Amnesty International a vérifié une vidéo relayée par les autorités bélarussiennes, qui montre des personnes en train de franchir la frontière dans le secteur d’Usnarz Górny. Selon l’organisation polonaise Fundacja Ocalenie, un groupe de 17 personnes, dont au moins une mineure, ont été appréhendées avec brutalité après avoir franchi la clôture vers la Pologne le 20 octobre. Elles ont été détenues dans un poste de garde-frontières en Pologne, puis renvoyées au Bélarus par les autorités polonaises. Une enquête numérique menée par Amnesty International avait déjà montré que ce même groupe avait été soumis à un renvoi forcé présumé en août.
« Ce groupe d’Afghan·e·s est retenu dans des conditions épouvantables à la frontière entre la Pologne et le Bélarus depuis deux mois maintenant. La violence constatée aujourd’hui et ce nouveau renvoi forcé illégal vers le Bélarus sont un affront au droit international et au droit fondamental de demander l’asile. Cette action fait fi de la décision de la Cour européenne des droits de l’homme qui a enjoint aux autorités polonaises de venir en aide à ce groupe et leur interdit de les renvoyer vers le Bélarus, tant qu’ils se trouvent en Pologne », a déclaré Nils Muižnieks, directeur pour l’Europe à Amnesty International.
Le 25 août, la Cour européenne des droits de l’homme a en effet ordonné à la Pologne de fournir à ce groupe de 32 Afghan·e·s « de la nourriture, de l’eau, des vêtements, des soins médicaux adéquats et, si possible, un abri temporaire ». Le 27 septembre, elle a prorogé cette mesure « jusqu’à nouvel ordre » et a statué que tant que le groupe se trouvait sur le territoire polonais, il ne devait pas être renvoyé au Bélarus.
« La violence constatée aujourd’hui et ce nouveau renvoi forcé illégal vers le Bélarus sont un affront au droit international et au droit fondamental de demander l’asile »
Pourtant, le groupe a été renvoyé au Bélarus au titre d’un décret ministériel polonais édicté en août 2020, qui établit qu’à l’exception des personnes appartenant à certaines catégories, les personnes interceptées dans la zone frontalière devront quitter la Pologne et seront « renvoyées à la limite frontalière de l’État ». Le 2 septembre, la Pologne a déclaré l’état d’urgence dans sa zone frontalière, qui est donc interdite aux journalistes, aux député·e·s et aux militant·e·s.
« Le gouvernement polonais fait preuve d’une grande cruauté en tentant de légitimer les renvois illégaux de personnes sollicitant l’asile à sa frontière. Le droit européen et le droit international sont limpides à ce sujet : il est illégal de renvoyer sommairement des personnes ayant franchi illégalement une frontière sans évaluer leur situation personnelle », a déclaré Nils Muižnieks.
Amnesty International demande au gouvernement polonais de mettre fin aux renvois forcés illégaux, d’abroger la modification relative à la fermeture des frontières et de garantir un accès sûr au territoire national pour les personnes en quête de protection.
Complément d’information
Le 14 octobre, le Parlement polonais a adopté des modifications de la Loi sur les étrangers et de la Loi sur la protection internationale. Aux termes de ces modifications, une personne qui entre ou tente d’entrer dans le pays « en violation de la loi » doit quitter le territoire polonais et se voit interdire d’y revenir pendant une période allant de 6 mois à trois ans. Tout demandeur qui fait appel de cette décision ne peut pas séjourner en Pologne dans l’attente du jugement.
« Il est illégal de renvoyer sommairement des personnes ayant franchi illégalement une frontière sans évaluer leur situation personnelle »
Aux termes de ces modifications, les demandes d’asile soumises par une personne arrêtée pour entrée irrégulière sur le territoire peuvent être suspendues ou ne pas être examinées. La seule exception concerne les étrangers entrés directement depuis un pays où leur vie serait en danger ; elle ne s’applique donc pas au groupe d’Afghan·e·s qui ont transité par le Bélarus.
En outre, ces modifications érigent en infraction tout dommage causé à l’infrastructure de protection de la frontière, un acte désormais passible d’une peine de prison comprise entre 6 mois et cinq ans. L’Agence des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) et l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) avaient fait part de leur préoccupation quant à cette proposition législative.
Le 14 octobre, le Parlement a aussi adopté une loi qui prévoit une protection renforcée de la frontière et envisage la construction d’une clôture (à un coût estimé à 350 millions d’euros). L’installation sera construite par les garde-frontières et la protection de la frontière sera assurée par diverses autorités de l’État, dont le ministre de la Défense, le responsable du bureau du procureur général, les responsables d’autorités régionales (Wojewoda Podlaski, Wojewoda Lubelski), ainsi que le responsable du Bureau de lutte contre la corruption, notamment.
Au moins cinq personnes sont mortes à la frontière depuis le mois de septembre, le dernier décès étant celui s’un Syrien âgé de 24 ans, signalé par les autorités polonaise le 14 octobre.