Philippines, justice doit être rendue aux victimes du « dimanche sanglant »

Philippines, justice doit être rendue aux victimes du « dimanche sanglant » et d'autres attaques envers des militants

La décision du ministère de la Justice de classer sans suite la plainte pour meurtre déposée contre plus d’une dizaine de membres de la Police nationale philippine, accusés de l’homicide d’Emmanuel « Manny » Asuncion, militant des droits du travail.

Emmanuel Asuncion a été tué durant l’une des descentes de police effectuées simultanément en 2021 sur l’île de Luçon, lors desquelles huit autres militant·e·s ont également trouvé la mort. Amnesty International appelle les autorités philippines à mener des enquêtes exhaustives, indépendantes et impartiales sur la mort d’Emmanuel Asuncion et des autres militant·e·s, dans le but d’identifier tous les responsables et de les traduire en justice lors de procès équitables. L’organisation appelle également le gouvernement du président Marcos à prendre les mesures nécessaires pour mettre fin l’escalade du harcèlement, de l’intimidation et des attaques à l’encontre des militant·e·s et des défenseur·e·s des droits humains.

Dans une décision datée du 15 octobre 2022, qui n’a été reçue que le 16 janvier 2023 par Liezel, l’épouse d’Emmanuel Asuncion, un groupe de procureurs du ministère de la Justice a classé sans suite la plainte pour meurtre portée contre 17 policiers, argumentant que les preuves étaient insuffisantes. Les procureurs ont affirmé que Liezel Asuncion n’avait pas pu identifier « directement et catégoriquement » les tueurs, et que son mari avait résisté à l’arrestation en tirant sur la police. La décision réaffirmait également que l’opération de police, théoriquement effectuée en application de mandats d’arrêt à l’encontre des militant·e·s mais ayant eu pour résultat la mort de neuf personnes et l’arrestation de quelques autres, était « légitime ».

Amnesty International pense que les descentes de police meurtrières avaient une motivation politique et visaient les membres et dirigeant·e·s de groupes qualifiés de « rouges » ou accusés d’avoir des liens avec des groupes communistes. Emmanuel Asuncion faisait partie des neuf militant·e·s tués durant les opérations du « dimanche sanglant [1] » menées simultanément par la police dans les provinces de Cavite, Batangas et Rizal le 7 mars 2021. Le même jour, Chai Lemita-Evangelista et Ariel Evangelista ont également été tués. Leur fils de 10 ans les aurait vus se faire traîner à l’extérieur et emmenés dans une autre maison, où il aurait entendu des coups de feu. En janvier 2022, le Bureau national d’enquête a porté plainte contre une dizaine de policiers pour la mort du couple Evangelista. Une enquête préliminaire est en cours, également menée par le ministère de la Justice. Des enquêtes auraient été menées l’an dernier concernant les autres décès, mais à ce jour aucune nouvelle information n’a été communiquée concernant ces affaires.

Des témoins de l’homicide perpétré contre Emmanuel Asuncion affirment qu’il a été abattu par la police dans la ville de Dasmariñas, dans la province de Cavite, à près d’une heure de route de son domicile, qui faisait pourtant l’objet du mandat d’arrêt. Son épouse Liezel, qui a porté plainte, a déclaré que les policiers impliqués portaient des uniformes, mais que leur visage et leur badge étaient masqués. Elle les aurait vus traîner son mari au loin après avoir entendu des coups de feu. Le corps d’Emmanuel Asuncion a ensuite été retrouvé, criblé de six balles. Récemment, Raquel Fortun, médecin légiste de renom ayant mené l’autopsie, a déclaré que le comité du ministère de la Justice avait « déformé » les conclusions de son rapport d’autopsie, qui concluait que la mort du militant pouvait être un cas d’homicide.

