Le jeudi 5 juin, Amnesty International, FairSquare [1] et National AIDS Trust [2] ont déclaré que les autorités qatariennes ont maintenu Manuel Guerrero Aviña en détention sans inculpation pendant plus de six semaines, l’ont questionné au sujet de ses relations sexuelles et l’ont soumis à des mauvais traitements en raison de son orientation sexuelle et de sa séropositivité.
Des membres en civil des forces de sécurité ont arrêté Manuel Guerrero Aviña, qui vivait à Doha depuis sept ans et travaillait pour Qatar Airways, le 4 février, peu de temps après qu’il a accepté de rencontrer un autre homme via Grindr, une application de rencontres gay. Ses proches ont déclaré à Amnesty International qu’ils pensent que le profil en ligne de la personne qu’il avait accepté de rencontrer était faux et avait été créé par les forces de l’ordre pour le piéger. Les autorités l’ont ensuite inculpé de possession de drogue et d’autres infractions liées aux stupéfiants, accusations qu’il nie.
« Le traitement infligé à Manuel Guerrero Aviña en détention et durant son procès inique a été absolument terrifiant »
« Les autorités qatariennes doivent annuler la condamnation scandaleuse de Manuel Guerrero Aviña et lever son interdiction de voyager. Il existe de sérieuses craintes qu’il ait été pris pour cible en raison de son orientation sexuelle et contraint de fournir aux autorités des informations qu’elles pourraient utiliser pour mener une répression plus large à l’égard des personnes LGBTI au Qatar », a déclaré Aya Majzoub, directrice adjointe pour le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord à Amnesty International.
« Le traitement infligé à Manuel Guerrero Aviña en détention et durant son procès inique a été absolument terrifiant. Au lieu de condamner des personnes à l’issue de procédures inéquitables, les autorités du Qatar doivent de toute urgence mettre fin à la discrimination et à la persécution dont sont victimes des personnes en raison de leur orientation sexuelle ou de leur identité de genre, et abroger toutes les lois discriminatoires à l’égard des personnes LGBTI. »
Selon sa famille, des membres des forces de sécurité ont interrogé Manuel Guerrero Aviña sans avocat et l’ont forcé à apposer ses empreintes digitales sur de soi-disant aveux rédigés en arabe, qu’il ne comprenait pas, sans fournir d’interprète ni de traduction du document, en le menaçant de violences physiques s’il ne signait pas. Amnesty International a examiné ce document, qui indique que Manuel Guerrero Aviña a avoué avoir consommé et possédé de la drogue, lors de son interrogatoire le 5 février à 5 h 07. Six heures après avoir signé ces « aveux », il a déclaré au procureur général, lors d’une audience, qu’il niait toutes les accusations liées à la drogue. Manuel Guerrero Aviña a également déclaré à sa famille que lors de ses interrogatoires, des membres des forces de sécurité avaient menacé de le fouetter s’il ne déverrouillait pas son téléphone pour identifier d’autres personnes LGBTI, y compris ses anciens partenaires sexuels.
Manuel Guerrero Aviña a demandé un avocat à plusieurs reprises pendant sa détention, mais n’a pas eu la possibilité d’obtenir de conseils sur le plan juridique avant le 15 mars. Les autorités lui ont également refusé l’accès à tout document relatif à son cas pendant plus de deux mois après son arrestation et ne lui ont accordé, ainsi qu’à ses avocats, l’accès au dossier que quelques jours avant sa première audience. Il a ainsi été privé du temps et des ressources nécessaires pour préparer et présenter sa défense et pour contester les arguments et les preuves présentés devant le tribunal sur un pied d’égalité avec l’accusation, ce qui est contraire aux droits à la défense.
Manuel Guerrero Aviña a déclaré à sa famille qu’au cours de sa deuxième semaine de détention, il a été placé à l’isolement, était privé d’eau et de nourriture 15 heures par jour, et était contraint de supplier pour qu’on lui donne à manger. Les autorités ont refusé de fournir à Manuel Guerrero Aviña ses médicaments essentiels contre le VIH pendant un mois après son arrestation et ne lui ont pas accordé l’accès à un examen médical adéquat pour réévaluer ses besoins en médicaments.
Faisant l’objet d’une interdiction de voyager, il a été remis en liberté à titre provisoire le 18 mars. Cette restriction de ses déplacements met sa santé et sa vie en danger, car les médicaments spécifiques contre le VIH qu’il prenait avant son arrestation ne sont pas disponibles au Qatar.
