Un projet de loi antiterroriste en Bulgarie pourrait mettre en péril les droits humains et porter atteinte à l’état de droit, a déclaré Amnesty International le 29 juillet 2016. Ce projet de loi, comme c’est le cas dans d’autres pays de cette région du monde, renforce le pouvoir excessif accordé à l’exécutif et aux services de sécurité bulgares. Les mesures proposées menaceraient la liberté d’expression, d’association, de mouvement et de réunion pacifique, ainsi que le droit à la vie privée. Elles permettraient en outre au gouvernement de déclarer l’état d’urgence à la suite d’un attentat sans qu’il n’existe de mécanisme de surveillance indépendant permettant de veiller à ce que les pouvoirs spéciaux accordés dans le cadre de cet état d’urgence ne soient pas utilisés de manière abusive.
Le Conseil des ministres a approuvé le projet de loi le 6 juillet. Le projet de loi a ensuite été adopté en première lecture par l’Assemblée nationale le 28 juillet et est maintenant en attente d’une adoption finale.
Bien que globalement le projet de loi réaffirme l’engagement de la Bulgarie en faveur des droits humains et des libertés fondamentales, il ne fournit pas les garanties qui permettraient de concrétiser cet engagement. Aux termes du projet de loi, « sauver des vies et préserver la santé primera sur toute autre activité », ce qui laisse entendre que la Bulgarie pourrait sacrifier les droits humains si l’état d’urgence était déclaré. Le droit international établit que certains droits, notamment le droit de ne pas subir d’actes de torture ni d’autres mauvais traitements, ainsi que les principes fondamentaux d’équité des procès, ne peuvent jamais être restreints, même en situation d’urgence.
De plus, les mesures prises dans le cadre de l’état d’urgence ne doivent pas être appliquées en violation du principe de non-discrimination. La Constitution bulgare affirme également explicitement ces principes.
Définition
De même que pour les projets de loi contre le terrorisme qui ont posé des problèmes dans d’autres pays, la définition du terme « terrorisme » dans la loi bulgare est vague et excessivement large. Aux termes du Code pénal (article 108a), « quiconque commet une infraction en vue de causer des nuisances ou d’effrayer la population ou dans le but de forcer une autorité compétente, un représentant d’une institution publique, d’un État étranger ou d’une organisation internationale à assurer certaines de ses fonctions ou à y manquer [...] doit faire l’objet de sanctions pour terrorisme [...] ».
En vertu du droit bulgare, les actes suivants correspondent à la définition d’un « acte terroriste » : provoquer une explosion ou un incendie volontaire, polluer ou mettre la population en danger ou menacer la vie ou la santé d’une personne d’une quelconque façon ; causer des dégâts matériels considérables ; prendre des personnes en otage ou menacer d’entreprendre de telles actions en vue de causer des nuisances ou d’effrayer la population, ou dans le but de forcer une autorité compétente, un représentant d’une institution publique, d’un État étranger ou d’une organisation internationale à assurer certaines de ses fonctions ou à y manquer.
Les définitions peu claires du terrorisme sont contraires au principe de sécurité juridique et peuvent en outre être invoquées par les gouvernements dans le but de prendre pour cible des opposants politiques, des minorités ethniques ou religieuses, des défenseurs des droits humains, des droits environnementaux ou des droits des personnes LGBTI, ainsi que d’autres militants.
Manque de surveillance
Le projet de loi confierait toutes les responsabilités en matière de lutte contre le terrorisme à une partie de l’exécutif, à savoir le Conseil des ministres ; le Conseil de sécurité ; le Centre national de lutte contre le terrorisme de l’Agence d’État de la sécurité nationale (DANS) ; le ministère de l’Intérieur et les forces armées, alors qu’aucune surveillance significative, efficace et indépendante n’est envisagée.
L’article 25 évoque le rôle de l’Assemblée nationale sans le préciser. Pourtant, une telle concentration de pouvoir dans les mains de l’exécutif et de ses institutions doit être accompagnée d’un mécanisme de surveillance indépendant aux responsabilités bien définies. Ce mécanisme doit être habilité à surveiller les autorisations accordées pour les opérations antiterroristes et la mise en œuvre de ces opérations, afin d’éviter les abus de pouvoir et de veiller à ce que les personnes qui commettent de tels abus soient amenées à rendre des comptes. Au cours des 15 dernières années, Amnesty International a recueilli des informations sur plusieurs cas de violations des droits humains commises dans le cadre d’opérations de lutte contre le terrorisme.
