Pologne : Les droits sexuels et reproductifs sont des droits humains

Le 10 janvier 2018 en fin de soirée, les députés de la chambre basse du Parlement polonais ont soutenu la proposition de restreindre fortement l’accès aux avortements légaux en Pologne, qui avait été déposée par une organisation anti-choix.

Deux cent soixante-dix-sept députés ont voté en faveur du renvoi de la proposition de loi à la commission parlementaire chargée de la politique sociale et des affaires familiales. Cent trente-quatre députés étaient contre. Si le texte obtient le soutien de la commission, il reviendra en séance plénière. Ensuite, il sera soumis au vote final du Sénat.

Dans quelle mesure cette nouvelle proposition restreint-elle l’accès à l’avortement ?

La modification proposée de la Loi de 1993 sur la planification familiale supprimerait la malformation du fœtus de la liste des motifs autorisés d’interruption de grossesse. Si elle est adoptée, cette modification restreindrait encore plus l’accès déjà limité à l’avortement, qui serait alors autorisé dans deux cas seulement :

  • si la grossesse met en danger la vie ou la santé de la femme ;
  • si on peut légitimement soupçonner que la grossesse résulte d’un acte criminel.

Aux termes de la loi polonaise existante, les personnes qui pratiquent, ou aident à pratiquer, un avortement non conforme aux conditions prévues par la loi s’exposent à des poursuites pénales. La législation actuelle n’incrimine pas les femmes qui avortent ou cherchent à le faire et cela n’est pas prévu non plus dans la nouvelle proposition.

Le texte proposé actuellement a été rédigé par l’organisation anti-choix Fundacja Zycie i Rodzina (Fondation Vie et Famille) en novembre 2017. Soutenu par plus de 800 000 signatures, il a été présenté à la chambre basse du Parlement (la Diète) fin novembre 2017. Il doit passer en première lecture le 10 janvier 2018.

Les médias ont souvent qualifié l’avortement pour raison de malformation fœtale d’« avortement eugénique », sous-entendant que l’interruption de grossesse en cas de malformation grave ou mortelle du fœtus était en fait une forme de « sélection » fondée sur les caractéristiques du fœtus, à distinguer du droit qu’a une femme enceinte de prendre des décisions qui protègent sa santé physique et mentale, à court comme à long terme.

Les malformations graves ou mortelles du fœtus sont des maladies graves, qui entraînent souvent le risque que le fœtus ne survive pas à l’accouchement ou que l’enfant ne vive pas longtemps après sa naissance. D’après des statistiques officielles, la majorité des avortements en Pologne (96 % en 2016) sont pratiqués pour ces motifs. Par conséquent, si la proposition de loi est adoptée, le texte aurait des répercussions dramatiques sur les droits des femmes et des jeunes filles en Pologne, qui devront se rendre à l’étranger pour interrompre leur grossesse ou mettre leur vie en danger en se faisant avorter dans de mauvaises conditions dans leur pays.

Quelle est la position d’Amnesty International sur l’accès à l’avortement ?

En tant qu’organisation de défense des droits humains, Amnesty International a une position sur l’avortement fondée sur le droit international relatif aux droits humains et les normes en la matière, qui sont juridiquement contraignants pour la Pologne, car le pays est partie aux principaux traités relatifs aux droits humains. Les droits sexuels et reproductifs sont des droits humains. Ils garantissent à chacun la possibilité de prendre ses propres décisions concernant son corps, d’obtenir des informations exactes sur les choix disponibles en matière de soins de santé et d’avoir accès à des services, produits ou informations liés à la santé sexuelle et reproductive.

Le droit d’accéder à l’ensemble des informations et services relatifs à la santé sexuelle et reproductive, notamment l’accès aux services d’avortement, fait partie des droits fondamentaux des femmes et des jeunes filles polonaises. Afin de respecter le droit international relatif aux droits humains, les gouvernements doivent donner accès à l’avortement, pas uniquement en théorie, mais aussi en pratique. Les États ont l’obligation légale de garantir que l’avortement est effectivement accessible pour les femmes et les jeunes filles, sans obstacles ni délais injustifiés.

