Questions et réponses : les droits humains et la guerre en Libye Toutes les parties au conflit doivent s’abstenir de prendre des civils pour cibles.

21 mars 2011

Alors que le Conseil de sécurité des Nations unies a adopté le 18 mars une résolution autorisant une intervention militaire étrangère en Libye, le conflit continue de faire rage entre les forces du colonel Mouammar Kadhafi, les rebelles basés à Benghazi et les forces internationales qui opèrent des frappes aériennes. Amnesty International passe en revue certaines questions relatives aux droits humains qui sont en jeu.

Quelles sont les obligations qui incombent aux parties au conflit libyen au titre du droit international ?

Actuellement, un conflit armé international fait rage en Libye entre les forces de la coalition et le gouvernement libyen.

Parallèlement, se déroule aussi un conflit armé non international entre le gouvernement libyen et les combattants rebelles. Il est essentiel que toutes les parties en présence respectent pleinement le droit international humanitaire (les lois de la guerre) et les lois applicables en matière de droits humains.

Toutes les parties doivent s’abstenir de prendre pour cibles des civils ou des biens de caractère civil. Elles doivent adhérer rigoureusement à la définition des objectifs militaires et respecter scrupuleusement l’interdiction des attaques menées de façon disproportionnée et sans discrimination consignées dans le Protocole additionnel à la Convention de Genève sur la protection des victimes d’un conflit armé international (Protocole I), qui rend compte du droit international coutumier.

Les règles exposées dans ce texte s’appliquent à toutes les parties et à toutes les situations d’un conflit armé (international ou non). En particulier, les parties au conflit doivent :

(a) s’abstenir de mener une attaque directe contre des personnes civiles ou des biens de caractère civil ;

(b) s’abstenir de mener une offensive disproportionnée ou sans discrimination ;

(c) prendre toutes les précautions nécessaires, notamment quant au choix des moyens et méthodes d’attaque, en vue de réduire au minimum les dommages causés à la population civile ;

(d) s’abstenir de mener une attaque contre des infrastructures, même si elles sont utilisées à des fins militaires, si cette attaque cause incidemment à court et à long terme pour la population civile des pertes disproportionnées par rapport à l’avantage militaire concret et direct attendu ;

(e) s’abstenir de mener une attaque contre les médias uniquement parce qu’ils sont utilisés à des fins de propagande ;

(f) s’abstenir de mener une attaque contre d’autres biens à caractère civil si leur destruction est considérée par l’attaquant comme susceptible d’affaiblir la volonté de l’ennemi de se battre, et

(g) traiter avec humanité toutes les personnes ne prenant pas directement part aux hostilités, notamment les combattants qui sont capturés, blessés ou se sont rendus.

Les forces libyennes respectent-elles le droit international humanitaire ?

Amnesty International est préoccupée par les informations selon lesquelles les forces du gouvernement libyen bombardent les villes tenues par les rebelles, y compris au moyen de tirs d’artillerie. Dans des zones urbaines à forte densité de population, il est impossible de procéder à des tirs d’artillerie tout en faisant dûment la distinction entre civils et combattants. Dans ces circonstances, recourir à des tirs d’artillerie bafoue l’interdiction relative aux attaques menées sans discrimination.

En outre, selon des informations non confirmées, les frappes aériennes libyennes étaient aveugles ou ont directement pris pour cibles des civils. Amnesty International s’efforce encore de vérifier ces éléments. Nous recevons des informations inquiétantes sur les tirs d’obus et les frappes aériennes qui ont ciblé plusieurs villes et villages où les civils ont sans doute été exposés, et où ils sont isolés du reste du monde, les réseaux téléphoniques ayant été coupés. Nous sommes vivement préoccupés par le sort de la population prise au piège dans ces zones.

Si le recours à l’aviation pour attaquer des cibles militaires peut s’avérer légitime, les forces concernées doivent adhérer strictement aux règles qui protègent les civils. En aucune circonstance, elles ne sont autorisées à procéder à des attaques qui ciblent directement des civils ou sont menées sans discrimination ou de façon disproportionnée.


Les troupes libyennes fidèles au gouvernement ont-elles le droit d’attaquer les rebelles ?

Parce qu’ils prennent directement part aux hostilités, les combattants rebelles perdent provisoirement l’immunité contre toute attaque dont jouissent habituellement les civils. En d’autres termes, les insurgés peuvent faire l’objet d’attaques lorsqu’ils combattent.

Toutefois, les combattants qui ne participent plus aux hostilités parce qu’ils se sont rendus, ont été capturés ou blessés, ne doivent pas être attaqués et doivent être traités avec humanité. Amnesty International est profondément préoccupée par les informations selon lesquelles des rebelles capturés ont été soumis à des mauvais traitements, voire tués.

Qu’en est-il des informations selon lesquelles la Libye utilise des boucliers humains ?

Recourir de manière intentionnelle à des boucliers humains afin d’éviter une attaque contre un objectif militaire constitue un crime de guerre. Le Protocole I des Conventions de Genève prohibe le recours à de telles tactiques.

Toutefois, le Protocole indique clairement que si l’un des camps en présence recourt à des boucliers humains, une telle violation «  ne dispense [pas] les Parties au conflit de leurs obligations juridiques à l’égard de la population civile et des personnes civiles  ».

En outre, l’article 50-3 de ce Protocole dispose que : « La présence au sein de la population civile de personnes isolées ne répondant pas à la définition de personne civile ne prive pas cette population de sa qualité. »

En d’autres termes, ceux qui prévoient d’attaquer un objectif militaire doivent prendre en compte la présence de civils, même s’ils sont utilisés comme boucliers humains. Si cette offensive risque de causer des pertes et des dommages disproportionnés parmi la population civile, elle doit être annulée.


