant toutes les ressources dont elles disposent. »
« Des mesures spécifiques doivent être prises sans plus tarder pour protéger celles et ceux qui sont les plus touchés, y compris les soignant·e·s et les personnes les plus à risque. De plus, le gouvernement doit cesser de s’en prendre aux militant·e·s et aux défenseur·e·s des droits humains, ces attaques ne faisant qu’aggraver une situation déjà alarmante. »
Les Philippines se situent actuellement au deuxième rang [1] des pays d’Asie du Sud-Est présentant le plus grand nombre de nouveaux cas de COVID-19, avec plus de 116 000 cas signalés au moment où nous rédigions ces lignes. Depuis le début de la pandémie, près d’un million de personnes ont été infectées par le virus, et 17 000 personnes ont perdu la vie à cause de cette maladie.
« Un an après le début de la pandémie, le gouvernement des Philippines n’a toujours pas pris les mesures nécessaires pour faire face de façon adéquate à la crise, et cela représente un grave problème en matière de droits humains »
Alors qu’entre 2 000 et 3 000 cas étaient quotidiennement enregistrés depuis octobre 2020, le décompte quotidien du pays a commencé mi-mars à croître pour atteindre le 3 avril 2021 plus de 15 000 nouveaux cas, le chiffre le plus élevé enregistré depuis le début de la pandémie, en mars 2020. Les statistiques montrent également que le nombre quotidien de décès pendant le mois d’avril 2021 a atteint un niveau sans précédent.
L’accès aux soins de santé fortement compromis
Dans ce contexte de nouvelle hausse du nombre de cas de COVID-19, la mauvaise gestion de la pandémie a conduit à un accès dramatiquement insuffisant aux soins de santé, particulièrement marqué depuis plusieurs semaines.
Les professionnel·le·s de santé ont tiré la sonnette d’alarme en indiquant que les hôpitaux étaient débordés [2] à cause d’un manque de lits et de personnel soignant. De plus, le personnel de santé manque d’équipements de protection individuelle (EPI) de qualité médicale, et les primes et allocations ne lui sont pas versées.
Le Grand Manille ainsi que les provinces voisines de Bulacan, Cavite, Laguna et Rizal sont depuis plusieurs semaines soumis à des mesures de confinement renforcées, plusieurs hôpitaux ayant signalé avoir atteint des taux « critiques » d’occupation des lits en raison d’une forte augmentation des cas de COVID-19.
« Les autorités doivent fournir des soins de santé sans discrimination et en utilisant toutes les ressources dont elles disposent »
« C’est attristant de voir ces dizaines d’ambulances et de véhicules privés qui font la queue devant l’hôpital. À l’intérieur se trouvent des personnes malades du COVID-19 avec leurs proches, et certaines de ces personnes sont en train de mourir alors qu’elles attendent de pouvoir être soignées. D’autres sont aiguillées vers d’autres établissements médicaux qui se trouvent à des kilomètres, où on ne pourra pas non plus les recevoir faute de capacités d’accueil, a déploré Emerlynne Gil.
Pauline Convocar, médecin urgentiste qui travaille dans des établissements publics et privés, a parlé à Amnesty International de l’impréparation du système de santé public – dénoncée depuis plusieurs décennies aux Philippines, mais qui a empiré avec la pandémie. Les organes gouvernementaux chargés de lutter contre la pandémie ont été largement critiqués, car on leur reproche d’être dirigés par des militaires et non par des spécialistes de la santé publique. Par ailleurs, le budget de 19 milliards de pesos des Philippines (393 millions de dollars des États-Unis) alloué au Groupe de travail national pour mettre fin au conflit armé communiste local, touché par un scandale, a également soulevé un tollé concernant la mauvaise affectation des ressources.
Le personnel de santé toujours en danger
La récente augmentation du nombre de cas attire une fois de plus l’attention sur les graves difficultés que rencontre le personnel de santé [3] , sa situation s’étant très peu améliorée depuis le début de la pandémie, il y a un an. En avril 2021, les statistiques du ministère de la Santé ont indiqué qu’au moins 80 professionnel·le·s de santé aux Philippines ont perdu la vie à cause du COVID-19.
