En Thaïlande, le référendum sur le projet de Constitution, prévu dimanche 7 août, se déroule dans un contexte de violations généralisées des droits humains qui engendre un climat de peur, a déclaré Amnesty International le 5 août 2016.
Dans le cadre du référendum, les autorités ont procédé à de nombreuses arrestations arbitraires, annulé ou dispersé des rassemblements pacifiques et privé d’antenne une chaîne de télévision, restreignant de manière injustifiée et très forte les droits à la liberté d’expression, de réunion pacifique et d’association.
« Si les citoyens ne peuvent pas s’exprimer librement ni s’impliquer politiquement sans avoir peur, comment peuvent-ils prendre part à ce référendum ?, s’est interrogé Josef Benedict, directeur adjoint pour l’Asie du Sud-Est et le Pacifique à Amnesty International.
« Il ne s’agit pas de mesures provisoires favorisant la paix et l’ordre comme le prétend le gouvernement, mais d’une criminalisation constante de la dissidence pacifique visant à faire taire les opinions qui dérangent les autorités. Il faut prendre sans délai des mesures longtemps attendues en vue de lever les restrictions et de garantir ces droits. »
Affaire emblématique, la semaine dernière, 11 personnes ont été placées en détention militaire après avoir été accusées d’avoir distribué des lettres critiquant le projet de Constitution. Elles ont été remises à la police depuis et informées qu’elles comparaîtront devant un tribunal militaire pour sédition, association de malfaiteurs et violation de la Loi relative au référendum constitutionnel.
« Toutes les personnes détenues ou déclarées coupables uniquement pour avoir exprimé pacifiquement leurs opinions sur le projet de Constitution doivent être libérées immédiatement et sans condition, et leurs condamnations doivent être effacées », a déclaré Josef Benedict.
Restrictions excessives, inutiles et injustifiables
Après l’annonce de leur « feuille de route » en trois volets à la suite du coup d’État de mai 2014, les autorités thaïlandaises ont mis en place une série de restrictions injustifiées qui bafouent leurs obligations au titre du droit international relatif aux droits humains.
Initialement prises en tant que mesures provisoires, ces pratiques excessives, inutiles et injustifiables se pérennisent.
« Alors que les autorités thaïlandaises devraient favoriser un débat public libre et éclairé, elles poursuivent leur attaque virulente contre l’exercice pacifique des droits à la liberté d’expression, d’association et de réunion », a déclaré Josef Benedict.
Dans une lettre ouverte adressée au Premier ministre Prayut Chan-O-Cha le 25 juillet, Amnesty International a demandé l’abandon de toutes les charges retenues contre les personnes poursuivies pour avoir exercé leurs droits à la liberté d’expression, de réunion et d’association.
Elle a pointé du doigt quatre décrets et ordonnances que les autorités thaïlandaises doivent réviser afin de les aligner sur le droit international relatif aux droits humains et les normes en la matière :
– Le décret de 2015 n° 3/2558 du Conseil national pour la paix et l’ordre, qui interdit notamment « les rassemblements politiques de cinq personnes ou plus » et prévoit des sanctions pénales allant jusqu’à six mois de prison pour tout contrevenant. Il permet également à des militaires nommés de maintenir en détention des citoyens jusqu’à une semaine sans inculpation ni jugement, dans des lieux non officiels, sans surveillance judiciaire.
– La Loi de 2016 relative au référendum constitutionnel, qui régit l’organisation du référendum du 7 août, prévoit jusqu’à 10 ans d’emprisonnement pour quiconque « diffuse des textes, des images ou des enregistrements qui ne reflètent pas la vérité ou sont empreints de violence, d’agressivité, de grossièreté, d’incitation à la violence ou de menace dans le but d’empêcher un électeur de déposer son bulletin ou de voter conformément à son choix ou de ne pas voter ». Le gouvernement utilise cette disposition vague et arbitraire contre ceux qui s’opposent au projet de Constitution.
– L’ordonnance de 2014 n° 39/2557 du Conseil national pour la paix et l’ordre, qui restreint les activités politiques de nombreux individus, notamment de responsables politiques et de représentants de la société civile, lorsqu’ils sont remis en liberté.
– L’ordonnance de 2016 n° 41/2559 du Conseil national pour la paix et l’ordre, qui confère à la Commission nationale de radiodiffusion et des télécommunications (NBTC), organisme indépendant, le pouvoir de fermer des chaînes de télévision ou des stations de radio en cas de violations des décrets du Conseil national pour la paix et l’ordre. Les autorités ont récemment invoqué ce décret pour fermer Peace TV, chaîne de télévision affiliée à un parti politique qui s’oppose au projet de Constitution.
« Un climat de peur qui fait froid dans le dos »
Au cours de la semaine dernière, au moins trois événements organisés dans des universités pour débattre du référendum ont été annulés sous la pression des autorités. La commission électorale a également enjoint à un professeur d’université de cesser d’exprimer ses opinions sur le projet de Constitution.
Ces annulations s’inscrivent dans une politique gouvernementale qui vise à empêcher les événements publics jugés critiques envers le projet de Constitution et le processus du référendum.
Si le Premier ministre Prayut Chan-O-Cha assure que les autorités « n’ont nullement l’intention d’empiéter sur les droits de quiconque », il a comme d’autres contredit ces propos encourageants.
Le 19 avril, il a déclaré au sujet des détracteurs du projet de Constitution :
« Ils n’ont pas le droit d’exprimer leur désaccord... Je n’autorise personne à débattre ni à tenir une conférence de presse sur le projet de Constitution. Pourtant, ils désobéissent à mes ordres. Ils seront arrêtés et incarcérés pour 10 ans. »
La veille, le vice-Premier ministre Prawit Wongsuwan aurait déclaré :
« Vous pouvez ne pas apprécier [le projet de Constitution], mais ne le dites pas [en public] et gardez-le pour vous. Ceux qui portent des T-shirts " Votez Non " ou " Votez Oui " devront les enlever. »
Amnesty International demande au gouvernement royal de Thaïlande de respecter et de protéger les droits humains en favorisant un environnement dans lequel les citoyens et les groupes peuvent librement et confidentiellement partager des idées et exprimer leurs opinions sur le référendum et sur les phases suivantes des projets concernant la transition politique.
« Les actes du général Prayut Chan-O-Cha sont plus éloquents que ses paroles. Au lieu de remplir leur engagement en termes de respect des droits des citoyens et de leur permettre de s’exprimer librement, les autorités favorisent un climat de peur qui fait froid dans le dos », a déclaré Josef Benedict.