Philippines : Une sénatrice qui s’exprimait ouvertement est détenue arbitrairement depuis deux ans

Les autorités philippines doivent abandonner les charges à caractère politique retenues contre la sénatrice Leila de Lima, une des principales voix à s’élever contre les violations commises dans le cadre de la « guerre contre la drogue » du président Rodrigo Duterte, ont déclaré Human Rights Watch, Amnesty International et FORUM-ASIA ce vendredi 22 février.

Leila De Lima est détenue arbitrairement au siège de la police nationale des Philippines depuis le 24 février 2017, en violation des droits constitutionnels qui sont les siens en tant que sénatrice en fonction, et du droit international relatif aux droits humains.

La détention arbitraire de la sénatrice de Lima et la façon déplorable dont elle est traitée sont emblématiques de la détérioration de la situation de l’ensemble des défenseurs des droits humains aux Philippines, ont déclaré les organisations.

« Les deux années que la sénatrice de Lima a passées en détention montrent jusqu’où le gouvernement Duterte est prêt à aller pour faire taire les voix dissidentes et menacer les défenseurs des droits humains qui demandent que des comptes soient rendus pour les violations commmises », a déclaré John Samuel, directeur exécutif de FORUM-ASIA. « Les charges forgées de toutes pièces que les autorités ont retenues contre elle ne font qu’illustrer à quel point les institutions sont compromises sous le gouvernement actuel. »

« Les charges forgées de toutes pièces que les autorités ont retenues contre elle ne font qu’illustrer à quel point les institutions sont compromises sous le gouvernement actuel. »

Leila De Lima a été la première des responsable politiques pris pour cible par le gouvernement après l’accession de Rodrigo Duterte à la présidence en juin 2016. Leila de Lima fait cependant les frais de la colère de Rodrigo Duterte depuis 2009, année où elle a diligenté, en qualité de présidente de la Commission nationale des droits humains, une enquête sur les exécutions extrajudiciaires perpétrées par l’autoproclamé « escadron de la mort de Davao » dans la ville de Davao, dont Rodrigo Duterte a été le maire pendant plus de 20 ans.

En août 2016, Leila de Lima, en tant que présidente de la Commission sénatoriale pour la justice et les droits humains, a diligenté une enquête sur les meurtres qui ont commencé juste après l’entrée en fonction de Rodrigo Duterte. Celui-ci et ses alliés au sein des appareils exécutif et législatif ont réagi en dénigrant Leila de Lima tout au long de l’année, dans le but, pour reprendre les termes du président Duterte, de la « détruire publiquement ». Les parlementaires ont bloqué les investigations de la Commission et ont ouvert une enquête sur la vie intime de la sénatrice - allant jusqu’à menacer de rendre publique une vidéo à caractère sexuel sur laquelle elle était supposée apparaître - et sur ses liens présumés avec des personnes condamnées et emprisonnées pour des infractions liées à la drogue.

Les autorités ont invoqué de prétendus liens de la sénatrice avec des personnes incarcérées pour infraction à la législation sur les stupéfiants, en se fondant principalement sur le témoignage de ces personnes condamnées, pour justifier son arrestation et son placement en détention en février 2017.

« La sénatrice de Lima est une courageuse défenseure des droits humains, privée de liberté uniquement pour avoir critiqué le gouvernement Duterte »

« La sénatrice de Lima est une courageuse défenseure des droits humains, privée de liberté uniquement pour avoir critiqué le gouvernement Duterte », a déclaré Nicholas Bequelin, directeur régional pour l’Asie de l’Est, l’Asie du Sud-Est et le Pacifique à Amnesty International.. « Parce qu’elle est l’une des seules personnes, parmi les dirigeants, à avoir l’audace de s’opposer à la « guerre contre la drogue » meurtrière de Rodrigo Duterte, elle fait l’objet d’une détention arbitraire prolongée. Celle-ci vise manifestement à la faire taire, alors qu’elle continue à dénoncer avec courage les violations généralisées des droits humains, notamment les milliers d’exécutions extrajudiciaires qui touchent principalement des personnes pauvres et marginalisées. »

Les autorités traitent Leila de Lima de façon déplorable et continuent à bafouer ses droits fondamentaux en détention. Pratiquement détenue à l’isolement à Camp Crame, le siège de la police, elle est rarement autorisée à recevoir des visites. Des délégations de gouvernements étrangers ont été empêchées de la voir ou ont eu des difficultés à la rencontrer. Elle s’est vu refuser l’utilisation d’appareils électroniques et n’a pu continuer à publier des communiqués de presse et des mises à jour publiques critiquant la « guerre contre la drogue » qu’en les rédigeant à la main.

Lorsque Leila de Lima s’est rendue au tribunal pour des audiences préalables au procès, les policiers qui l’escortaient ont tenté de l’empêcher de parler aux journalistes, par exemple en toussant fortement tous ensemble afin que personne ne puisse entendre ce qu’elle disait. À de nombreuses reprises, comme le montrent des vidéos et des photos, les policiers qui l’escortaient l’ont également empêchée physiquement de s’exprimer.

Les violations systématiques dont Leila de Lima fait l’objet s’inscrivent dans le cadre de la campagne que mènent les autorités pour cibler et harceler ceux qui les critiquent, aux Philippines et à l’étranger.

Les violations systématiques dont Leila de Lima fait l’objet s’inscrivent dans le cadre de la campagne que mènent les autorités pour cibler et harceler ceux qui les critiquent, aux Philippines et à l’étranger. Les personnes qui ont dénoncé publiquemet la « guerre contre la drogue » - parmi lesquels des responsables des Nations unies et de l’Union européenne - ont été discréditées et harcelées par des trolls sur les réseaux sociaux et par les médias gouvernementaux, souvent par le président lui-même. Des journalistes, notamment Maria Ressa, du site Internet d’actualités et de commentaires Rappler, ont été poursuivis au pénal pour diffamation et pour d’autres infractions à motivation politique, le but étant de les intimider et de les réduire au silence. Des étrangers ont été arrêtés et expulsés simplement pour avoir exprimé pacifiquement leur opinion.

Le gouvernement Duterte a rejeté de nombreux appels lancés par différentes organisations indépendantes, dont l’Union interparlementaire, en faveur de la libération de Leila de Lima. Il a repoussé les initiatives des experts des Nations unies en matière de droits humains visant à enquêter sur les milliers d’exécutions extrajudiciaires perpétrées dans le cadre de la « guerre contre la drogue », et a menacé le Procureur général de la Cour pénale internationale après le lancement d’un examen préliminaire concernant les exécutions extrajudiciaires.

« La détention prolongée de Leila De Lima est le point culminant de la longue campagne de diabolisation menée par le président Duterte contre une sénatrice en poste au rôle déterminant », a déclaré Brad Adams, directeur pour l’Asie à Human Rights Watch. « Les charges ridicules qui pèsent sur la sénatrice doivent être abandonnées immédiatement et elle doit être libérée. »

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