Pourquoi une résolution de l’Assemblée générale des Nations unies reste nécessaire

Le Réseau ANASE alternatif sur la Birmanie (ALTSEAN-Burma), Amnesty International, Article 19, Civil Rights Defenders (CRD), Forum-Asia et la Fédération internationale des ligues des droits de l’homme (FIDH) redoutent que l’Union européenne (UE) n’introduise pas de nouvelle résolution sur la situation des droits humains au Myanmar lors de la 71esession de l’Assemblée générale des Nations unies. Cela en dépit du fait que de nombreux motifs de préoccupation en relation avec les droits humains soulevés dans de précédentes résolutions restent d’actualité. Nos organisations estiment que renoncer à la résolution à l’heure actuelle serait prématuré, et que des mécanismes forts de suivi de la situation des droits humains doivent rester en place afin que le Myanmar continue à introduire certaines réformes indispensables. Nous demandons donc à l’UE et à ses États membres de maintenir une résolution sur la situation des droits humains au Myanmar lors de la prochaine Assemblée générale des Nations unies.

Le gouvernement dirigé par la Ligue nationale pour la démocratie, arrivé au pouvoir à la fin mars 2016, a hérité d’un passif de violations des droits humains et d’atteintes à ces droits, et est confronté à une série de difficultés graves et s’inscrivant dans la durée en relation avec les droits humains. Sa capacité à trouver des solutions est par ailleurs restreinte par le vaste pouvoir politique et économique que conserve l’armée du Myanmar. Si nous remarquons que certains efforts ont initialement été faits pour lutter contre ces problèmes, de graves violations des droits humains continuent à se produire sur le terrain.

Nos organisations évaluent ci-après dans quelle mesure certaines des principales recommandations présentées dans la résolution de l’an dernier (résolution 70/233) ont été mises en œuvre. Il ressort de notre analyse qu’insuffisamment de progrès ont été accomplis dans de nombreux domaines essentiels en relation avec les droits humains, ce qui souligne la nécessité d’un maintien du suivi international et d’un dialogue ininterrompu avec le gouvernement du Myanmar afin de régler ces problèmes.

Les violences ont-elles pris fin et les violations du droit international humanitaire et du droit international relatif aux droits humains ont-elles cessé dans les zones de conflit ?

La résolution de l’an dernier a exhorté toutes les parties au conflit à mettre un terme aux violences et à protéger les personnes contre les violations persistantes des droits humains et atteintes au droit international humanitaire. Nos organisations saluent le fait que le nouveau gouvernement a fait de la paix et de la réconciliation nationale des priorités essentielles, et ont pris note de la tenue d’une grande conférence sur la paix en août. Les combats se poursuivent cependant dans l’État kachin, l’État chan et l’État d’Arakan, et l’armée du Myanmar aurait repris les offensives militaires et frappes aériennes. Selon le Bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations unies, au moins 12 000 nouvelles personnes ont été déplacées dans l’État kachin et l’État chan depuis début 2016. Quelque 1 900 autres personnes vivent désormais dans des camps de l’État d’Arakan, après que des affrontements ont éclaté en avril entre l’armée du Myanmar et l’armée d’Arakan. Par ailleurs, nos organisations continuent à recevoir des informations selon lesquelles le gouvernement aussi bien que des groupes armés se rendent coupables de violations - exécutions extrajudiciaires, viols et autres formes de violence sexuelle, cas de travaux forcés, notamment de portage, utilisation sans discernement de mines antipersonnel, et recrutement d’enfants soldats, entre autres.

La situation des Rohingya s’est-elle améliorée ?

Ces dernières années, la résolution de l’Assemblée générale des Nations unies a mis en évidence de manière de plus en plus insistante la détérioration de la situation des Rohingya, la résolution de l’an dernier faisant état de graves préoccupations. Ce texte engageait le gouvernement du Myanmar à prendre un certain nombre de mesures afin d’améliorer la situation, notamment en permettant aux Rohingya de s’auto-identifier, dans le but de garantir une égalité d’accès à la citoyenneté et aux droits associés, de leur assurer le droit de circuler librement, et de favoriser le retour sûr et volontaire dans leur communauté d’origine des personnes déplacées.