« Nous exhortons le gouvernement britannique à faire tout ce qui est en son pouvoir pour garantir la santé, les droits et le bien-être de Manuel Guerrero Aviña »
Deborah Gold, présidente de National AIDS Trust, une organisation caritative britannique de défense des droits des personnes vivant avec le VIH, a déclaré :
« Qu’il s’agisse de son arrestation, de sa détention ou de son procès, Manuel n’a pas été en mesure d’avoir un accès ininterrompu à des médicaments vitaux et à des examens et une évaluation appropriés. Nous sommes extrêmement préoccupés par le fait qu’il ne puisse pas recevoir des soins médicaux et des traitements de manière continue, ce qui est pourtant son droit humain, tant qu’il sera au Qatar. Nous exhortons le gouvernement britannique à faire tout ce qui est en son pouvoir pour garantir la santé, les droits et le bien-être de Manuel Guerrero Aviña. »
Le 22 avril, Manuel Guerrero Aviña a comparu devant le tribunal pour sa première audience pour des accusations liées à la drogue, en vertu de la loi n ° 9 de 1987 sur le contrôle et la réglementation des stupéfiants et des substances psychotropes dangereuses.
Selon le dossier, les autorités ont informé Manuel Guerrero Aviña au moment de son arrestation qu’elles avaient trouvé des résidus de cristaux de méthamphétamine, ainsi que divers autres accessoires liés à la consommation de drogue. Il maintient fermement que les drogues et les articles connexes n’étaient pas les siens, et qu’ils ont été positionnés par des responsables de l’application des lois.
Un responsable qatarien a déclaré à Amnesty International le 24 mars, en réponse à la demande d’informations de l’organisation sur cette affaire, que : « Manuel Aviña a été arrêté pour possession de substances illégales sur sa personne et dans son appartement […] Un test de dépistage s’est révélé positif par la suite », et que « l’arrestation de M. Aviña et l’enquête qui a suivi sont uniquement liées à la possession de substances illégales dans l’intention de les fournir ».
Les autorités qatariennes se servent de cette affaire pour désigner à l’opprobre et poursuivre en justice des personnes LGBTI
Selon la famille de Manuel Guerrero Aviña, son procès-verbal d’arrestation indique qu’il a été arrêté sur la base d’informations provenant d’une source secrète reçues par la Direction générale de la lutte contre la drogue, et que rien d’illégal n’a été trouvé sur sa personne. Tous les éléments de preuve ont été recueillis lors d’une perquisition effectuée dans son logement le 4 février.
Les autorités qatariennes se servent de cette affaire pour désigner à l’opprobre et poursuivre en justice des personnes LGBTI. Jusqu’à présent, les autorités se sont appuyées sur un résultat d’analyse d’urine manuscrit douteux afin de poursuivre Manuel Guerrero Aviña sur la base d’accusations liées à la drogue, bien qu’il ait catégoriquement nié avoir utilisé ou possédé des drogues illicites et malgré le fait que cela ne constitue en aucun cas une preuve de sa possession de stupéfiants. Selon les normes internationales, la réalisation de tests de dépistage de drogues sans consentement constitue une violation du droit à la vie privée et ne doit pas être utilisée comme un élément de preuve suffisant pour engager des poursuites.
James Lynch, co-directeur de FairSquare, qui travaille sur les droits humains dans le Golfe, a appelé le gouvernement britannique à faire part de ses inquiétudes quant à l’équité du procès de Manuel Guerrero Aviña aux autorités qatariennes :
« Cette affaire a été une parodie de justice depuis le moment où Manuel a été saisi dans l’entrée de son appartement. Face à sa condamnation, le gouvernement britannique a la responsabilité d’effectuer des démarches urgentes auprès du gouvernement qatarien, concernant le processus profondément injuste et discriminatoire auquel leur citoyen a été soumis. Il doit également faire pression sur les autorités qatariennes pour qu’elles mettent fin à la persécution de personnes en raison de leur orientation sexuelle ou de leur identité de genre. »
Complément d’information
Le Code pénal qatarien érige en infraction une série d’actes sexuels consentis entre personnes de même sexe en vertu des articles 285 et 296 du Code pénal. Les personnes reconnues coupables sont passibles d’une peine pouvant aller jusqu’à sept ans d’emprisonnement.
Selon Human Rights Watch [3] , la police de plusieurs pays de la région Moyen-Orient et Afrique du Nord aurait utilisé de faux profils sur des applications de rencontres LGBTQI afin de piéger et d’arrêter des personnes. En 2022, des militant·e·s ont signalé que des responsables de l’application des lois avaient arbitrairement arrêté, torturé et autrement maltraité six personnes au Qatar en raison de leur orientation sexuelle. Human Rights Watch [4] a également recensé six cas de violences physiques graves et répétées, et cinq cas de harcèlement sexuel en garde à vue entre 2019 et 2022 uniquement sur la base de l’expression de genre des individus. Dans certains cas, les forces de sécurité ont exigé que des détenues transgenres assistent à des séances de thérapie de conversion dans un centre de « soins comportementaux » parrainé par le gouvernement, comme condition à leur libération. Des enquêtes journalistiques ont également dénoncé l’utilisation d’applications de rencontres LGBT [5] pour arrêter des personnes au Qatar.