République dominicaine, il faut mettre fin aux politiques migratoires racistes

Le 16 août 2024, Luis Abinader a obtenu un deuxième mandat présidentiel en République dominicaine

Au cours de son précédent mandat, Amnesty International a dénoncé des violations inquiétantes des droits humains commises dans le cadre de la politique migratoire visant les personnes haïtiennes et dominicaines d’origine haïtienne par des agents des services des migrations, des policiers et des membres des forces armées qui assistent la Direction générale des migrations (DGM) dans ses opérations migratoires [1]. Amnesty International a souligné la nécessité urgente pour les institutions dominicaines d’éradiquer le profilage racial, le racisme structurel et la discrimination raciale et de garantir le respect de la dignité humaine et de l’intégrité physique des personnes migrantes haïtiennes et dominicaines d’origine haïtienne [2].

« Le nouveau gouvernement doit s’engager sans réserve à surmonter les défis en matière de droits humains que nous avons dénoncés et documentés ces derniers mois. Il est essentiel que des politiques migratoires soient mises en place pour garantir le respect de la dignité et des droits fondamentaux de toutes les personnes », a déclaré Ana Piquer, directrice pour les Amériques à Amnesty International.

Depuis 2022, la République dominicaine est devenue le pays qui expulse le plus grand nombre de personnes haïtiennes en mouvement, malgré l’appel lancé en novembre 2022 par le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) aux États pour qu’ils cessent de procéder à des renvois forcés de personnes vers Haïti [3]. Selon l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) [4], en 2023, 208 166 personnes haïtiennes ont été expulsées, dont plus de 20 000 adolescents et jeunes enfants. En 2024, malgré la grave crise en Haïti, le gouvernement dominicain a expulsé 98 594 personnes, dont plus de 5 000 adolescents et jeunes enfants.

Amnesty International a constaté que nombre de ces expulsions ont été collectives, en violation du principe de « non-refoulement » et du droit à l’asile des personnes haïtiennes. Ces expulsions collectives sont contraires aux obligations internationales de la République dominicaine, car elles ne permettent pas une évaluation individualisée des besoins de protection de chaque personne concernée, ni des risques auxquels les personnes seront confrontées si elles sont renvoyées en Haïti. Par ailleurs, ces expulsions sont réalisées dans le cadre d’opérations migratoires qui s’accompagnent d’un profilage racial et d’une discrimination raciale, au mépris des principes d’égalité et de non-discrimination.

Le précédent mandat de Luis Abinader a notamment été marqué par le conflit concernant le canal sur la rivière Massacre [5], en octobre 2023. Le gouvernement dominicain a annoncé la suspension pour une durée indéterminée de la délivrance de visas aux personnes haïtiennes, la militarisation et la mise en place de contrôles biométriques à la frontière, et la fermeture de celle-ci pour les flux migratoires. Depuis, plusieurs éléments de la force publique tels que l’armée et la police ont été autorisés à mener des opérations migratoires. Pendant plusieurs mois, le gouvernement dominicain a suspendu les procédures permettant aux Haïtiens de renouveler leurs visas d’études, de résidence ou de travail en République dominicaine, les personnes concernées se retrouvant de ce fait en situation d’immigration irrégulière et séparées de leurs proches. La suspension de l’octroi de visas aux personnes haïtiennes, qui est maintenue, a entraîné la fermeture des quelques voies légales d’accès au pays, limité les possibilités de regroupement familial ou empêché l’accès aux possibilités de faire des études et de trouver un emploi.

Des organisations locales ont fait savoir à Amnesty International que ces mesures ont entraîné une augmentation du nombre de personnes détenues, ainsi que du nombre de personnes expulsées collectivement.

L’organisation a reçu des témoignages alarmants de victimes et d’organisations de la société civile locale et a examiné des vidéos montrant le caractère discriminatoire et déshumanisé des opérations migratoires, des transferts de personnes et des conditions dans les centres de détention.

L’Evidence Lab d’Amnesty International a vérifié 12 vidéos publiées entre juillet 2023 et juillet 2024 montrant des personnes présumées de nationalité haïtienne arrêtées par la DGM de la République dominicaine. Dans deux vidéos, on voit des enfants avec des hommes et des femmes dans des camionnettes de la DGM. Dans deux autres vidéos, on voit des personnes monter de force dans ces mêmes véhicules, notamment un homme porté par quatre agents et une femme qui dit ne pas être de nationalité haïtienne. Cinq autres vidéos vérifiées montrent un centre de détention où il n’y a ni lits ni chaises et où des dizaines d’hommes dorment entassés par terre.