Mesures de contrôle administratif
Une des dispositions du projet de loi qui pose le plus de problèmes concerne les mesures de contrôle administratif qui peuvent être appliquées à certaines personnes, lorsqu’il « existe de bonnes raisons de les soupçonner de prévoir ou de préparer un acte terroriste ». Ces mesures préventives peuvent comprendre :
l’assignation à résidence ;
l’interdiction de quitter le pays ;
l’interdiction de fréquenter certains quartiers, certains lieux, certaines régions ;
l’interdiction d’être en contact avec certaines personnes ;
l’obligation de se présenter régulièrement à un poste de police ;
la confiscation du passeport ou d’autres documents de voyage ; et
l’interdiction de demander ou de recevoir un nouveau passeport ou d’autres documents de voyage.
Les mesures préventives seraient ordonnées par le directeur de la DANS ou le secrétaire général du ministère de l’Intérieur avec possibilité d’appel, à caractère non suspensif, auprès de la Cour administrative suprême, au titre du Code de procédure administrative. Le projet de loi ne précise pas si une personne à qui une mesure de contrôle a été imposée à tort ou par erreur aurait le droit à des réparations.
Amnesty International s’oppose au recours à des mesures de contrôle administratif qui, seules ou combinées à d’autres mesures, s’apparentent à une privation de liberté. S’il existe de bonnes raisons de soupçonner une personne de prévoir ou de préparer une infraction à caractère terroriste, cette personne doit être inculpée et jugée dans le cadre d’un procès conforme aux normes internationales d’équité. Le projet de loi semble indiquer que les mesures de contrôle administratif pourraient être utilisées en lieu et place de la procédure pénale, laquelle offre des garanties procédurales plus nombreuses et plus fortes. Ces mesures administratives risquent de porter atteinte à la liberté de circulation, d’expression et d’association des personnes qui en font l’objet ainsi qu’à leur droit à la vie privée.
État d’urgence
Au titre de l’article 31 du projet de loi, le président peut, avec l’accord de l’Assemblée nationale, déclarer l’« état d’urgence » à la suite d’un acte « terroriste » sur le territoire. En vertu du droit international, contraignant pour la Bulgarie, l’état d’urgence peut être déclaré uniquement « en cas de danger public menaçant la vie de la nation ». Il doit être inscrit dans la loi et toutes les mesures proposées dans le cadre de cet état d’urgence doivent être strictement requises par les exigences de la situation. Elles doivent être absolument nécessaires et proportionnées à l’objectif légitime recherché.
D’après le projet de loi, dans le cadre d’un état d’urgence officiellement déclaré, les autorités bulgares pourraient interdire tous les rassemblements, réunions et manifestations, ce qui porterait atteinte à la liberté d’expression et de réunion pacifique. L’une des principales sources d’inquiétude tient au fait que les interdictions des manifestations publiques pourraient être imposées dans des cas n’ayant aucun lien avec les raisons pour lesquelles l’état d’urgence a été déclaré. Les opposants politiques, les défenseurs des droits humains et d’autres personnes en désaccord avec la politique ou les actions du gouvernement risquent d’être victimes de la répression des libertés fondamentales, comme Amnesty International l’a constaté ailleurs en Europe.
Au titre du projet de loi, il serait possible d’interférer dans les communications électroniques pendant l’état d’urgence d’une manière qui pourrait représenter une violation du droit à la vie privée.
Amnesty International demande aux autorités bulgares de veiller à ce que la législation relative à la lutte contre le terrorisme dans le pays et la mise en œuvre de mesures en la matière soient conformes aux obligations internationales de la Bulgarie en matière de droits humains. De plus, le gouvernement ne doit pas adopter ce projet de manière accélérée, sans qu’un processus de consultation n’ait été engagé avec des experts et des acteurs de la société civile et sans tenir compte des inquiétudes en matière de droits humains et d’obligation de rendre des comptes pour les atteintes aux droits humains.