Réponse d’Amnesty International à un article et un éditorial du quotidien britannique Times

DOCUMENT EXTERNE

Amnesty International se réjouit de l’attention accordée à la promotion et à
la protection des droits humains. Toutefois, l’article et l’éditorial
consacrés à Amnesty International par le Times du 29 mai 2004 constituait un
ensemble curieux qui nous a laissés perplexes.

On pouvait y lire un grand éloge de l’organisation. Il y était écrit
qu’Amnesty International travaillait sans relâche à l’une des plus grandes
causes de notre temps, qu’elle avait fait des droits humains une
préoccupation majeure et que c’était l’une des organisations bénéficiant de
la plus grande confiance en Europe. Malheureusement, on pouvait y lire
également un certain nombre d’informations inexactes, erronées et
susceptibles de semer la confusion.

Le Times posait la question de savoir si Amnesty International n’avait pas
oublié ses idéaux de départ. Rien ne peut être plus éloigné de la vérité.
Notre engagement aux idéaux qui ont présidé à la naissance d’Amnesty
International - l’universalité et l’indivisibilité des droits humains,
l’indépendance et l’impartialité de notre organisation, notre solidarité
avec chaque victime individuellement et la prise de décision démocratique
par nos membres, au nombre de 1,8 million, répartis à travers le monde -
reste aussi fort que jamais. Notre action visant à mettre un terme à la
torture, à la peine capitale, aux jugements inéquitables et à
l’emprisonnement de prisonniers d’opinion, reste aussi importante
qu’auparavant.

Notre rapport annuel pour 2004, rendu public le 26 mai, couvre 155 pays ; il
abonde en éléments de preuve concernant des injustices et des exactions et
témoigne de notre détermination à obtenir pour tous un traitement équitable
partout dans le monde, quels que soient l’origine, l’identité ou le statut
social des personnes. Le rapport décrit le sort de prisonniers d’opinion
dans 44 pays ; il parle entre autres de personnes comme Sing
Chantthakoummane et Pangtong Chokbengboun au Laos, arrêtés en 1975, détenus
sans jamais avoir été inculpés ni jugés pendant dix-sept ans pour être « 
rééduqués », puis condamnés à la prison à vie à l’issue d’un procès
inéquitable en 1992.

En accusant Amnesty International de mettre de côté des sujets anciens au
profit d’autres plus nouveaux, le Times oublie que notre mission n’est
jamais restée figée dans le temps. Notre action a constamment évoluée et nos
priorités ont été établies, à travers un processus démocratique de
consultation avec tous nos membres, de façon à répondre aux défis en matière
de droits humains qui se présentaient - qu’il s’agisse de « disparitions »
dans les années 80, d’exactions par des groupes armés dans les années 90 ou
de droits économiques et sociaux et de la violence contre les femmes
aujourd’hui.

Le droit à la santé, violé lorsque des victimes de viol au Rwanda n’ont pas
accès aux traitements indispensables pour lutter contre le virus du sida. Le
droit à la nourriture, violé lorsque des pénuries alimentaires sont
organisées et utilisées comme arme politique au Zimbabwe ou en Corée du
Nord. Le droit au logement, violé lors des évictions forcées en Angola ou la
destruction de maisons en représailles dans les territoires occupés
palestiniens. Il s’agit là de droits humains fondamentaux, reconnus comme
tels en droit international depuis des dizaines d’années mais qui restent
négligés en pratique par de nombreux gouvernements à travers le monde. Et ce
sont eux qui font l’objet des campagnes et rapports récents d’Amnesty
International.

La violence contre les femmes, qu’elle soit perpétrée en temps de guerre ou
dans un contexte familial, est un scandale en matière de droits humains.
Selon le droit international, il revient aux gouvernements de faire tout ce
qui est en leur pouvoir pour respecter, protéger et faire appliquer le droit
des femmes à vivre libres de toute violence, chez elles et en dehors de chez
elles. Notre campagne mondiale pour mettre un terme à la violence contre les
femmes a mis en lumière les cas de centaines de femmes victimes de violences
ou ayant survécu à des actes de violence, du Congo à la Colombie et de
l’Espagne au Swaziland.

