Les restrictions liées au Covid-19 ont amplifié les discriminations contre les groupes les plus marginalisés

COVID restrictions

Certains groupes marginalisés, parmi lesquels les personnes lesbiennes, gays, bisexuelles, transgenres et intersexuées (LGBTI+), les personnes consommatrices de stupéfiants et les personnes sans abri, ont été affectés de manière disproportionnée par les réglementations relatives au Covid-19, qui les ont exposés à des atteintes aux droits fondamentaux et des discriminations accrues, écrit Amnesty International dans un nouveau rapport rendu public mardi 31 mai, qui examine l’impact des restrictions relatives à la pandémie dans le monde.

S’appuyant sur un sondage mené en ligne auprès de 54 organisations de la société civile dans 28 pays, ce rapport montre qu’une démarche excessivement punitive dans la mise en œuvre de la réglementation liée à la pandémie de Covid-19 - en vertu de laquelle des personnes ont dû payer des amendes, ont été arrêtées et emprisonnées pour n’avoir pas respecté des mesures de santé publique - s’est soldée par des violences et un harcèlement accrus de la part des forces de sécurité contre des groupes déjà marginalisés. Cette approche a aussi restreint leur accès à des services essentiels tels que la nourriture, les soins de santé et le logement.

Plus de deux tiers des personnes ayant répondu à ce sondage (soit 69 %) ont déclaré que la réaction des États face à la pandémie avait exacerbé l’impact négatif de lois et règlements préexistants criminalisant et marginalisant les populations avec lesquelles leurs organisations travaillent. Sur ces personnes, 90 % ont signalé que la communauté avec laquelle elles travaillent a été visée spécifiquement et/ou a subi des conséquences disproportionnées lorsque les mesures anti-COVID-19 ont été appliquées. Les organisations ont indiqué que, parmi les diverses mesures punitives adoptées, les amendes, les arrestations, les mises en garde ou les avertissements écrits avaient été largement utilisés, et que la police avait souvent donné l’ordre de « circuler » ou de se tenir à distance d’un espace public.

« Si les mesures relatives au Covid-19 ont pu varier d’un pays à l’autre, les politiques gouvernementales de lutte contre la pandémie ont eu un défaut commun. Leur tendance à privilégier les sanctions punitives contre les personnes ayant enfreint la réglementation, plutôt que des mesures visant à les aider à mieux la respecter, a eu un effet totalement disproportionné sur des personnes déjà confrontées à des discriminations systématiques », a déclaré Rajat Khoslan, directeur des orientations politiques à Amnesty International.

« Quand les gouvernements adoptent une politique répressive pour mettre en œuvre des mesures de santé publique, ils rendent celles-ci tout simplement plus difficiles à respecter. Des personnes ayant perdu leurs moyens de subsistance du jour au lendemain et des personnes sans abri ont été poursuivies en justice pour n’avoir pas adhéré aux mesures relatives au Covid-19, plutôt que soutenues afin d’avoir accès à un logement ou d’autres biens de première nécessité.

« Cette absence de vision à long terme a exposé ces groupes à des opérations de maintien de l’ordre violentes et discriminatoires, et poussé certaines personnes à faire des choix risqués afin de satisfaire leurs besoins essentiels, ce qui a entraîné des maladies, des morts et diverses atteintes aux droits humains qui étaient
évitables. »

Opérations de police punitives

Des groupes qui faisaient déjà l’objet d’une surveillance policière excessive avant la pandémie ont été victimes de discriminations, d’un recours illégal à la force et d’arrestations arbitraires de la part de la police.

La grand majorité (71 %) des 54 organisations ayant répondu au sondage d’Amnesty International ont déclaré que des personnes issues des populations avec lesquelles elles travaillent, comme par exemple les travailleuses et travailleurs du sexe, les personnes consommatrices de stupéfiants, les personnes LGBTI et les personnes ayant besoin d’avorter ont été sanctionnées pour avoir enfreint des règles relatives au Covid-19.

Selon Elementa, une organisation mexicaine de défense des droits humains, la « guerre contre la drogue » répressive du Mexique a autorisé la police à prendre pour cibles, au titre de l’application de mesures relatives au Covid-19, les personnes consommant des stupéfiants ou se trouvant en possession de ceux-ci. Dans un cas alarmant ayant déclenché des manifestations de grande ampleur, un ouvrier de la construction, qui était à ce moment-là sous l’emprise de la drogue, a été arrêté dans l’État de Jalisco (ouest du pays), parce qu’il ne portait semble-t-il pas de masque. Il est mort en garde à vue quelques jours plus tard. Son corps était couvert d’hématomes et sa jambe portait une blessure par balle.