Des organisations internationales comme l’Organisation mondiale de la santé et les organes des Nations unies spécialisés dans les droits humains s’accordent à reconnaître que limiter l’avortement à certaines circonstances uniquement crée un obstacle à l’accès aux services d’avortement pour les femmes, même lorsqu’elles peuvent prétendre à un avortement légal. Les femmes sont plus susceptibles d’accéder à des services d’avortement lorsque ces derniers sont plus largement disponibles, par exemple lorsqu’ils sont accessibles sur demande dès le début de la grossesse ou sur des critères socioéconomiques très larges.

D’après le droit international, au minimum, les femmes et les jeunes filles devraient pouvoir avorter de façon sûre et légale pour les motifs suivants : lorsque la grossesse résulte d’un viol ou d’un inceste, lorsque la grossesse représente un risque pour la santé de la femme, ainsi qu’en cas de malformation fœtale grave ou mortelle. L’avortement « sur demande » doit être disponible sans restrictions pour les adolescentes, afin de garantir leur intérêt supérieur et de faire en sorte que leurs opinions soient toujours entendues et respectées dans le cadre des décisions relatives à l’avortement, en droit comme en pratique.

Le droit international préconise la dépénalisation de l’avortement dans tous les cas de figure. Aucune femme ou jeune fille ne doit s’exposer à des poursuites pénales pour avoir avorté, quelles que soient les circonstances. En outre, aucun professionnel de santé ne doit être poursuivi uniquement pour avoir prodigué des soins liés à l’avortement à une femme qui a consenti à cette intervention. Cela n’empêche pas l’État de poursuivre en justice une personne pratiquant des avortements pour négligence criminelle, comme pour tout autre cas de négligence médicale. La dépénalisation consiste à supprimer les sanctions pénales auxquelles s’exposent les professionnels de santé s’ils sont déclarés coupables d’avoir pratiqué un avortement ou d’y avoir contribué. Dépénaliser l’avortement ne signifie pas la déréglementation des services liés à l’avortement.

Quelle est la position d’Amnesty International sur l’avortement en cas de malformation fœtale grave ou mortelle ?

Toutes les femmes et les jeunes filles doivent avoir la possibilité de choisir si elles veulent poursuivre ou non une grossesse, y compris en cas de malformation fœtale grave ou mortelle. Les malformations graves ou mortelles du fœtus sont des maladies graves, qui entraînent souvent le risque que le fœtus ne survive pas à l’accouchement ou que l’enfant ne vive pas longtemps après la naissance. Amnesty International se joint à des organismes de protection des droits humains pour demander l’accès à des services d’avortement sûrs et légaux en cas de malformation fœtale grave ou mortelle, lorsque les femmes ou les jeunes filles souhaitent interrompre leur grossesse pour ce motif.

Les organes des Nations unies chargés des droits humains recommandent aux États de garantir l’accès à des services d’avortement en cas de malformation fœtale. Ces organismes spécialisés ne se sont pas contentés de préconiser l’accès à l’avortement dans les cas où les malformations du fœtus sont telles qu’il est quasiment certain que l’enfant sera mort-né ou mourra immédiatement après la naissance. Ils ont aussi lancé des appels généraux en faveur de l’« avortement thérapeutique », c’est-à-dire l’avortement pour raisons médicales, sans préciser quelles peuvent être ces raisons.

Dans ses récentes observations finales, le Comité des Nations unies pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes, qui contrôle le respect par les États de la convention du même nom, a demandé que l’avortement soit autorisé en cas de malformation fœtale « grave ». Ce Comité a aussi recommandé au Pérou en juillet 2014 d’étendre les conditions d’autorisation de l’avortement aux cas de viols, d’inceste et de malformation fœtale grave. La Pologne est partie à cette convention.

Dans la même veine, en octobre 2016, le Comité des droits économiques, sociaux et culturels, qui surveille le respect par les États du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, a critiqué la Pologne au sujet des obstacles à l’accès à des avortements sûrs et légaux ainsi que du « côté extrêmement restrictif de [sa] législation ».

Les organismes internationaux de défense des droits humains ont clairement affirmé à maintes reprises que l’interdiction de l’avortement en cas de malformation fœtale grave ou mortelle constituait une violation des droits humains les plus fondamentaux des femmes, tels que les droits au respect de la vie privée et à la santé, ainsi que le droit à ne pas être soumis à la torture ou à d’autres mauvais traitements.

