RÉPUBLIQUE DÉMOCRATIQUE DU CONGO : Ituri : une tragédie des droits humains oubliée

Index AI : AFR 62/009/2003

Les autorités ougandaises doivent traduire devant leurs tribunaux les personnes soupçonnées de graves atteintes aux droits humains en Ituri, a déclaré Amnesty International ce jeudi 20 mars dans un nouveau rapport sur la dégradation de la situation en Ituri, au nord-est de la République démocratique du Congo (RDC).

« Les responsables présumés de graves violations du droit humanitaire ou des droits humains définis par le droit international, en Ituri ou dans d’autres régions de la RDC, ne doivent trouver refuge nulle part », a déclaré Amnesty International. « Ces personnes, quelle que soit leur nationalité, doivent, si elles sont découvertes sur le territoire ougandais ou dans des zones de la RDC contrôlées par l’Ouganda, faire l’objet d’une enquête et être traduites en justice. »

Le rapport d’Amnesty International : Democratic Republic of Congo : On the precipice : the deepening human rights and humanitarian crisis in Ituri [République démocratique du Congo. Au bord du précipice : l’aggravation de la crise humanitaire et des droits humains en Ituri] présente des informations sur les graves atteintes aux droits humains récemment commises en Ituri, où environ 50 000 personnes sont mortes et plus de 500 000 ont été déplacées depuis l’année 1999, en raison d’affrontements ayant lieu dans cette région.

Une grande partie de cette violence est due au conflit armé entre les groupes ethniques Hema et Lendu. Ce conflit a été exacerbé et manipulé par des chefs de groupes politiques armés qui luttent pour le pouvoir économique et politique dans la région.

Les groupes politiques armés et les milices à caractère ethnique se sont rendus responsables d’homicides illégaux, d’actes de torture, notamment des viols, et d’autres atteintes graves aux droits humains, souvent à grande échelle. La majorité des victimes sont des civils, agressés uniquement en raison de leur appartenance ethnique. Ces atteintes se sont multipliées au cours de ces derniers mois. « Amnesty International demande à ces groupes et milices d’arrêter immédiatement les homicides illégaux et autres atteintes aux droits humains contre les civils et les combattants qui ont cessé de prendre part aux hostilités ».

Une action internationale vigoureuse est nécessaire pour protéger la population civile.

Alors que la crise s’aggrave en Ituri, l’organisation réitère sa demande auprès du Conseil de sécurité des Nations unies de renforcer d’urgence la présence de la Mission de l’ONU pour le Congo (MONUC) dans la région, afin de mettre concrètement en œuvre son mandat qui consiste à « protéger les civils se trouvant sous la menace imminente de violences physiques » et pour créer les conditions nécessaires à l’acheminement sans risque de l’aide humanitaire, dont la population civile d’Ituri a un besoin urgent.

Amnesty International demande également aux Ugandan People’s Defence Forces (UPDF, Forces de défense populaires de l’Ouganda) présentes dans la province de respecter les obligations du gouvernement ougandais définies par les textes internationaux relatifs aux droits humains ainsi que par le droit humanitaire, afin de protéger les vies des civils dans cette région.

Les UPDF ont elles-mêmes commis de nombreuses violations des droits humains dans cette province, comme des homicides illégaux de civils désarmés. Des membres des UPDF auraient vendu des armes aux différentes factions ethniques et entraîné des milices, dont des enfants-soldats. Les changements multiples du soutien politique ougandais, d’un groupe armé d’Ituri à un autre, ont également aggravé et prolongé la crise.

« L’Ouganda affirme agir pour la paix et la réconciliation dans la région, et les UPDF sont parfois intervenues pour arrêter les hostilités entre les forces en présence. Cependant, le comportement général des UPDF et du gouvernement ougandais, en ce qui concerne l’Ituri, a grandement contribué au chaos et à la violence qui se sont emparés de la région, en aggravant les dissensions entre les groupes ethniques et en contribuant à créer une insécurité omniprésente. »

La justice, facteur essentiel pour résoudre la crise

Les responsables présumés de graves atteintes aux droits humains en Ituri n’ont pas été traduits en justice, bien qu’ils aient été publiquement identifiés dans certains cas. « Encouragées par leur impunité, les personnes ayant commis et ordonné ces crimes ont gagné pouvoir et richesse, ce qui a renforcé le cycle de la violence et du mépris du droit dans la région », a déclaré l’organisation.