« Les organisations qui travaillent à la frontière entre Haïti et la République dominicaine enregistrent continuellement des cas de personnes expulsées victimes de coups infligés par les autorités dominicaines »

La violence et l’usage excessif de la force sont une constante dans les témoignages des victimes. Amnesty International a reçu des témoignages concernant des perquisitions effectuées sans mandat judiciaire, des représentants des autorités ne portant pas d’uniforme ni d’identification, l’usage de la violence et le vol de biens, notamment la nuit pendant que les gens dormaient. Dans le cadre de ces opérations, une plainte a été déposée en avril pour des violences sexuelles infligées à une fille de 14 ans.

« Les organisations qui travaillent à la frontière entre Haïti et la République dominicaine enregistrent continuellement des cas de personnes expulsées victimes de coups infligés par les autorités dominicaines », a déclaré Johanna Cilano Pelaez, chercheuse pour la région des Caraïbes à Amnesty International [6].

Les mesures permettant la participation de la police nationale, des membres des forces armées et d’autres éléments de la force publique à des opérations migratoires ont entraîné une dispersion des fonctions en matière de migration, ainsi que des procédures arbitraires et opaques. L’absence de formation de ces forces de l’ordre aux droits humains, formation qui est susceptible d’assurer un traitement digne et sans discrimination pour les personnes migrantes, est également préoccupante [7].

Amnesty International a été informée de faits de corruption, d’extorsion et de possible trafic d’influence de la part des autorités lors d’arrestations, de transferts et de séjours dans les centres de détention, au cours d’opérations migratoires, y compris dans la zone frontalière.

De multiples témoignages indiquent que cette dispersion des fonctions produit une confusion quant aux voies utilisées par les personnes en quête de protection internationale et les personnes migrantes après leur arrestation, encourageant un vaste réseau d’extorsion à l’encontre des personnes migrantes et limitant l’accès à la justice des personnes migrantes haïtiennes qui, parce qu’elles ont peur, ne se rapprochent généralement pas des institutions telles que la police ou le ministère public lorsqu’elles sont victimes d’une infraction pénale. Cela limite notamment les signalements de violences basées sur le genre infligées à des femmes et des filles migrantes haïtiennes. Bien qu’il y ait eu des enquêtes impliquant des agents des services de l’immigration, les autorités n’ont pas mis en place de mesures cohérentes et concrètes pour garantir l’accès à la justice des personnes migrantes victimes de violations des droits humains.

Amnesty International a reçu des informations indiquant que les voies empruntées par les personnes après leur arrestation lors d’opérations migratoires varient en fonction de l’autorité qui les a arrêtées. Généralement, lorsqu’elles sont arrêtées par des agents de la DGM, elles sont embarquées dans des véhicules appelés « camions ». Bien qu’ils aient une capacité de 30 ou 40 personnes, des informations indiquent que les autorités y font monter un nombre supérieur de personnes. Les personnes sont frappées et embarquées de force, et dans de nombreux cas elles ne peuvent pas bouger par manque de place et ont du mal à respirer. On les laisse enfermées dans ces véhicules pendant des heures sous des températures élevées, avant de les transférer dans le centre d’interdiction, sans accès à l’eau, aux services sanitaires ni à la nourriture, ce qui met gravement en danger leur santé [8].

Amnesty International a eu connaissance des conditions très inquiétantes dans certains centres d’interdiction où les personnes sont emmenées pour « épurer » leur situation migratoire, avant leur expulsion. Les installations ne disposent pas de services et d’espaces adéquats, les locaux sont surpeuplés, on note également un manque d’accès à l’eau et à la nourriture, des restrictions pour communiquer avec les proches et les avocats, et les gens se voient retirer leur téléphone portable. Les autorités responsables ne demandent pas ou n’évaluent pas si ces personnes ont des problèmes de santé nécessitant des soins, et ne leur donnent pas accès à une demande de protection internationale. En outre, l’organisation a reçu des informations de femmes qui ont été victimes de violences sexuelles commises par des agents des autorités dans les centres de détention et lors de leur expulsion, notamment des attouchements, des commentaires au sujet de leur corps et des demandes de faveurs sexuelles en échange de leur libération. Parfois, ces situations vont au-delà de la violation commise par les autorités.

Ces allégations suggèrent que des violations du droit de ne pas être soumis à la torture ou à des traitements cruels, inhumains ou dégradants pourraient être perpétrées dans le cadre d’opérations migratoires.

Amnesty International a appris que des personnes noires, tant dominicaines qu’étrangères, ont été arrêtées arbitrairement sur la base d’un profilage racial et à des fins d’expulsion. Cela met en danger les personnes dominicaines d’origine haïtienne, notamment les bénéficiaires de la loi n° 169-14, qui « établit un régime spécial pour les personnes nées sur le territoire dominicain inscrites irrégulièrement à l’état civil et à la naturalisation » [9].