Au Belize, en Indonésie, au Mexique, au Nigeria, en Ouganda, aux Philippines, en Tanzanie et au Royaume-Uni, des organisations de la société civile travaillant sur des questions incluant les droits des personnes LGBTI, la réforme des politiques en matière de stupéfiants, les droits des travailleuses et travailleurs du sexe et l’éradication du sans-abrisme, ont signalé que les communautés marginalisées ont subi une surveillance et un harcèlement accrus de la part des responsables de l’application des lois, et qu’elles ont été visées de manière disproportionnée par des arrestations, des amendes et des incarcérations durant la pandémie.

En Argentine, une organisation dirigée par des travailleuses et travailleurs du sexe a signalé des violences policières contre des collègues transgenres, notamment des « passages à tabac, des fouilles et des arrestations arbitraires », et indiqué que des travailleuses et travailleurs du sexe étaient harcelés par la police « pour non-respect du confinement lorsqu’elles se rendaient au supermarché ou à la pharmacie du quartier. »

Stigmatisation et obstacles à la protection sociale, à la santé et à un logement convenable

Le recours excessif des États à des mesures punitives en relation avec le Covid-19 a aussi créé des obstacles supplémentaires à l’accès à des services et des outils de soutien essentiels, en particulier pour les personnes confrontées à la pauvreté et aux discriminations systémiques. Des groupes marginalisées ont souvent été accusés, notamment par des représentant·e·s de l’État, d’avoir enfreint les règlements relatifs au Covid-19 et d’avoir propagé le virus. Cela a ensuite alimenté la violence à l’égard de ces groupes et a dissuadé leurs membres de chercher à se faire soigner, de crainte d’être arrêtés, incarcérés ou jugés.

Si de nombreux gouvernements ont adopté des mesures de protection sociale, certains pays n’ont pas pris en considération les réalités sociales et économiques dans lesquelles elles ont été mises en œuvre, et ont rarement fourni un soutien digne de ce nom aux populations les plus marginalisées.

Les personnes travaillant dans le secteur informel ou ayant un emploi précaire ont subi les effets des mesures de manière disproportionnée. Au Népal, de nombreux dalits vivant sous le seuil de pauvreté et dépendant de salaires journaliers étaient extrêmement endettés et ont connu la famine en raison des difficultés croissantes causées par la pandémie.

Des organisations ont aussi signalé que la stigmatisation à l’égard des personnes LGBTI, par exemple, avait donné lieu à leur exclusion des dons alimentaires et des centres de crise mis en place par l’État et les municipalités dans des pays comme l’Indonésie et la Zambie.

Les mesures relatives au Covid-19 ont en outre eu un impact négatif sur la prestation de services de santé essentiels. En particulier, l’accès à des services gérés à l’échelle locale et à des projets en direction des personnes marginalisées a été largement restreint ou est devenu totalement indisponible lorsque les systèmes de santé se sont adaptés pour faire face à la pandémie de COVID-19. Au Canada, des consultations proposées en partenariat avec les autorités sanitaires par des projets en direction des travailleuses et travailleurs du sexe ont été annulées. Des problèmes similaires ont été signalés concernant les fermetures généralisées de consultations de proximité dans des pays du l’Est de l’Afrique.

Dans certains pays, la pandémie de Covid-19 a été instrumentalisée dans le but de restreindre encore davantage l’accès à des services essentiels de santé, tels que des services d’avortement et de réduction des dommages. En Inde, l’organisation Hidden Pockets Collective, qui défend les droits sexuels et reproductifs, a signalé que le gouvernement n’a dans un premier temps pas reconnu l’avortement comme un service essentiel de santé ; des prestataires ont alors déclaré à des femmes que les avortements n’étaient « pas essentiels » et ne devaient donc pas avoir lieu durant une pandémie. La réprobation sociale face à l’avortement signifie aussi que des femmes ne se sont pas senties capables d’expliquer à la police pourquoi elles devaient quitter leur domicile afin de recevoir des soins de santé durant le confinement.

« Plutôt que de miser sur des mesures punitives faisant porter toute la responsabilité et la culpabilité à des individus déjà confrontés à une discrimination systématique, les États auraient dû mettre l’accent sur la protection des droits humains de toutes et de tous et veiller à ce que les populations marginalisées aient accès à des soins de santé universels, ainsi qu’aux services essentiels pour leur sécurité », a déclaré Rajat Khosla.

« Il s’agit là d’une leçon cruciale que les gouvernements doivent prendre en compte lors de la négociation d’un traité sur l’amélioration de la prévention, de la préparation et de l’intervention face aux pandémies, sous l’égide de l’OMS. Mettre les droits humains au cœur des efforts entrepris par les gouvernements pour répondre à l’urgence sanitaire n’est pas une option : c’est une obligation . »

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