D’après la reconstruction réalisée, le 18 août, la plupart de ces 32 personnes, qui étaient entrées en Pologne depuis le Bélarus, se trouvaient côté polonais de la frontière, cernées par les garde-frontières polonais. Cependant, le lendemain, elles étaient de retour côté bélarussien. Amnesty International estime que ce mouvement peut constituer la preuve d’un renvoi forcé illégal (push-back), puisqu’il semble être survenu alors que des garde-frontières armés polonais encerclaient le camp de fortune des réfugié·e·s.
« La Pologne bloque ce groupe de personnes à la frontière dans des conditions déplorables, depuis des semaines »
Le 20 août, les 32 Afghans bloqués à la frontière ont déposé des demandes de protection internationale en Pologne, avec l’aide d’avocats, montrant leur souhait de rester en Pologne. Les mesures provisoires [1] décidées par la Cour européenne des droits de l’homme le 25 août, puis prorogées le 27 septembre, demandent au gouvernement polonais de fournir de l’aide aux requérants, notamment « de la nourriture, de l’eau, des vêtements, des soins médicaux adéquats et, si possible, un abri temporaire ». La Cour indique également que le groupe a affirmé être entré sur le territoire polonais le 8 août 2021 avant d’être repoussé de force. La Pologne n’a toujours pas appliqué ces mesures provisoires.
« La Pologne bloque ce groupe de personnes à la frontière dans des conditions déplorables, depuis des semaines. Notre analyse prouve de manière irréfutable que leur position est passée le 18 août de la Pologne au Bélarus au cours de la nuit et qu’elles ont donc probablement été victimes d’un renvoi forcé illégal », a déclaré Eve Geddie, directrice du Bureau d’Amnesty International auprès des institutions européennes.
« État d’urgence »
« Renvoyer de force des personnes qui demandent l’asile, sans évaluer de manière individuelle leurs besoins de protection, va à l’encontre du droit international et du droit européen. L’adoption de nouvelles lois et mesures visant à légaliser les renvois forcés sommaires n’y change rien »
Depuis cet événement, le groupe demeure pris au piège entre les garde-frontières polonais et bélarussiens. La Pologne a restreint les déplacements dans le secteur et adopté le 20 août des réglementations qui permettent de renvoyer au Bélarus certaines personnes interceptées à la frontière. Le 3 septembre, la Pologne a décrété l’« état d’urgence » à sa frontière avec le Bélarus, restreignant l’accès des journalistes et des ONG. Il s’avère donc difficile de surveiller d’éventuelles violations des droits humains, avivant les craintes quant au traitement réservé aux personnes réfugiées et migrantes dans la zone, notamment en ce qui concerne des renvois forcés vers le Bélarus. Depuis le 19 septembre, cinq personnes sont mortes dans la région frontalière, notamment d’hypothermie.
« La terrible situation à laquelle sont confrontés les Afghans à la frontière a en fait été créée par le gouvernement polonais. La déclaration de l’état d’urgence est illégitime et doit être levée. La situation aux frontières du pays ne constitue pas une urgence publique à l’aune des définitions européennes et internationales, a déclaré Eve Geddie.
« Renvoyer de force des personnes qui demandent l’asile, sans évaluer de manière individuelle leurs besoins de protection, va à l’encontre du droit international et du droit européen. L’adoption de nouvelles lois et mesures visant à légaliser les renvois forcés sommaires n’y change rien. »
Vérification numérique
« Des personnes demandent l’asile dans un pays de l’UE et un État membre de l’UE viole de manière éhontée leurs droits : l’UE doit agir rapidement et fermement pour dénoncer ces atteintes flagrantes au droit européen et international »
Afin d’évaluer la situation à la frontière entre la Pologne et le Bélarus, le Laboratoire de preuves d’Amnesty International a recueilli et analysé des images satellite transfrontalières et plus de 50 vidéos et photographies d’incidents survenus à la frontière depuis le 12 août. Ces images confirment les déplacements du groupe et la sécurisation croissante de la zone ces dernières semaines. Elles émanent de sources multiples, des habitants du coin à la presse, et englobent des images prises par hélicoptère et par satellite – toutes ayant été analysées et authentifiées.