Nos organisations ont pris connaissance de l’établissement de deux commissions différentes chargées de travailler à l’amélioration de la situation dans l’État d’Arakan, notamment une dirigée par Kofi Annan, ancien secrétaire général des Nations unies. Cependant, le détail du mandat et des activités de ces commissions n’est toujours pas précisément connu. Quelque 120 000 personnes se trouvent toujours dans des camps de personnes déplacées dans l’État d’Arakan, et certaines restrictions pesant sur les Rohingya persistent. Celles-ci limitent notamment leur droit de circuler librement, leur droit de se marier et leur droit de pratiquer librement leur religion. Elles influent fortement sur leur capacité à bénéficier de services de santé, à trouver des moyens de subsistance et à obtenir une éducation. Nous continuons par ailleurs à recevoir des informations faisant état de violations des droits humains attribuées aux forces de sécurité dans l’État d’Arakan, dont des exécutions illégales, des actes de torture et d’autres formes de mauvais traitements, et des arrestations arbitraires, outre les actes d’extorsion perpétrés aux dépens de la population rohingya. Ces violations ont lieu dans une impunité quasi-totale. Si nous avons pris connaissance de l’annonce, en mai, qu’un processus de vérification de la citoyenneté avait repris dans l’État d’Arakan, nous regrettons qu’il s’appuie sur une loi nationale discriminatoire relative à la citoyenneté, adoptée en 1982, qui empêche les Rohingya et les membres d’autres minorités d’être des citoyens à part entière.


L’ensemble des personnes déplacées par le conflit ont-elles librement accès à l’aide humanitaire ?

L’Assemblée générale des Nations unies a demandé à plusieurs reprises au gouvernement du Myanmar d’autoriser dans les meilleurs délais un acheminement sécurisé, plein et libre de l’aide humanitaire à toutes les zones du pays. Avoir accès en temps et en heure à l’ensemble des zones affectées par le conflit est essentiel afin de pouvoir répondre aux besoins de toutes les personnes déplacées. Quelque 220 000 personnes restent cependant déplacées à travers le Myanmar et des obstacles à l’acheminement de l’aide humanitaire demeurent. Selon le Bureau de la coordination des affaires humanitaires, en 2016, l’accès aux populations dans le besoin est devenu de plus en plus difficile pour les organisations humanitaires internationales dans l’État kachin et l’État chan. Dans une déclaration datant de juillet 2016, la rapporteure spéciale des Nations unies sur la situation des droits de l’homme au Myanmar a indiqué que dans l’État kachin l’acheminement de l’aide humanitaire se réduit, en particulier dans les zones qui ne sont pas contrôlées par le gouvernement. Elle a également mentionné que dans l’État d’Arakan, les organisations internationales sont toujours tenues d’obtenir une autorisation de déplacement par le biais de procédures fastidieuses.

Les auteurs d’atteintes aux droits humains sont-ils amenés à rendre des comptes ?

L’an dernier, l’Assemblée générale des Nations unies a de nouveau exhorté le gouvernement à « prendre les mesures nécessaires pour garantir l’obligation de rendre des comptes et mettre un terme à l’impunité » et à « ouvrir des enquêtes transparentes indépendantes et approfondies concernant toutes les informations faisant état de violations des droits de l’homme et d’atteintes aux droits de l’homme, à assurer la mise en cause des responsables et à favoriser la réconciliation ». Si nous avons conscience de l’importance que revêt l’aveu récent par l’armée du Myanmar que certains de ses soldats sont responsables de l’homicide de cinq personnes dans l’État chan, et savons qu’un procès est en cours devant un tribunal militaire, nous ignorons à ce jour combien de soldats ont été inculpés et ce qu’on leur reproche exactement. Cette affaire illustre par ailleurs des motifs de préoccupation déjà anciens sur l’administration de la justice militaire, qui n’est pas soumise à une supervision civile indépendante. Par ailleurs, l’impunité dans les affaires de violations des droits humains - passées et présentes - attribuées à des représentants de l’État reste endémique ; l’immense majorité des atteintes aux droits humains commises par des éléments de l’armée du Myanmar reste impunie.

Tous les prisonniers d’opinion et autres prisonniers politiques ont-ils été relâchés ?

L’Assemblée générale des Nations unies a précédemment demandé au gouvernement du Myanmar de respecter son engagement en faveur de la libération inconditionnelle de tous les prisonniers politiques. Nous avons constaté qu’il s’agit d’un domaine dans lequel des progrès concrets ont été réalisés. Nous saluons les premières mesures prises par le nouveau gouvernement dans le but de libérer des dizaines de prisonniers d’opinion et de mettre fin aux poursuites engagées contre de nombreux militants. Malheureusement, malgré ces libérations, des prisonniers d’opinion se trouvent toujours derrière les barreaux. En vertu de la législation répressive en vigueur au Myanmar, des défenseurs des droits humains et des militants continuent par ailleurs à risquer d’être arrêtés et emprisonnés pour avoir exercé leurs droits de manière non violente. Si nous nous félicitions des récents efforts déployés afin de commencer à abroger et modifier les lois répressives, le processus a dans certains cas malheureusement été marqué par un manque de transparence et de consultation.

Des défenseurs des droits humains et militants continuent par ailleurs à être étroitement surveillés par la Section spéciale de la police et les autorités locales. Lors de sa venue au Myanmar en juin, la rapporteure spéciale sur la situation des droits de l’homme au Myanmar a appris que ses interlocuteurs de la société civile ont été photographiés et interrogés avant et après leurs rencontres. La rapporteure spéciale a trouvé un appareil enregistreur disposé par le gouvernement dans un de leurs lieux de réunion, rappel inquiétant des tactiques utilisées par le régime précédent.

