Philippines, il faut protéger les personnes qualifiées de rouges

Amnesty International est vivement préoccupée par le fait que deux journalistes philippins, un prêtre, deux avocates défendant les droits humains et un fonctionnaire ont été menacés et mis en danger, en raison notamment d’allégations selon lesquelles ces personnes sont affiliées au Parti communiste des Philippines (CPP). Comme cela est déjà arrivé par le passé, qualifier des personnes et des organisations de « rouges » ou de « façades pour le communisme » est devenu un moyen de mettre leur vie en péril, en les exposant à un risque de harcèlement et d’agressions de la part d’inconnus. Les autorités doivent mener des enquêtes sérieuses sur les menaces proférées contre les deux journalistes et d’autres personnes désignées comme « rouges » ; prendre des mesures préventives afin de préserver la sécurité et les droits des journalistes et autres groupes menacés ; et fournir un environnement permettant à toute personne d’exercer sa profession sans crainte de violence ni d’autres formes de représailles.

Le 28 août, le Syndicat national des journalistes des Philippines a indiqué que Rolando Abejo, un prêtre, et un employé anonyme de la mairie de Cagayan de Oro ont reçu par coursier un colis contenant des tracts les accusant tous les deux, ainsi que Beverly Musni, et sa fille Czarina, des avocates spécialisées dans la défense des droits humains, et les journalistes Leonardo Vicente Corrales et Froilan Gallardo, d’appartenir au CPP et à sa branche armée, la Nouvelle Armée du peuple. Le tract concernant Leonardo Vicente Corrales offrait une récompense d’un million de pesos philippins (plus de 19 000 dollars des États-Unis) pour son meurtre. Leonardo Vicente Corrales a reçu les mêmes tracts par coursier. Si un nom et un numéro de téléphone portable ont été obtenus auprès du service de livraison, le numéro n’est désormais plus attribué et l’identité de l’expéditeur n’a pas encore été confirmée.

Leonardo Vicente Corrales, ancien directeur du Syndicat national des journalistes des Philippines, est rédacteur en chef adjoint du journal Mindanao Gold Star Daily ; Froilan Gallardo est un journaliste travaillant pour le site d’information MindaNews. Leonardo Vicente Corrales a été la cible d’une autre « accusation » de ce type en février 2019 ; l’identité de son épouse et son fils avait par ailleurs été divulguée.

Ces deux hommes pensent que les allégations les concernant sont liées à leur métier de journaliste. Leonardo Vicente Corrales a déclaré au Syndicat des journalistes qu’il était probablement pris pour cible en raison d’un éditorial qu’il a écrit en juin au sujet de membres de la communauté indigène higaonon, dans le sud des Philippines, qui ont été déplacés par des opérations militaires menées dans leur zone d’habitation. Froilan Gallardo pense avoir été visé parce qu’il a interviewé des membres de la Nouvelle Armée du peuple qui avaient attaqué le siège d’une entreprise locale du secteur de l’énergie et pris des armes présentes sur les lieux.

Leonardo Vicente Corrales et Froilan Gallardo sont qualifiés de « rouges » alors que les attaques visant les journalistes, et les défenseurs des droits humains en général, vont bon train sous le gouvernement du président Rodrigo Duterte. Qualifier de « façades pour le communisme » des groupes et des individus critiquant les politiques gouvernementales est devenu une manière de fragiliser l’exercice de leur droit fondamental à la liberté d’expression, et a dans certains cas donné lieu à de violentes agressions, notamment des homicides.

Récemment, en juin 2019, quatre militants en faveur des droits humains appartenant à des « organisations de gauche » désignées comme « rouges » ont été tués en l’espace de trois jours à peine. En mars 2019 dans la province de Negros oriental (sud des Philippines), 14 personnes ont été tuées lors d’opérations de police [1] prenant prétendument pour cibles des « rebelles communistes ».

Amnesty International appelle les autorités philippines à remplir leurs obligations internationales de respect et de protection des droits des journalistes, y compris leurs droits à la liberté d’expression, à la vie et à la sécurité personnelle. Ces droits sont garantis par le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, auquel l’État des Philippines est partie, ainsi que par la Constitution philippine, entre autres.

Amnesty International demande en particulier au gouvernement philippin de mener dans les meilleurs délais des enquêtes approfondies, impartiales et efficaces sur tous les cas dans lesquels des personnes ont été qualifiées de « rouges » et qui ont été accompagnés de violences, de menaces de violence ou d’incitation à la violence, ainsi que sur les agressions violentes en ayant découlé ; de traduire les responsables présumés de ce type d’infractions en justice dans le cadre de procès équitables ; et de protéger les personnes accusées d’entretenir des liens avec des groupes communistes.

COMPLÉMENT D’INFORMATION

Dans un discours de janvier 2018, le président Rodrigo Duterte a déclaré qu’il allait « faire la chasse aux façades légales », en référence aux groupes ayant des liens présumés avec le mouvement communiste, et a réitéré son ordre aux forces armées de « détruire l’appareil [communiste] ». Selon un grand nombre de ces groupes, à la suite de ces déclarations sans fondement et après que le président a répété cet ordre, le nombre d’attaques, dont des homicides, commises par des personnes inconnues a augmenté.

Le 11 juillet 2019, le Conseil des droits de l’homme des Nations unies a adopté une résolution chargeant le Haut-Commissariat aux droits de l’homme de préparer un rapport sur la situation des droits humains aux Philippines, notamment en relation avec les exécutions extrajudiciaires - essentiellement de membres de communautés pauvres, dans le contexte de la « guerre contre la drogue » -, et avec les persécutions et attaques visant des défenseurs des droits humains, des journalistes et des dissidents.

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