Les homicides du « dimanche sanglant » se sont déroulés seulement deux jours après l’ordre donné par l’ancien président Rodrigo Duterte aux forces de sécurité de « tuer » et « achever » les rebelles communistes et d’« oublier les droits humains ». La manière dont Emmanuel Asuncion a été tué rappelle la manière dont des milliers de personnes ont été tuées lors d’opérations anti-drogue, au cours desquelles et les personnes prises pour cibles par la police auraient été tuées prétendument pour avoir « résisté ». Plusieurs groupes de défense des droits humains, dont Amnesty International, ont démontré que la police invoquait à tort des situations d’autodéfense comme stratégie pour continuer de commettre des exécutions extrajudiciaires.

Depuis la prise de pouvoir du gouvernement Marcos en juin 2022, les attaques à l’encontre de militant·e·s et défenseur·e·s des droits humains se sont à nouveau intensifiées . Le 13 janvier 2023, Dyan Gumanao et Armand Jake Dayoha, travailleurs chargés du développement, ont été enlevés dans la ville de Cebu. On les a ensuite retrouvés à environ 40 km de l’endroit où ils avaient été enlevés, dans un hôtel où leurs ravisseurs les auraient laissés trois jours plus tôt. Lors d’une conférence de presse tenue le 22 janvier, Dyan Gumanao et Armand Jake Dayoha ont affirmé que leurs agresseurs les avaient soumis à de la « torture psychologique et émotionnelle », les avaient transportés d’un endroit à l’autre menottés, les yeux bandés et parfois bâillonnés, et leur avaient dit qu’ils avaient été enlevés en raison de leur militantisme. Ils ont également affirmé que leurs ravisseurs s’étaient présentés à plusieurs reprises comme membres de la police et les avaient menacés de les remettre à une autre unité d’une équipe qui les exécuterait s’ils ne parlaient pas de leurs liens avec les « groupes terroristes ». Leurs familles ont demandé l’aide de la Commission des droits humains des Philippines afin d’enquêter sur leur enlèvement, et ont appelé la police et les autorités locales de Cebu à mener également leurs propres enquêtes. Dyan Gumanao et Armand Jake Dayoha ont également dit qu’ils prévoyaient de porter leur affaire devant les tribunaux philippins et les organismes internationaux afin que les forces de sécurité soient tenues responsables de leur disparition.

En novembre 2022, les militants Ericson Acosta et Joseph Jimenes ont été retrouvés morts dans la province du Negros occidental. Ils auraient été enlevés par l’armée philippine. Mais l’armée affirme que leurs corps ont été retrouvés après un affrontement entre les forces armées et les rebelles de la Nouvelle armée du peuple. À la connaissance d’Amnesty International, aucune enquête n’a été ouverte au sujet de leur mort.

Amnesty International exhorte le gouvernement philippin à mener des enquêtes efficaces, exhaustives, impartiales et indépendantes sur les descentes de police du « dimanche sanglant » afin d’identifier les auteurs des homicides d’Emmanuel Asuncion et des huit autres militant·e·s, ainsi que sur la mort d’Ericson Acosta et de Joseph Jimenez et l’enlèvement de Dyan Gumanao et Armand Jake Dayoha, afin de déférer toutes les personnes responsables à la justice pour qu’elles soient jugées lors de procès conformes aux normes d’équité. Les autorités doivent veiller à ce que les enquêtes cherchent à savoir si les motifs des homicides, enlèvements et autres attaques étaient liés au travail de défense des droits humains mené par les victimes.

Les autorités doivent également se demander si le recours à la force meurtrière par la police durant ces opérations était légitime et faire en sorte que toutes les autorités chargées de l’application des lois respectent en permanence les normes internationales sur le recours à la force. Enfin, le gouvernement de Ferdinand Marcos doit de toute urgence mettre un terme aux attaques, au harcèlement et à l’intimidation qui se sont intensifiés à l’encontre des militant·e·s et défenseur·e·s des droits humains, et garantir que ces personnes puissent travailler dans un environnement sûr et propice, sans crainte de représailles.

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