En outre, malgré les encouragements de l’Assemblée générale des Nations unies à reprendre le travail avec le Comité de révision des peines des prisonniers politiques et à œuvrer à la pleine réhabilitation des anciens prisonniers d’opinion, le gouvernement du Myanmar n’a pas indiqué s’il reconstituerait un comité de ce type ou élaborerait des projets visant à réhabiliter les prisonniers d’opinion libérés.

Le gouvernement lutte-t-il efficacement contre les actes et les discours de haine ?

Depuis quelques années, on assiste dans le pays à une montée inquiétante de l’intolérance religieuse, particulièrement à l’encontre des musulmans. L’an dernier, la résolution de l’Assemblée générale des Nations unies a exhorté le gouvernement du Myanmar à lutter contre l’incitation à la haine et les discours de haine menant à la violence. Les tensions religieuses restent fortes dans le pays. En juin, deux épisodes distincts ont mené à la destruction de mosquées par des groupes violents dans la région de Bago et dans l’État kachin. Nous craignons, compte tenu de l’annonce faite par le Premier ministre de la région de Bago après les faits, que leurs auteurs présumés ne fassent pas l’objet d’une enquête ni d’une arrestation. Si le gouvernement entend réellement combattre les discours de haine et l’incitation à la haine, il doit traduire les responsables présumés en justice et proposer des réparations aux victimes afin de montrer que les agissements de ce type ne seront plus tolérés. À la suite de ces affaires, le gouvernement a également établi une nouvelle Commission centrale de gestion des urgences, fortement dominée par l’armée et chargée de réagir rapidement dans les cas de violences religieuses. Nos organisations déplorent cependant que le mandat de la Commission soit vague et puisse ainsi faire le lit de restrictions illégales du droit de réunion pacifique.

Un bureau du Haut-Commissariat aux droits de l’homme doté d’un mandat complet a-t-il été établi ?

Dans des résolutions précédentes, l’Assemblée générale des Nations unies a demandé au gouvernement du Myanmar de respecter son engagement à établir sans plus de délai un bureau national du Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme (HCDH) doté d’un mandat complet. À ce jour, et malgré la promesse en ce sens faite par l’ancien président Thein Sein il y a quatre ans, non seulement il n’existe toujours pas de bureau du HCDH au Myanmar, mais le gouvernement ne s’est pas encore officiellement engagé à en établir un. L’Union européenne (UE) doit demander au gouvernement du Myanmar des garanties spécifiques sur l’établissement d’un bureau du HCDH doté d’un mandat complet de protection et de promotion. La communauté internationale doit en outre spécifiquement s’engager à reconduire le mandat du rapporteur spécial sur la situation des droits de l’homme, en vertu du point 4 de l’ordre du jour du Conseil des droits de l’homme des Nations unies en mars 2017.

Compte tenu des informations ci-dessus, l’UE doit-elle introduire un projet de résolution sur la situation des droits humains au Myanmar à l’occasion de la 71e session de l’Assemblée générale des Nations unies ?

Nos organisations sont convaincues que toute décision de ne pas introduire de résolution lors de l’Assemblée générale doit se fonder sur une évaluation objective de la situation des droits humains dans le pays, plutôt que sur des considérations politiques. Si l’on s’appuie sur les facteurs cités plus haut, il est manifeste qu’aucune des principales recommandations figurant dans la résolution de l’an dernier n’a été pleinement suivie, et certains des importants motifs de préoccupation en matière de droits humains cités dans des résolutions passées restent d’actualité. Si nous reconnaissons que des progrès ont été accomplis dans certains domaines, les efforts déployés par le gouvernement du Myanmar pour lutter contre des problèmes se posant de longue date sur le terrain des droits humains sont insuffisants. Il faut agir davantage pour réformer les cadres juridique et structurels permettant à des violations des droits humains de se produire.

L’UE a fait la preuve de sa détermination à continuer à braquer les projecteurs sur la situation des droits humains au Myanmar, notamment en introduisant de précédentes résolutions à l’Assemblée générale des Nations unies. Si l’UE dialogue avec le Myanmar sur les droits humains à l’échelle nationale, par le biais de relations diplomatiques et d’un dialogue annuel sur les droits humains, la résolution de l’Assemblée générale représente une occasion majeure pour la communauté internationale d’aborder toutes les violations des droits humains dans le pays. Maintenir une résolution à l’Assemblée générale contribuerait à consolider les avancées politiques récentes et à fournir au gouvernement du Myanmar des critères précis concernant les buts à atteindre en matière de droits humains. S’en abstenir risque de réduire à néant les efforts passés, actuel et futurs visant à améliorer la situation des droits humains dans le pays.

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