Dans l’affaire K.L. c. Pérou (2005), une jeune Péruvienne de 17 ans s’est vu refuser l’accès à l’avortement qu’elle avait sollicité après avoir appris qu’elle portait un fœtus anencéphale, alors que la loi péruvienne prévoit l’accès à l’avortement sûr et légal lorsque la vie ou la santé de la femme ou de la jeune fille est en danger. Estimant que son droit à un avortement sûr et légal avait été violé, K.L. a poursuivi l’État péruvien devant le Comité des droits de l’homme des Nations unies. Elle a été obligée de mettre le bébé au monde et de l’allaiter pendant les quatre jours pendant lesquels le bébé a survécu. Cette grossesse forcée a eu des conséquences néfastes sur la santé physique et psychologique de K.L. Pour de nombreuses femmes et jeunes filles, mener ce type de grossesse à terme peut être extrêmement traumatisant et avoir des répercussions durables sur la santé physique et mentale.

Le comité a conclu que le gouvernement péruvien avait violé les droits humains de K.L., notamment son droit à ne pas être exposée à des traitements cruels, inhumains et dégradants. Il a également indiqué que le Pérou avait l’obligation de protéger les droits particuliers de K.L. en tant que mineure.

Le Comité des droits de l’homme des Nations unies a jugé dans deux autres affaires – Mellet c. Irlande et Whelan c. Irlande – que l’interdiction et l’incrimination de l’avortement dans des cas de malformation fœtale mortelle faisaient subir à ces femmes des « souffrances physiques et morales intenses » et qu’aucune raison ne pouvait être invoquée en tant que justification ou circonstance atténuante pour excuser les torts causés. En août 2017, le Comité des Nations unies contre la torture a confirmé l’évaluation qu’il avait faite des souffrances infligées aux femmes par la législation irlandaise relative à l’avortement.

Les avortements fondés sur des caractéristiques sélectives du fœtus ne risquent-ils pas de renforcer la discrimination contre les personnes handicapées et contre les femmes et les filles ?

Limiter l’accès à l’avortement ne permettra pas de favoriser les droits des personnes handicapées. Le meilleur moyen pour les gouvernements de promouvoir les droits des personnes handicapées et de combattre la discrimination à leur encontre consiste à s’attaquer directement aux causes sous-jacentes de ces discriminations, notamment en mettant en place des lois et des politiques en faveur de l’autonomie et des droits de toutes les personnes handicapées, comme le prévoit la Convention relative aux droits des personnes handicapées. Les gouvernements doivent aussi proposer aux femmes enceintes et à leur famille des informations exactes et exhaustives sur la santé du fœtus et leur apporter tout le soutien dont elles pourraient avoir besoin pour élever leur enfant handicapé. De plus, les gouvernements doivent mettre en œuvre des lois, politiques et pratiques pour combattre les préjugés contre les personnes souffrant de handicaps et veiller à ce qu’elles puissent participer, sur un pied d’égalité, à la vie sociale.

Certains opposants à l’avortement demandent aux États d’interdire le dépistage prénatal et la communication d’informations sur l’état de santé du fœtus. À l’inverse, conformément au droit international relatif aux droits humains, Amnesty International demande aux gouvernements de s’abstenir de refuser ou de limiter l’accès égalitaire de tous à des informations sur la santé sexuelle et reproductive, et de ne pas tenir les informations secrètes ni les déformer intentionnellement.

Le droit international relatif aux droits humains reconnaît-il le droit à la vie du fœtus ?

L’interruption d’une grossesse n’est pas incompatible avec le droit à la vie. Les dispositions des traités internationaux et régionaux relatifs aux droits humains qui protègent le droit à la vie ne

portent pas sur la période prénatale (par exemple, l’article 1 de la Déclaration universelle des droits de l’homme dispose : « Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits. ») Aucun organe de défense des droits humains n’a jamais établi que l’avortement était incompatible avec les droits fondamentaux.