« Le président Abinader, par l’intermédiaire de la CONANI, doit garantir le respect de l’intérêt supérieur de l’enfant et s’abstenir d’expulser et de détenir des enfants haïtiens »

Amnesty International a été informée de la remise d’enfants et d’adolescents par le Conseil national pour l’enfance et l’adolescence (CONANI) aux autorités haïtiennes en l’absence d’un protocole pour cette remise et de mécanismes garantissant le respect du principe de l’intérêt supérieur de l’enfant, de ses droits fondamentaux et de sa sécurité, et au mépris des obligations constitutionnelles et internationales des autorités telles qu’établies dans la Convention relative aux droits de l’enfant, dans les directives des Nations unies [10] et dans les principes interaméricains de la Commission interaméricaine des droits de l’homme [11], qui interdisent la détention d’enfants et d’adolescents et obligent l’État à garantir les principes de l’intérêt supérieur de l’enfant et de l’unité familiale.

« Le président Abinader, par l’intermédiaire de la CONANI, doit garantir le respect de l’intérêt supérieur de l’enfant et s’abstenir d’expulser et de détenir des enfants haïtiens en raison de leur statut migratoire ou de celui de leur mère et/ou de leur père », a déclaré Ana Piquer [12].

Conformément aux normes internationales relatives aux droits humains, les États doivent respecter l’intérêt supérieur de l’enfant, ainsi que ses droits à la liberté et à la vie familiale, au moyen de lois, de politiques et de pratiques permettant aux enfants de rester avec les membres de leur famille ou leurs tuteurs sans être incarcérés et dans un environnement communautaire, pendant qu’est résolue leur situation en tant qu’immigrants et que sont évalués les intérêts supérieurs des enfants, y compris avant leur renvoi. La détention de tout enfant migrant devrait être interdite par la loi et cette interdiction devrait être pleinement appliquée [13].

« Nous contestons les expulsions d’enfants »

Des organisations en Haïti dénoncent le fait que la CONANI ne respecte pas les normes de protection des enfants en mouvement, et se disent particulièrement préoccupées par le fait que des enfants continuent d’être expulsés dans des zones où il n’y a pas d’autorités ou d’organisations appropriées, comme dans la localité de Malpasse, en Haïti, à la frontière avec Jimaní, en République dominicaine, sachant qu’à Malpasse les accès sont actuellement contrôlés par des bandes criminelles.

« Nous contestons les expulsions d’enfants. Ces mesures remettent en cause l’engagement du gouvernement du président Luis Abinader concernant la sécurité et le bien-être des enfants », a ajouté Anna Piquer.

« La situation d’immigration irrégulière ne constitue pas une infraction pénale »

En ce qui concerne le profilage, la détention et l’expulsion des femmes enceintes [14], Amnesty International a constaté que son effet intimidant met gravement en danger leur vie et leur santé. Selon des témoignages recueillis, certaines femmes haïtiennes enceintes résidant dans des bateyes ou nécessitant des soins postnataux ne cherchent pas à recevoir des soins médicaux parce qu’elles craignent d’être arrêtées dans les hôpitaux publics ou en sortant de leur communauté, et expulsées. Cela les laisse sans possibilité de recevoir des soins de santé adéquats et opportuns, ou les oblige à rechercher des soins privés, avec d’importantes répercussions sur leurs revenus. Les organisations internationales qui travaillent à la frontière ont confirmé à Amnesty International la persistance de cette pratique discriminatoire.

« Les personnes migrantes et les personnes ayant besoin d’une protection internationale ne doivent pas être soumises à des mesures punitives telles que la détention. La situation d’immigration irrégulière ne constitue pas une infraction pénale. L’application généralisée des mesures de restriction de liberté en raison de la situation d’entrée irrégulière dans le pays entraîne des détentions arbitraires et outrepasse l’intérêt légitime du gouvernement du président Luis Abinader concernant la gestion des migrations », a déclaré Johanna Cilano Pelaez.

Le gouvernement du président Luis Abinader a la possibilité de rectifier cette situation et de respecter ses engagements en matière de droits humains. À cet égard, il doit s’abstenir de renvoyer de force toute personne haïtienne en mouvement et tout ressortissant de la République dominicaine, et mettre fin aux expulsions collectives.

Amnesty International demande au gouvernement dominicain de prendre des mesures urgentes pour lutter contre le racisme structurel dans le pays. Les autorités doivent impérativement enquêter, sanctionner les responsables de violations des droits humains et d’autres abus, et adopter des mesures concrètes pour éliminer et prévenir la violence raciste et la discrimination raciale dans les opérations migratoires, en accordant une attention particulière aux enfants et aux femmes enceintes.

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