Au lieu de décider la tenue d’une enquête globale très attendue sur la situation des droits humains aux Philippines, la résolution de l’ONU – conduite conjointement par l’Islande et les Philippines – demande au Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme de soutenir les Philippines par le biais d’une « assistance technique ». Cette assistance se déclinera principalement dans des domaines comme l’obligation de rendre des comptes, le recueil d’informations sur les violations des droits humains commises par la police, l’espace civique, la législation antiterroriste et une conception de la lutte contre les stupéfiants fondée sur les droits.
« La situation des droits humains aux Philippines nécessite davantage qu’une simple " assistance technique " de la part de l’ONU. Il faut une enquête internationale globale pour lutter efficacement contre l’impunité qui gangrène le pays », a déclaré Rachel Chhoa-Howard, chercheuse sur les Philippines à Amnesty International.
Cette résolution est loin d’être à la hauteur des appels répétés de la société civile [1] et des experts de l’ONU [2] en faveur d’une enquête indépendante et internationale sur les graves violations des droits humains commises dans le pays, notamment les milliers d’exécutions extrajudiciaires perpétrées par la police et ses milices affiliées, dans le contexte de la « guerre contre la drogue ».
« Le Conseil des droits de l’homme manque une occasion de faire progresser la justice pour les familles endeuillées aux Philippines qui avaient placé tous leurs espoirs dans la communauté internationale, a déclaré Rachel Chhoa-Howard.
« Cette résolution timide trahit aussi les courageux défenseur·e·s des droits humains, journalistes et autres qui se sont engagés en toute bonne foi aux côtés de l’ONU et poursuivent leur travail en prenant d’énormes risques. »
« Le Conseil des droits de l’homme manque une occasion de faire progresser la justice pour les familles endeuillées aux Philippines qui avaient placé tous leurs espoirs dans la communauté internationale »
Ces derniers mois, Amnesty International observe une dégradation constante de la situation des droits humains aux Philippines. Les principaux signaux d’alerte sont l’incitation à tuer émanant du président Rodrigo Duterte, la promotion du lieutenant-général Camilo Cascolan, architecte présumé de la politique antidrogue meurtrière, au poste de chef de la police nationale et l’adoption d’une loi antiterroriste inquiétante. En juin 2020, la célèbre journaliste Maria Ressa a été déclarée coupable de « diffamation en ligne » et, un mois plus tard, le grand groupe audiovisuel ABS-CBN était fermé. On constate également une recrudescence des homicides imputables à la police et, ces derniers mois, des défenseur·e·s des droits humains, des militant·e·s politiques et un journaliste ont été assassinés.
Cette situation critique a fait l’objet d’une synthèse publiée par Amnesty International la semaine dernière, “My Job is to Kill” [3], qui tire son titre d’un discours prononcé en mars 2020 par le président Rodrigo Duterte.
« Il incombe aux États qui ont négocié avec les Philippines pour se mettre d’accord sur cette résolution d’ouvrir une enquête internationale exhaustive si la situation des droits humains ne s’améliore pas de façon radicale dans le pays. Ils sont face à un test de crédibilité : comment réagiront-ils si la vague sanglante se poursuit et si la violente répression contre la société civile et les médias continue de faire rage ? »
Malgré ses fortes lacunes, la résolution comporte des dispositions qui chargent le Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme de présenter des mises à jour au Conseil ces deux prochaines années.
« La décision de maintenir les Philippines à l’ordre du jour du Conseil adresse un message clair au gouvernement de Rodrigo Duterte : la communauté internationale ne détournera pas le regard, a déclaré Rachel Chhoa-Howard.
« Dans les mois à venir, il faut que les autorités mettent fin à la vague d’homicides liés aux stupéfiants, aux attaques violentes contre les détracteurs du gouvernement, ainsi qu’à la répression contre la liberté de la presse aux Philippines.
« Si la tactique du gouvernement visant à retarder une enquête internationale a pu porter ses fruits cette fois-ci, le moment viendra de rendre des comptes. »
Complément d’information
La résolution adoptée par le Conseil des droits de l’homme le 7 octobre a été présentée à l’initiative conjointe des Philippines et de l’Islande.
Elle fait suite à une première résolution historique prise en 2019, sous l’égide de l’Islande, qui demandait au Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme de rédiger un rapport sur la situation des droits humains dans le pays et de le présenter au Conseil. Ce rapport [4], publié en juin 2020, explique que pendant des années, l’obligation de rendre des comptes pour les violations des droits humains n’a pas été mise en œuvre, créant une culture de l’impunité à travers le pays. Il dénonce également le caractère généralisé et systématique des meurtres de milliers de consommateurs ou trafiquants de drogue présumés, dans un contexte d’incitation au meurtre affichée au plus haut niveau de l’État.
À la lumière des conclusions et des recommandations de ce rapport, un groupe de 35 ONG ont adressé un appel [5] au Conseil des droits de l’homme concernant la tenue d’une enquête indépendante et internationale sur la situation. Cet appel est resté sans réponse.
Grâce aux pressions croissantes exercées sur le gouvernement de Rodrigo Duterte lors des dernières sessions du Conseil des droits de l’homme, le gouvernement a annoncé en juillet 2020 la création d’un panel inter-organismes chargé d’« examiner » les cas d’homicides lors des opérations policières de lutte contre la drogue. Le moment choisi et la composition de ce panel visent clairement à soustraire le gouvernement à un examen poussé : il regroupe en effet les organismes impliqués dans les homicides et d’autres violations.
Amnesty International ne considère pas ce panel comme une initiative crédible visant à rendre justice et craint qu’il n’accentue le danger pour les familles des victimes qui coopèrent avec lui. Dans ses précédentes recherches, elle s’est dite préoccupée par le bilan de la police nationale des Philippines s’agissant des mesures de harcèlement et d’intimidation à l’égard de celles et ceux qui portent plainte contre des policiers. La plupart des policiers accusés d’être responsables d’homicides illégaux sont toujours en service actif et vivent bien souvent parmi les habitants.