Amnesty International demande instamment au gouvernement ougandais et à la communauté internationale de mettre fin à cette impunité en enquêtant sur les atteintes aux droits humains en Ituri et en traduisant en justice leurs responsables présumés, qu’ils appartiennent à des groupes politiques armés ou aux UPDF. Le gouvernement ougandais doit, aux termes de l’article 146 de la Quatrième Convention de Genève de 1949, « rechercher les personnes prévenues d’avoir commis ou d’avoir ordonné de commettre l’une ou l’autre de ces infractions graves [à la Convention] et […] les déférer à ses propres tribunaux, quelle que soit leur nationalité ». Parmi ces « infractions graves » figurent l’homicide, la torture ou les traitements inhumains.

Amnesty International demande aussi instamment au Conseil de sécurité des Nations unies d’établir une commission d’enquête internationale sur les violations du droit international humanitaire et des droits humains en RDC, notamment en Ituri. Cette commission devrait également faire des recommandations pour traduire en justice les responsables de ces violations, y compris devant les tribunaux nationaux.

Des atteintes aux droits humains à grande échelle et toujours plus nombreuses.

Ces derniers mois, les cinq groupes politiques armés suivants - et leurs milices - luttant pour le contrôle de la région d’Ituri se seraient rendus responsables de graves atteintes aux droits humains.

 Le Rassemblement congolais pour la démocratie-Mouvement de libération (RCD-ML), souvent allié aux milices ethniques Lendu. Des centaines de civils des groupes ethniques Hema et Bira auraient été tués lors d’une attaque des milices Lendu et RCD-ML contre la ville de Nyankunde, en septembre 2002.
 Le Mouvement pour la libération du Congo (MLC).
 Le Rassemblement congolais pour la démocratie-National (RCD-N). D’octobre à décembre 2002, les forces du MLC et du RCD-N auraient tué plus de 100 civils et commis d’autres graves atteintes aux droits humains, dont des viols, dans la ville de Mambasa et à sa périphérie.
 Les soldats de l’Union des patriotes congolais (UPC) et leurs alliés de la milice Hema se seraient rendus responsables de nombreux homicides illégaux, actes de tortures et d’autres mauvais traitements à l’encontre de non-Hema ou d’Hema de haut rang soupçonnés de dissidence à l’époque où l’UPC contrôlait Bunia et d’autres villes, d’août 2002 à mars 2003.
 Le Front pour l’intégration et la paix en Ituri (FIPI), une émanation de l’UPC, est le dernier groupe armé apparu en février 2003, avec le soutien de l’Ouganda.

Les UPDF ont également commis de graves atteintes aux droits humains en Ituri. Ainsi, en février 2002, une unité des UPDF aurait tué plus de 80 civils, pour la plupart des Lendu, dans la région de Gety. De plus, les UPDF n’ont pas protégé la population civile contre les homicides et autres atteintes aux droits humains commis par les groupes politiques armés ou leurs milices, en n’intervenant pas ou avec beaucoup de retard, malgré l’autorité militaire manifeste qu’exercent les UPDF dans les zones où ces violences se sont produites.

Contexte
La province d’Ituri est contrôlée directement ou indirectement par les UPDF depuis le début du conflit actuel en RDC, en août 1998. Les cinq groupes politiques armés opérant dans cette province sont tous, d’une manière ou d’une autre, protégés par le gouvernement ougandais. Ce soutien, néanmoins, varie constamment, ce qui aggrave l’instabilité dans la région.

La capitale de la région, Bunia, ainsi que d’autres villes importantes, sont passées tour à tour sous le contrôle de différents groupes politiques armés.

Tout récemment, le 6 mars 2003, l’UPC, qui avait repris Bunia au RCD-ML en août 2002 avec l’aide des UPDF, a été chassée de la ville par ces mêmes UPDF. Les récents combats dans Bunia ont coûté la vie à des civils et causé de nombreux dégâts, y compris aux bureaux de plusieurs organisations humanitaires, qui auraient été pillés par les combattants.

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