Cette mesure s’impose de toute urgence, car le Conseil des droits de l’homme des Nations unies, lors d’un vote en octobre, n’a pas reconduit le mandat du Groupe d’éminents experts (GEE) sur le Yémen [1]
– organe qui, depuis plus de quatre ans, enquêtait et faisait rapport sur les atteintes aux droits humains et les autres violations du droit international perpétrées par toutes les parties au conflit au Yémen.
« Au vu des souffrances qui ont déjà été infligées à la population civile du Yémen, cette mesure est indispensable pour combattre l’impunité qui caractérise le conflit en cours, et pour faire clairement comprendre aux auteurs de tous les bords qu’ils devront rendre des comptes pour crimes de guerre et autres graves atteintes au droit international humanitaire et relatif aux droits humains », ont affirmé ces organisations dans une déclaration conjointe adressée aux 193 États membres de l’Assemblée générale.
Les États membres doivent créer un nouveau mécanisme permanent d’enquête pour prouver à la population du Yémen que les Nations unies n’entendent pas fermer les yeux sur ses souffrances, et qu’ils soutiennent le respect de l’obligation de rendre des comptes au niveau international pour les crimes et les atteintes aux droits humains commises dans le pays. Le vote du Conseil des droits de l’homme est la conséquence d’intenses pressions exercées par l’Arabie saoudite pour mettre fin au travail de suivi des experts, avec le soutien des Émirats arabes unis, qui sont à la tête de la coalition militaire dans le conflit du Yémen, et d’autres alliés. « La communauté internationale ne peut pas se cantonner dans la passivité et laisser ce vote mettre un point final aux efforts déployés pour que les atteintes aux droits humains et les crimes de guerre commis au Yémen ne restent pas impunis », ont déclaré les organisations.
Les organisations ont appelé l’Assemblée générale des Nations unies à mettre en place un organe indépendant et impartial qui enquêterait et ferait rapport publiquement sur les plus graves violations du droit international et atteintes à ces droits commises au Yémen, tout en recueillant et conservant des éléments de preuve et en préparant des dossiers pour d’éventuelles poursuites judiciaires ultérieures.
« Un mandat aussi solide est nécessaire pour garantir non seulement que les graves violations commises au Yémen seront révélées au monde, mais aussi que les voies de recours possibles en cas de crimes de droit international pourront être utilisées efficacement à l’avenir pour combattre l’impunité et apporter des réparations effectives aux victimes », ont déclaré les organisations.
Toutes les parties au conflit au Yémen se sont livrées à des atteintes généralisées et systématiques aux droits humains, blessant voire tuant notamment des dizaines de milliers de membres de la population civile, ont déclaré les organisations. Depuis 2015, la coalition dirigée par l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis a procédé à des dizaines de frappes aériennes illégales qui ont blessé voire tué des membres de la population civile et détruit ou endommagé des habitations, des hôpitaux, des écoles, des marchés et d’autres infrastructures civiles. Elle a également armé et soutenu des groupes armés locaux et des milices qui ont commis de graves atteintes aux droits humains.
Les forces houthies ont tiré de manière aveugle des obus de mortier, des roquettes et d’autres missiles sur des zones densément peuplées, dont des villes, au Yémen, et ont lancé sans discernement des missiles balistiques sur des zones peuplées en Arabie saoudite. Les parties belligérantes empêchent une aide humanitaire vitale de parvenir aux personnes qui en ont besoin. Les organisations ont souligné que la conduite criminelle de toutes les parties au conflit au Yémen avait fait des milliers de morts parmi la population civile et provoqué la pire crise humanitaire au monde [2].
Ce ne serait pas la première fois que l’Assemblée générale prendrait des mesures courageuses contre des atteintes généralisées et persistantes aux droits humains. En 2016, elle a créé le Mécanisme international, impartial et indépendant chargé de faciliter les enquêtes sur les violations les plus graves du droit international commises en République arabe syrienne [3]. En 2018, le Conseil des droits de l’homme a créé un mécanisme similaire pour le Myanmar [4], à la suite des crimes contre l’humanité et du génocide présumé commis en 2017 à l’encontre de la population musulmane rohingya.