En se servant de la photogrammétrie et de la photo-correspondance pour la reconstruction des modèles 3D, Amnesty International a pu vérifier la position du groupe à la frontière et confirmer le renvoi forcé présumé entre le 18 et le 19 août, ainsi que le lieu où se trouvait le groupe entre le 12 août et le 13 septembre. Elle a également exposé les conditions inhumaines dans le camp de fortune où ils sont contraints de vivre.
Amnesty International demande au gouvernement polonais de veiller à ce que les personnes sollicitant une protection aient accès à son territoire. Il doit mettre un terme aux renvois forcés illégaux et fournir sans délai un abri adapté, de la nourriture, de l’eau, l’accès à des installations sanitaires, à des avocat·e·s et à des soins médicaux au groupe d’Afghans bloqués à la frontière entre la Pologne et le Bélarus. La Pologne doit aussi lever l’état d’urgence et abroger les lois restreignant les déplacements dans la zone frontalière, et permettre aux journalistes, aux militant·e·s, aux ONG et aux avocat·e·s de s’y rendre librement.
« La terrible situation à laquelle sont confrontés les Afghans à la frontière a en fait été créée par le gouvernement polonais »
« Des personnes demandent l’asile dans un pays de l’UE et un État membre de l’UE viole de manière éhontée leurs droits : l’UE doit agir rapidement et fermement pour dénoncer ces atteintes flagrantes au droit européen et international », a déclaré Eve Geddie.
Complément d’information
Le 2 septembre, la Pologne a déclaré l’état d’urgence dans la zone frontalière avec le Bélarus. Le droit international définit une situation d’urgence comme une crise qui menace « l’existence de la nation ». La migration vers la Pologne ne répond pas à ce critère et ne représente pas ce type de danger. En outre, le droit international relatif aux droits humains énonce des conditions strictes qu’un État doit remplir lorsqu’il instaure un état d’urgence limitant les droits humains ; il doit par exemple en aviser formellement les organes internationaux concernés. La Pologne n’a pas respecté ces exigences.
Le 20 août 2021, avant l’instauration de l’état d’urgence le 3 septembre, un décret ministériel [2] a limité les déplacements à la frontière et établi qu’à l’exception des personnes appartenant à certaines catégories, les personnes interceptées dans la zone frontalière devront quitter la Pologne et « être renvoyées à la limite frontalière de l’État ». Ce décret entre en contradiction avec les obligations incombant à la Pologne aux termes du droit relatif aux réfugiés, puisqu’il limite l’accès des demandeurs d’asile au territoire polonais, ce qui est pourtant essentiel pour qu’ils puissent y demander une protection internationale. Ce texte est également en désaccord avec le principe de non-pénalisation des demandeurs d’asile, à savoir que les personnes en quête de protection ne doivent pas faire l’objet de sanctions au motif de leur entrée ou présence illégale dans le pays. En permettant aux autorités polonaises de renvoyer des personnes sans évaluer leur cas individuel et sans qu’elles n’aient véritablement la possibilité de contester cette décision, le décret va à l’encontre du principe de non-refoulement et pourrait se traduire par des expulsions collectives, ce que prohibe le droit international.
« La déclaration de l’état d’urgence est illégitime et doit être levée. La situation aux frontières du pays ne constitue pas une urgence publique à l’aune des définitions européennes et internationales »
La Lituanie et la Lettonie [3], États voisins du Bélarus, connaissent des afflux comparables à leurs frontières et ont adopté des mesures similaires à la Pologne. Le 17 août, le gouvernement polonais a proposé [4] une série inquiétante de modifications à la législation relative aux renvois et à la protection internationale. Ces amendements prévoient de faciliter les renvois, ce qui pourrait se traduire par des expulsions collectives, permettent aux services chargés d’examiner les demandes d’asile de rejeter celles déposées par des personnes interceptées à un point de passage illégal, sauf en cas de circonstances précises, et érigent en infraction pénale le franchissement clandestin des frontières. L’Agence des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) a vivement critiqué [5] cette proposition. Au moment de la rédaction de ce document, elle n’est pas encore entrée en vigueur et est en instance [6] devant le Sénat polonais.
Le 25 août, la Cour européenne des droits de l’homme a ordonné à la Pologne de fournir une aide humanitaire aux personnes migrantes et réfugiées à sa frontière, et a réitéré sa demande le 27 septembre. La Pologne n’a toujours pas respecté cette injonction.
Le HCR et l’OIM ont lancé un appel public [7] demandant un accès immédiat aux personnes concernées à la frontière.