Suggérer que nous mettrions en quelque sorte la pédale douce sur la Russie,
en particulier à propos de la Tchétchénie, ou que nous négligerions de
parler de certaines personnes du fait de leurs richesses, est faux. Notre
campagne récente sur la Russie a attiré l’attention de la communauté
internationale sur un certain nombre de thèmes graves relatifs aux droits
humains dans ce pays et nous continuons d’attirer l’attention sur certaines
personnes en danger à la fois en Tchétchénie et en Russie. Notre
détermination à obtenir le respect des droits humains pour tous, quels que
soient son origine ou son statut, demeure intacte.

Le Times renouvelle en 2004 sa tactique de 1993, en tentant d’attribuer à la
secrétaire générale actuelle les changements adoptés par Amnesty
International à travers un processus de décision formel ; accuser simplement
une personne ou une organisation de quelque chose ne suffit pas à faire de
cette hypothèse un fait.

Notre décision de nous battre en faveur de l’abolition de la peine de mort a
fait l’objet de controverses lorsqu’elle a été prise, de même que notre
décision de promouvoir les droits économiques, sociaux et culturels et
d’agir pour protéger les femmes de la violence. Mais critiques et
controverses n’ont jamais empêché les membres d’Amnesty International de
travailler aux thèmes qui modèlent l’agenda des droits humains au quotidien.

L’éditorial et l’article du Times accusent Amnesty International de
partialité et de politisation à propos des déclarations de l’organisation
concernant les États-Unis et la « guerre au terrorisme ». Le Times aurait dû
vérifier les faits et ses suppositions.

Nous n’avons pas, comme le proclame l’éditorial du Times, déclaré que « 
l’Amérique a fait plus de mal aux droits humains que n’importe quel autre
pays depuis cinquante ans ». Notre préoccupation est davantage que la
violence exercée par des groupes armés et les violations perpétrées par les
gouvernements (bien noter le pluriel, svp) se sont combinées pour produire
l’attaque la plus durable jamais perpétrée au cours de ces cinquante
dernières années du point de vue du droit international humanitaire et de
l’ensemble des valeurs des droits humains.

De même, nous ne sommes pas restés « virtuellement silencieux sur les
exactions terroristes », comme le prétend l’éditorial du Times. Nos rapports
et déclarations de ces dernières années montrent que nous avons toujours
condamné les attaques criminelles, cruelles et sans pitié, commises par des
groupes armés tels qu’al Qaïda et que nous avons toujours dit clairement que
ces attaques s’apparentaient à des crimes de guerre et des crimes contre
l’humanité.

Avons-nous été « rapides à condamner les États-Unis pour des faits abusifs
réels ou imaginés lors du conflit en Irak » ? Non, nous avons répertorié des
actes correspondant à une politique d’exactions, commis par des Américains
sur des détenus, notamment en Irak, en Afghanistan et à Guantánamo Bay, sur
une période de deux ans. Nous avons présenté des allégations qui avaient été
vérifiées et comparées, attestant d’actes de brutalité et de cruauté, aux
plus hauts niveaux du gouvernement américain, notamment à la Maison Blanche,
au ministère de la Défense et au Département d’État.

Est-ce « politique » de faire remarquer que les principes relatifs aux
droits humains et au droit international ne sont pas respectés, qu’ils sont
laissés de côté, foulés aux pieds par des gouvernements puissants ? Est-ce « 
politique » de fournir les preuves que la « guerre au terrorisme » n’a fait
qu’encourager une nouvelle vague d’atteintes aux droits humains et détourné
l’attention des atteintes anciennes ? Est-ce « politique » de demander aux
gouvernements du monde entier - y compris aux États-Unis et au Royaume-Uni -
de respecter leurs obligations internationales ? Nous ne le pensons pas.

Une organisation qui se consacre à la remise en liberté de prisonniers
d’opinion doit rester fidèle à ce qu’elle croit en conscience : que le
respect absolu des droits humains fondamentaux de tous est juste en principe
et en pratique. C’est pourquoi nous continuerons toujours à dénoncer les
atrocités et exactions partout où elles se produisent, quels qu’en soient
les auteurs.

Signé

Paul Hoffman

Président

Comité exécutif international

Amnesty International

Index AI : POL 30/029/2004
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