« Lors de n’importe quelle crise sanitaire, la sécurité et le bien-être de toutes les personnes travaillant dans le secteur de la santé sont plus importants que jamais, a déclaré Emerlynne Gil. Le gouvernement doit immédiatement leur procurer des équipements de protection adéquats et en quantités suffisantes, ainsi que des conditions justes afin qu’elles puissent accomplir leur travail essentiel. »
L’Alliance des personnels de santé – une organisation nationale qui représente les travailleurs et travailleuses des cliniques et hôpitaux publics et privés, des institutions et des organes de santé – a indiqué à Amnesty International que de nombreuses personnes travaillant dans le secteur de la santé [4] n’ont toujours pas reçu leurs indemnités prévues par la loi. Il s’agit notamment des primes de risque et d’autres primes spéciales liées aux conditions de travail dangereuses, et aussi des allocations pour la nourriture, les transports et le logement et des indemnités accordées depuis septembre 2020, ainsi que de la prime annuelle de performance qui existe depuis 2018. Cette organisation a également exprimé son inquiétude au sujet du manque de personnel soignant, car les infirmiers, infirmières et aides soignant·e·s sont soumis à une pression insupportable.
Des difficultés accrues pour les personnes les plus à risque
Les communautés marginalisées continuent d’être prises pour cible par la police et sont confrontées à des difficultés accrues à cause du COVID-19, notamment en raison d’obstacles supplémentaires entravant leur accès aux soins de santé et d’une perte de revenu découlant de l’impossibilité de travailler pendant les restrictions liées à la pandémie.
Le 13 avril, la police nationale philippine [5] a annoncé que les personnes ne respectant pas les mesures de confinement ne seraient plus arrêtées, à la suite de la mort de deux hommes aux mains de la police et de fonctionnaires locaux. Les deux hommes appartenaient à des communautés pauvres.
« Toutes les personnes qui vivent aux Philippines souffrent de la pandémie, mais les communautés les plus marginalisées sont celles qui sont le plus durement frappées »
Les familles à bas revenu sont exposées à des risques accrus sur le plan de la santé, et à des obstacles considérables concernant l’accès à des soins de santé de qualité et abordables pendant la pandémie. Au cours de la dernière période de confinement renforcé, qui a duré deux semaines, les gouvernements locaux ont remis une somme de 1 000 à 4 000 pesos des Philippines (soit 20 à 80 dollars des États-Unis) aux familles les plus démunies, mais de nombreuses personnes ont dénoncé la lenteur [6] avec laquelle l’aide est distribuée.
« Toutes les personnes qui vivent aux Philippines souffrent de la pandémie, mais les communautés les plus marginalisées sont celles qui sont le plus durement frappées, a déclaré Emerlynne Gil. Les personnes les plus à risque ont besoin d’avoir accès à des soins de santé adéquats et à une aide financière et aussi d’être protégées contre les violences commises par les forces de l’ordre pendant les mesures de confinement. »
La pratique consistant à qualifier certaines personnes de « rouges » persiste en pleine pandémie
Les autorités qui dirigent le monde, notamment le président Rodrigo Duterte, ont utilisé le COVID-19 pour lancer de nouvelles attaques contre les droits humains. En pleine pandémie, le gouvernement a lancé une terrible campagne d’opérations policières, d’arrestations et d’homicides visant les militant·e·s et les défenseur·e·s des droits humains qualifiés de « rouges » – ou accusés d’avoir des liens avec des groupes « communistes » ou « terroristes » – tandis que se poursuivaient les homicides de personnes soupçonnées d’infractions à la législation sur les stupéfiants.
Ces derniers jours, des personnes et des groupes ayant créé des « garde-manger communautaires » dans leur localité – pour fournir gratuitement de la nourriture et des produits essentiels aux personnes dans le besoin – ont également été accusés par la police et par des représentants du gouvernement d’avoir des liens avec des groupes « communistes », ce qui a déclenché un tollé au sein de la population.
L’Alliance des personnels de santé a également exprimé son inquiétude [7] au sujet de la qualification de « rouge » subie de la part du Groupe de travail national pour mettre fin au conflit armé communiste local, créée par le gouvernement, à la suite d’appels lancés pour obtenir un meilleur soutien de la part du gouvernement et de meilleures mesures pour faire face à la pandémie. Cette force spéciale est également responsable de la qualification de « rouges » attribuée à de nombreux militant·e·s et défenseur·e·s des droits humains, qui engendre souvent une intensification du harcèlement et des attaques et même une multiplication des homicides.
« Le fait que le gouvernement de Rodrigo Duterte continue de qualifier de « rouges » et d’attaquer les personnes qui défendent les droits humains ne fait qu’aggraver la situation dans le pays, a déclaré Emerlynne Gil.
« Nous demandons au président et à son gouvernement de mettre fin aux attaques contre les droits humains et de s’employer à atténuer les conséquences dévastatrices de la pandémie de COVID-19. Faute de ces mesures indispensables, le pays se trouvera une fois de plus face à un défaut de gouvernance. »