Questions et réponses : obligation de rendre des comptes en Tunisie et en Égypte

Huit mois après que des soulèvements populaires eurent renversé les présidents tunisien et égyptien, au pouvoir depuis des décennies, les deux anciens dirigeants sont tenus de rendre des comptes devant des instances pénales. Hosni Moubarak, l’ancien président égyptien, doit comparaître le 3 août au Caire afin de répondre d’accusations de meurtre – parce que des policiers ont ouvert le feu sur des personnes manifestant contre le gouvernement –, de corruption et de réalisation de bénéfices excessifs. Parallèlement, à Tunis, un tribunal a jugé l’ancien président tunisien Zine El Abidine Ben Ali et l’a déclaré coupable de corruption et d’autres infractions ; il a été jugé par contumace après avoir fui en Arabie saoudite.


Quelles sont les charges retenues contre Hosni Moubarak ?

Hosni Moubarak et son ancien ministre de l’Intérieur, Habib El Adly, sont accusés de porter la responsabilité du meurtre et de la tentative de meurtre de centaines de personnes sur lesquelles les forces de sécurité ont fait feu lors du soulèvement de janvier ; le nombre de morts s’élève officiellement à 840. L’ancien président est également poursuivi pour corruption et abus de pouvoir. Deux de ses fils, Alaa Moubarak et Gamal Moubarak, ainsi que l’homme d’affaires Hussein Salem, sont eux aussi accusés de corruption.

Hosni Moubarak encourt la peine de mort s’il est reconnu coupable. Un grand nombre de ses victimes sont en faveur de l’application de ce châtiment.

Quelle est la position d’Amnesty International ?

Amnesty International est catégoriquement opposée à la peine de mort dans tous les cas, quelle que soit la gravité du crime commis. La peine capitale, le châtiment le plus cruel, inhumain et dégradant qui soit, est contraire au droit à la vie. Une majorité des États membres de l’Assemblée générale des Nations unies ont demandé à de nombreuses reprises l’instauration d’un moratoire universel sur les exécutions, mesure qu’Amnesty International soutient, en plus de l’abolition universelle de la peine de mort.

Une personne en mauvaise santé peut-elle être jugée ?

Si l’état de santé d’un accusé est source de préoccupations, il est essentiel, dans l’intérêt de la justice, d’effectuer un examen médical indépendant et impartial. Celui-ci doit permettre de déterminer si l’accusé est psychologiquement et physiquement capable de passer en jugement et, surtout, s’il peut participer à sa défense. Un procès ne saurait être abandonné ou repoussé que si l’on considère que l’accusé n’est pas en mesure de participer.

Des informations contradictoires ont circulé quant à la santé de l’ancien président Moubarak ; si cela s’avère nécessaire, les autorités égyptiennes doivent établir une commission indépendante d’experts médicaux qui seront chargés d’évaluer sa capacité mentale et physique à comparaître devant la justice. Ceci est d’autant plus important que le public égyptien se méfie grandement des institutions gouvernementales, et que les familles des victimes craignent que les questions relatives à la santé du président puissent être utilisées à mauvais escient afin d’empêcher ou de retarder le procès.

Le procès par contumace de Zine El Abidine Ben Ali a-t-il été équitable ?

Non. Il était inique parce qu’on l’a privé du droit d’être présent. Ses avocats avaient demandé un report afin d’avoir le temps de préparer une défense digne de ce nom. Le gouvernement tunisien actuel doit respecter les garanties d’une procédure régulière et les normes d’équité des procès, sans quoi il risque de reproduire les erreurs du système de justice inique qui était l’une des caractéristiques de la Tunisie sous le régime du président Ben Ali.

Les charges retenues contre Zine El Abidine Ben Ali jusqu’à présent ne sont pas en rapport avec des violations graves des droits humains. Pourrait-il être jugé pour des faits plus graves en vertu du droit international ?

Toute personne que la justice a des raisons de soupçonner de crimes de droit international – torture, disparitions forcées et homicides extrajudiciaires, par exemple – doit en général comparaître dans le pays où les crimes présumés ont été perpétrés. Dans le cas de l’ancien président Ben Ali, il serait préférable qu’il soit renvoyé en Tunisie et poursuivi sur place, tant qu’il peut bénéficier d’un procès équitable sans que la peine de mort ne soit requise. Cependant, en vertu du principe de compétence universelle, n’importe quel État peut en toute légalité juger des suspects de ce type de crimes, quel que soit le lieu où ceux-ci ont été commis. Chaque État a en outre le devoir d’enquêter sur ce type de crime, d’engager des poursuites contre les auteurs présumés s’il dispose de suffisamment d’éléments de preuve et de proposer son aide, notamment en extradant les suspects.

Comment les victimes de violations sont-elles traitées depuis la chute d’Hosni Moubarak et de Zine El Abidine Ben Ali ?

Les familles de manifestants tués en début d’année ont pu porter plainte en Égypte et en Tunisie. Les procès de certains des représentants de l’État semble-t-il responsables de ces homicides se sont ouverts. En Égypte, cependant, l’accès restreint aux salles d’audience signifie que de nombreux proches de victimes n’ont pas été autorisés à assister aux débats ; ils ont donc le sentiment que leur plainte n’a pas été entendue. Ce sentiment a été exacerbé par le fait que les autorités n’aient révoqué ou suspendu les fonctionnaires accusés que récemment. Les retards enregistrés et l’absence de progression dans le cadre de ces procès ont poussé les manifestants à redescendre dans la rue, en Égypte comme en Tunisie.

Ces anciens chefs d’État devraient-ils également être jugés pour des atteintes plus anciennes aux droits humains ?

Dans le contexte des procès en cours, les suspects peuvent uniquement être jugés pour des faits récents, mais il faut qu’ils soient également tenus responsables pénalement des crimes commis tout au long de leurs années au pouvoir. Si des commissions d’enquête ont été établies à la fois en Égypte et en Tunisie, Amnesty International déplore le fait que leur mandat soit limité aux violations commises lors des soulèvements populaires. Les autorités des deux pays se sont jusqu’à présent abstenues de prendre des mesures concrètes concernant les crimes du passé. Les charges pesant actuellement contre le président Moubarak ne couvrent pas les décennies durant lesquelles les forces de sécurité se trouvant sous son autorité ont perpétré nombre d’atteintes graves aux droits humains et d’autres crimes avérés en toute impunité. De même, les charges retenues jusqu’à présent contre l’ancien président Ben Ali en Tunisie ont largement passé sous silence les violations systématiques et généralisées des droits humains pourtant à l’origine des manifestations publiques.

Toutes les actions
2024 - Amnesty International Belgique N° BCE 0418 308 144 - Crédits - Charte vie privée
Made by Spade + Nursit