Prix Ambassadeur de la conscience : Propos de Nelson Mandela

ACT 10/008/2006

À Johannesburg cette semaine, dans une atmosphère chaleureuse, en compagnie d’amis comme Nadine Gordimer, je suis devenu Ambassadeur de la conscience pour Amnesty International.

Recevoir cet honneur de la part des membres de la plus grande organisation de défense des droits humains dans le monde a été pour moi une grande joie. Le fait que cette distinction ait été inspirée par un poème du grand écrivain irlandais Seamus Heaney, De la république de la conscience, qui nous rappelle à tous notre devoir, me touche particulièrement.

Leurs ambassades, a-t-il dit, étaient partout
Mais agissaient indépendamment
et aucun ambassadeur ne pouvait être déchargé de ses fonctions.

Tout comme Amnesty International, je lutte pour la justice et les droits humains depuis de longues années. Je me suis maintenant retiré de la vie publique, mais tant que l’injustice et l’inégalité perdureront, aucun d’entre nous ne pourra prendre de repos. Nous devons devenir plus forts encore.

Je continue ma lutte en faveur du respect des droits humains à travers la Fondation Nelson Mandela, le Fonds d’aide à l’enfance Nelson Mandela et la Fondation Mandela Rhodes. Ces trois institutions caritatives qui œuvrent en mon nom ont pour tâche de continuer mon action dans des domaines importants, qui m’ont préoccupé toute ma vie : l’enfance et la jeunesse, la mémoire et le dialogue, ainsi que la formation de nouvelles générations de dirigeants éthiques.

Mon souhait est que cette distinction puisse aider les militants partout dans le monde à maintenir une lueur d’espoir pour les prisonniers oubliés de la pauvreté. Comme l’esclavage ou l’apartheid, la pauvreté n’est pas naturelle. Ce sont les hommes qui créent la pauvreté et la tolèrent, et ce sont des hommes qui la vaincront.

Vaincre la pauvreté n’est pas un geste de charité. C’est un acte de justice. Il s’agit de protéger les droits humains fondamentaux. Toute personne, partout dans le monde, a le droit de vivre dans la dignité, libre de toute crainte et de toute oppression, libérée de la faim et de la soif, et libre de s’exprimer et de s’associer comme elle l’entend.

Cependant, à l’aube de ce nouveau siècle, des millions de personnes sont toujours prisonnières, esclaves et enchaînées.

La pauvreté massive et les inégalités sont de terribles fléaux de notre temps – à une époque où le monde s’enorgueillit des avancées formidables réalisées dans le domaines de la science, de la technologie, de l’industrie et l’accumulation de richesses.

Tant que la pauvreté persistera, il ne saurait y avoir de véritable liberté. Amnesty International a raison de s’élever contre les violations des droits humains qui engendrent et aggravent la pauvreté.

Les populations vivant dans la pauvreté sont celles qui ont le moins accès au pouvoir en vue de déterminer les politiques à venir – en vue de déterminer leur avenir. Mais elles ont droit à une voix. On ne doit pas les faire asseoir en silence tandis que le « développement » se produit autour d’elles, à leurs dépens.

Un véritable développement est impossible sans la participation des personnes concernées.

Prenons le droit au logement. Trois millions de personnes en Afrique ont été expulsées de logements précaires depuis le début de ce siècle.

Nous avons aussi en Afrique le fléau du VIH/sida qui décime la vie de notre peuple, particulièrement les personnes vivant dans la pauvreté. Nous partageons tous – riches et pauvres, gouvernements, entreprises et individus – la responsabilité de veiller à ce que tous aient accès à l’information, aux moyens de prévention et à un traitement. Notre point de départ pour cela doit être le respect des droits de la personne.

Nous savons que ce sont les populations les plus marginalisées qui sont aussi les plus affectées par le VIH/sida. Et nous savons qu’à l’intérieur de ce groupe, les femmes sont encore plus marginalisées et portent le fardeau le plus lourd. En tant que filles, mères, sœurs et grands-mères, elles font chaque jour l’expérience dans leur chair de la réalité de cette pandémie.

Les femmes meurent aussi pour d’autres raisons qui pourraient être évitées. Une femme meurt toutes les minutes de complications dues à la grossesse. Et où vivent presque toutes ces femmes ? Dans les pays en développement– dans la pauvreté.

Amnesty International œuvre pour faire en sorte que les droits des femmes existent. À travers son action sur la pauvreté et à travers sa campagne contre la violence à laquelle elles sont confrontées.

Les femmes et les jeunes filles ont besoin d’un environnement sûr pour apprendre et travailler. À l’heure actuelle, la discrimination et la violence aggravent le manque d’accès aux outils mêmes dont elles auraient besoin que leurs droits deviennent réalité.

Si les jeunes filles ne bénéficient pas d’un environnement sûr, exempt de toute discrimination, pour poursuivre des études ou obtenir un emploi, les conséquences s’en feront sentir toute leur vie. Leur ôtant toute possibilité de choix et des libertés que nous tenons pour acquises.

Les femmes et les jeunes filles vivant des relations empreintes de violence, par exemple, sont dans l’impossibilité d’échapper à cette violence parce qu’elles sont financièrement dépendantes de ceux qui les brutalisent.

Cet équilibre du pouvoir, et celui plus large qu’il représente, doit changer.

J’ai parlé auparavant de la nécessité d’un « tournant ». Je considère le Prix Ambassadeur de la conscience comme un nouveau pas dans ce sens. Dans son discours très généreux, Nadine Gordimer a évoqué une conversation qu’elle et moi avions eue en 1998. Elle nous a rappelé ce que j’avais dit alors :
« Ce que je veux arriver à voir, c’est un environnement dans lequel les jeunes gens de notre pays ont une chance réelle de développer les possibilités inhérentes qu’ils ont en eux pour inventer une vie meilleure pour eux-mêmes. C’est de cela qu’il s’agit lorsqu’on parle de développement. »

Si tous les militants des droits humains à travers le monde croient cela et agissent sur cette base et s’ils arrivent à amener d’autres personnes à croire en cela, nous aurons alors atteint ce tournant dont je parlais.

NB : Il s’agit ici d’une traduction librement adaptée des propos tenus par Nelson Mandela, à l’occasion de sa distinction comme Ambassadeur de la conscience par Amnesty International.

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