« Lorsque la Cour suprême et le Sénat eux-mêmes sont saisis du nombre de morts au sein des professions juridiques, il devrait être clair pour tout le monde que la situation est dramatique », a déclaré Emerlynne Gil, directrice régionale adjointe à Amnesty International.
« Le président Duterte continue à encourager les homicides et le climat d’impunité qui règne aux Philippines est catastrophique, les avocats et les juges étant de plus en plus visés.
« Le système judiciaire tout entier est en danger de mort. Le pouvoir exécutif, dirigé par le président Duterte, doit immédiatement prendre des mesures pour que les juges et les avocats ne soient pas attaqués ou menacés simplement pour avoir fait leur travail. »
« Lorsque la Cour suprême et le Sénat eux-mêmes sont saisis du nombre de morts au sein des professions juridiques, il devrait être clair pour tout le monde que la situation est dramatique »
D’après un récent rapport d’enquête [1] qui comprenait des données émanant de la Cour suprême, au moins 61 avocats, juges et procureurs ont été tués sous le gouvernement Duterte depuis 2016. De 2004 à 2021, selon ce rapport, sept cas seulement ont donné lieu à des poursuites judiciaires.
Le 23 mars, la Cour suprême des Philippines a publié une déclaration dénonçant ces attaques, les qualifiant d’« assaut contre la justice » [2] .
La Cour suprême s’est également engagée à prendre des mesures, notamment en lançant un appel aux juridictions inférieures et aux responsables des forces de l’ordre pour obtenir des informations sur les cas de menaces et d’homicides recensés ces 10 dernières années. Le 24 mars, le Sénat a adopté une résolution [3] condamnant également les attaques éhontées visant les juges et les avocats.
Les organisations juridiques du pays, notamment le Barreau intégré des Philippines et le Syndicat national des avocats du peuple [4] , cherchent de plus en plus à alerter face aux attaques et aux homicides visant leurs collègues.
Certaines des personnes tuées ou menacées avaient été qualifiées de « rouges » - c’est-à-dire de « communistes » ou de « terroristes » - dans le contexte de l’élargissement de la campagne anti-insurrectionnelle menée par le gouvernement Duterte, tandis que d’autres représentaient des clients inculpés d’infractions à la législation sur les stupéfiants ou d’autres infractions impopulaires.
« Le respect des droits humains et de l’état de droit exige un appareil judiciaire fort et des professionnels juridiques à même d’agir, pouvant s’acquitter de leurs fonctions en toute indépendance et impartialement, sans craindre des représailles »
« Les autorités laissent la crainte de la qualification de « rouge » progresser au sein des professions juridiques. Or, elles sont tenues d’assurer la sécurité des avocats et l’indépendance du pouvoir judiciaire. Les signalements de menaces et d’attaques contre des avocats et des juges doivent donner lieu sans délai à des enquêtes et les auteurs présumés de tels agissements doivent être traduits en justice », a déclaré Emerlynne Gil.
« Le respect des droits humains et de l’état de droit exige un appareil judiciaire fort et des professionnels juridiques à même d’agir, pouvant s’acquitter de leurs fonctions en toute indépendance et impartialement, sans craindre des représailles de quelque nature que ce soit. »
Dernièrement, le 16 mars, une affiche imprimée sur une bâche a été accrochée au-dessus d’un important axe routier de la ville de Mandaluyong ; on y voyait la photo d’une juge et un texte associant celle-ci [5] à des groupes communistes. La magistrate avait récemment statué que la journaliste Lady Ann Salem et un syndicaliste devaient être libérés après avoir été arrêtés sur la base de charges forgées de toutes pièces [6] . La journaliste et le syndicaliste appartenaient à des organisations qui avaient été qualifiées de « rouges ».
Faute d’établissement des responsabilités au niveau national pour les menaces, le harcèlement et les homicides visant les avocats et plus généralement les défenseurs et militants des droits humains, il incombe à la communauté internationale - à travers le Conseil des droits de l’homme des Nations unies - de demander des comptes au gouvernement philippin pour les violations, assimilables pour certaines au moins à des crimes contre l’humanité, qui perdurent en toute impunité, alors que des responsables philippins tiennent des propos creux sur l’engagement du gouvernement en faveur des droits humains.
« Bien que le gouvernement assure que le système judiciaire des Philippines fonctionne, il est clair que ses fondements mêmes sont en péril. Il est indispensable que la communauté internationale prenne des mesures plus énergiques - celles adoptées à ce jour ne fonctionnent manifestement pas. À défaut, la série d’assassinats et l’incitation à la violence ne feront que se poursuivre », a déclaré Emerlynne Gil.
Complément d’information
Le 12 mars, le lieutenant de police Fernando Calabria Junior, chef du service de renseignement de la police de la ville de Calbayog, a écrit [7] au tribunal de première instance régional de la ville pour demander les noms des avocats qui « représentent des personnalités du CTG (Groupe communiste-terroriste) ». La demande s’accompagnait d’un tableau dont les entrées prévoyaient de préciser les noms des avocats, ceux de leurs clients ainsi que le « mode de neutralisation », formule correspondant, de l’avis général, à l’euphémisme standard utilisé par la police philippine pour désigner un assassinat. Les dirigeants de la police ont par la suite désavoué cette lettre, démis Fernando Calabria Junior de ses fonctions et présenté des excuses pour ce qu’ils ont qualifié de « comportement irresponsable ».
Le 3 mars, l’avocat Angelo Karlo Guillen a été grièvement blessé [8] lors d’une violente attaque dans la ville d’Iloilo. Parmi ses clients figuraient des militants arrêtés lors de descentes de police dans la ville de Bacolod en 2019, ainsi que les membres de la communauté de Tumandok arrêtés [9] à Panay en décembre 2020 lors d’un raid qui a fait neuf morts. Angelo Karlo Guillen est également l’avocat d’un des groupes qui ont introduit une requête devant la Cour suprême pour obtenir l’annulation de la Loi antiterroriste de 2020.
Les Principes de base des Nations unies relatifs au rôle du barreau disposent que les pouvoirs publics doivent veiller à ce que les avocats « puissent s’acquitter de toutes leurs fonctions professionnelles sans entrave, intimidation, harcèlement ni ingérence indue », et à ce qu’ils « ne fassent pas l’objet, ni ne soient menacés de poursuites ou de sanctions économiques ou autres pour toutes mesures prises conformément à leurs obligations et normes professionnelles reconnues et à leur déontologie ». En outre, selon les Principes fondamentaux des Nations unies relatifs à l’indépendance de la magistrature, les autorités doivent assurer la sécurité et la protection des juges chaque fois qu’ils sont menacés du fait de l’exercice de leurs fonctions.
La Commission des droits de l’homme des Nations unies a engagé tous les gouvernements à « respecter et à défendre l’indépendance des magistrats et des avocats et, à cette fin, à prendre, sur le plan des lois et de leur application et dans d’autres domaines appropriés, des mesures qui permettent effectivement aux magistrats et aux avocats d’exercer leurs fonctions professionnelles sans harcèlement ni intimidation d’aucune sorte ».