Conscients de la nécessité urgente de faire respecter l’obligation de rendre des comptes au Yémen, des dizaines d’États membres de l’ONU ont déjà déclaré que la communauté internationale devait « explorer activement des mécanismes de substitution » pour l’établissement des responsabilités dans le pays.
« La population yéménite a besoin de justice », ont déclaré les organisations. « Et la justice commence par des enquêtes et par l’établissement des responsabilités. C’est maintenant qu’il faut agir. »
La déclaration conjointe peut être consultée dans son intégralité ici. Elle restera ouverte à signature.
Observations des plus grandes organisations de défense des droits humains ayant signé la déclaration conjointe
Agnès Callamard, secrétaire générale d’Amnesty International :
« Pour que ce mécanisme soit mis en place, ce qu’il faut, ce n’est pas un miracle, mais une volonté politique. Il faut que l’Assemblée générale se mobilise et passe à l’action tout de suite. Si les États continuent à fermer les yeux, on ne peut espérer voir le terme de ce terrible conflit, au cours duquel des souffrances incommensurables ont été infligées aux hommes, aux femmes et aux enfants du Yémen. Les Yéménites ont frappé à toutes les portes imaginables pour obtenir que des comptes soient rendus et que justice soit faite. Les États membres ont un devoir envers eux : agir rapidement – le bien-être de millions de personnes est entre leurs mains. »
Kenneth Roth, directeur exécutif de Human Rights Watch :
« Le gouvernement saoudien, par ses pressions, a réussi à amener le Conseil des droits de l’homme des Nations unies à cesser de surveiller les agissements des Saoudiens, des Houthis et des autres belligérants au Yémen, mais les choses ne doivent pas en rester là. Cela fait des années que toutes les parties belligérantes au Yémen font preuve d’un mépris total pour les droits fondamentaux et les vies humaines. L’impunité ne fait qu’aggraver la situation. Il est urgent que l’Assemblée générale des Nations unies revienne sur ce dangereux pas en arrière. Elle doit mettre sur pied une équipe d’enquête chargée de recueillir des informations sur les faits et d’en rendre compte, et de collecter et conserver des éléments de preuve pour de futures poursuites. »
Radhya Almutawakel, présidente de Mwatana for Human Rights :
« L’Assemblée générale des Nations unies doit agir maintenant et mettre en place un mécanisme pour le Yémen. Si la communauté internationale veut réellement venir en aide au Yémen, sa priorité absolue doit consister à mettre fin à l’impunité et à apporter son appui à l’établissement des responsabilités. Toutes les parties belligérantes, y compris la coalition dirigée par l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis, ainsi que les Houthis, doivent être amenées à rendre des comptes pour les souffrances subies par la population civile. »
Bahey Eldin Hassan, directeur de l’Institut du Caire pour l’étude des droits de l’homme :
« Les États membres des Nations unies sont devant un choix : céder aux pressions saoudiennes et permettre à toutes les parties au conflit, y compris aux groupes armés houthis, de continuer à commettre atrocité après atrocité en toute impunité, ou prendre des mesures pour protéger la population yéménite et veiller à ce que l’obligation de rendre des comptes soit respectée. »
Savita Pawnday, directrice exécutive du Centre mondial pour la responsabilité de protéger :
« Depuis plus de six ans, on constate une “pandémie d’impunité” pour les innombrables atrocités commises au Yémen. La suppression du Groupe d’éminents experts est venue aggraver la situation en ce qui concerne le manque d’établissement des responsabilités. Il incombe à l’Assemblée générale des Nations unies de protéger le peuple yéménite et d’agir maintenant, en prenant des mesures d’urgence pour établir un nouveau mécanisme permanent de reddition de comptes. Il n’y aura de paix au Yémen que si la justice et la responsabilisation l’emportent . »