Les rebelles recourent-ils également à des boucliers humains ?

À la connaissance d’Amnesty International, les combattants rebelles ne recourent pas délibérément à des boucliers humains. Cependant, selon certaines informations, les insurgés ne prennent pas toutes les précautions possibles pour protéger les civils dans les zones où ils mènent leurs opérations.
Pourtant, les belligérants sont tenus de prendre toutes les précautions requises pour épargner les civils et les biens de caractère civil qu’ils contrôlent. Le Protocole I des Conventions de Genève enjoint à toutes les parties au conflit d’éviter dans toute la mesure du possible de placer des objectifs militaires à l’intérieur ou à proximité des zones fortement peuplées (article 58-b).


Que demande Amnesty International au gouvernement de Mouammar Kadhafi ?

Le colonel Mouammar Kadhafi doit immédiatement maîtriser ses forces de sécurité et mettre fin aux homicides, aux disparitions forcées et aux autres violations des droits humains.
Il doit révéler les noms de tous ceux qui se trouvent aux mains de ses troupes, ainsi que leur lieur de détention, et autoriser des organismes internationaux à entrer en contact avec eux afin de garantir leur sécurité et leur santé.


Quelles sont les garanties humanitaires qui s’appliquent aux civils ?

Toutes les parties au conflit doivent veiller à ce que les civils qui souhaitent quitter le pays puissent le faire sans délai, dans la dignité et en toute sécurité. Le cas échéant, elles doivent autoriser la mise en place de couloirs humanitaires – des itinéraires sûrs pour sortir du territoire. Elles doivent aussi faciliter le transport des approvisionnements et des employés d’organisations humanitaires pour apporter toute l’aide nécessaire.

Parmi les populations prises au piège figurent des milliers de réfugiés et de demandeurs d’asile, notamment des Somaliens, des Éthiopiens et des Érythréens, qui seraient exposés à de grands dangers et risqueraient d’être persécutés ou de subir de graves mauvais traitements s’ils étaient contraints de rentrer dans leurs pays d’origine.

Toutes les parties doivent également veiller à ce que toute personne fuyant la Libye puisse franchir immédiatement la frontière – qu’elle soit terrestre ou maritime – du pays qu’elle parvient à atteindre, sans discrimination et quelles que soient ses origines.


Quelles sont les premières conclusions des chercheurs d’Amnesty International en Libye ?

Des chercheurs d’Amnesty International se sont rendus à Benghazi pendant près de trois semaines. L’équipe a enquêté sur la disparition forcée de dizaines de personnes survenue depuis que les manifestations ont éclaté à la mi-février, contraignant le gouvernement libyen et les forces de sécurité à se retirer de la plus grande partie de l’est du pays.

Amnesty International a recueilli des preuves incontestables du recours à la force meurtrière contre les manifestants en février. Plus inquiétant encore, dans bien des cas, des manifestants qui ne posaient aucune menace ont été délibérément tués.

Indubitablement, des centaines de personnes sont mortes en Libye depuis le début des troubles, notamment victimes d’homicides délibérés, d’un recours à la force meurtrière excessif et sans discrimination, d’atteintes aux droits humains et pris au piège dans le conflit armé qui fait rage.

Quelle est la situation concernant les disparitions forcées en Libye ?

Amnesty International a reçu nombre d’informations inquiétantes concernant des disparitions forcées. Elle redoute fortement que les victimes de ces disparitions qui sont aux mains des forces du colonel Mouammar Kadhafi ne soient torturées, voire tuées.

Certaines sont peut-être détenues comme monnaie d’échange, pour faire pression sur les amis et les proches qui soutiennent l’opposition. Les familles de ceux qui seraient détenus par le colonel Mouammar Kadhafi et ses troupes n’osent pas même révéler leurs noms, de peur que leurs ravisseurs n’exercent des représailles contre eux.

Quelle est la situation pour les journalistes dans le pays ?

Certains éléments indiquent que nous sommes en présence d’une campagne d’attaques et de harcèlement à l’encontre des journalistes. Notamment, les forces du colonel Kadhafi ont détenu et torturé trois membres du personnel de la BBC qui ont été roués de coups et soumis à des simulacres d’exécution, détenu au secret deux correspondants et deux cameramen d’Al Jazira, tué un cameraman d’Al Jazira près de Benghazi et arrêté un journaliste brésilien, un journaliste du quotidien The Guardian et quatre journalistes du New York Times (tous libérés depuis).

Les journalistes étrangers ont été autorisés à se rendre à Tripoli, tout en étant soumis à des restrictions très sévères, notamment à l’interdiction de se rendre dans les zones où des offensives et des violations des droits humains étaient signalées.


Amnesty International a-t-elle pu confirmer les informations selon lesquelles des mercenaires épaulaient les forces pro-Kadhafi ?

Nos chercheurs ont vu des ressortissants étrangers détenus parce qu’ils étaient soupçonnés d’être des mercenaires, mais ils n’ont pu établir si tel était le cas ou si ces hommes se trouvaient au mauvais endroit au mauvais moment. Amnesty International a appelé l’Union africaine et ses États membres à enquêter sans délai sur la présence d’éventuels mercenaires, à surveiller et, le cas échéant, à bloquer les vols suspects et à sécuriser les frontières aérienne, maritime et terrestre libyennes afin d’empêcher l’entrée sur le territoire de ces mercenaires.

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