Certaines personnes croient que la vie débute au moment de la conception et qu’à partir de cet instant, un fœtus a droit aux mêmes protections qu’un enfant mis au monde. Cette conviction personnelle est profondément ancrée dans l’esprit de nombreuses personnes, mais elle n’a aucun fondement dans le droit relatif aux droits humains.

Les normes internationales dans ce domaine indiquent clairement que les protections du droit à la vie s’appliquent après la naissance. Ces normes autorisent effectivement les États à prendre des mesures pour favoriser le développement du fœtus, mais elles le font en protégeant les droits humains de la femme ou de la jeune fille enceinte, et non le droit à la vie avant la naissance.

Aucun organisme international de défense des droits humains n’a jamais considéré que le fœtus était protégé par le droit à la vie ou par d’autres dispositions de traités internationaux relatifs aux droits humains, dont la Convention relative aux droits de l’enfant. La Commission des droits de l’homme des Nations unies a également rejeté la proposition d’appliquer le droit à la vie avant la naissance dans l’article 6(1) du Pacte.

Le Comité des droits de l’homme des Nations unies a souligné à plusieurs reprises que l’interdiction de l’avortement représentait une menace pour les femmes et les filles, les poussant à se tourner vers des avortements à risques. Il a demandé aux États d’assouplir les lois sur l’avortement, une position qui serait problématique si la protection du droit à la vie s’appliquait avant la naissance selon le Pacte. De plus, dans son observation générale n° 28, qui fait autorité concernant l’interprétation du principe d’égalité énoncé dans le Pacte, le Comité a également insisté sur la responsabilité qu’ont les États de réduire la mortalité maternelle causée par les avortements clandestins et a reconnu que les lois sur l’avortement restrictives pouvaient violer le droit à la vie des femmes et des filles. Il faut noter que le Comité a également critiqué la Constitution de l’un des États partie, qui accorde le droit à la vie aux fœtus « non nés », au même titre qu’aux femmes enceintes. Le Comité a reconnu les répercussions négatives de cette disposition sur l’accès des femmes à l’avortement et a préconisé sa modification, ainsi que l’assouplissement de la législation sur l’avortement.

Des organes des Nations unies ont aussi affirmé que les intérêts du fœtus pouvaient être protégés par le biais de la promotion de la santé et du bien-être des femmes enceintes, ainsi que grâce à des soins de santé maternelle, des informations, des produits et des services adéquats.

Quelle est la position d’Amnesty International sur l’avortement lorsqu’une femme ou une jeune fille se retrouve enceinte à la suite d’un viol ou d’un inceste ?

Le droit international relatif aux droits humains indique clairement que les victimes de violences sexuelles ont le droit d’accéder à un avortement sûr et légal. On dispose de données solides sur le traumatisme physique et mental subi par les femmes et les jeunes filles qui sont contraintes de poursuivre une grossesse due à un viol ou à un inceste. Dans de telles circonstances, forcer une femme ou une jeune fille à poursuivre sa grossesse constitue une grave violation de ses droits, en particulier le droit de ne pas subir de mauvais traitement, ainsi que le droit à la santé. Toutes les femmes ne choisissent pas d’interrompre leur grossesse, mais certaines le font. Cette décision revient à la femme ou à la jeune fille elle-même, ainsi qu’aux professionnels de santé et aux proches qu’elle choisit de consulter.

Plusieurs organes de suivi des traités des Nations unies, notamment le Comité contre la torture, ont conclu que le fait d’interdire l’avortement dans ces circonstances constituait un acte de torture ou une autre forme de mauvais traitement. Le Comité contre la torture a établi que l’interdiction de services d’avortement sûrs et légaux pour les victimes de viol constituait une violation du droit de la victime à ne pas subir de traitements cruels, inhumains et dégradants, prévu par l’article 16, ainsi que de son droit à des voies de recours et des réparations, prévu par l’article 14 de la Convention contre la torture.

L’Organisation mondiale de la santé a recommandé que les femmes et les jeunes filles qui portent plainte pour viol puissent accéder à des services d’avortement sûrs et légaux et indiqué qu’elles ne devaient pas être obligées de s’engager dans une procédure administrative ou judiciaire inutile consistant notamment à poursuivre ou à identifier l’auteur des faits.

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