Royaume-Uni, Amnesty empêchée d’assister au procès de Julian Assange

Amnesty International s’inquiète profondément du fait que le refus qui lui a été opposé d’assister au procès en extradition de Julian Assange, qui a repris le 7 septembre au palais de justice de l’Old Bailey, à Londres, remette en cause la reconnaissance des observateurs en tant que garants des normes internationales relatives à l’équité des procès. L’organisation a sollicité à trois reprises l’accès au palais de justice dans le cadre de ce procès. Toutes ses requêtes ont été rejetées, ce qui est le signe, de la part des autorités britanniques, d’une prise de distance par rapport au principe de transparence de la justice.

Amnesty International a appelé les États-Unis à abandonner toutes les charges pesant sur Julian Assange qui sont liées à ses publications et le Royaume-Uni à ne pas extrader cet homme vers les États-Unis ni tout autre pays où il risquerait de subir de graves violations des droits humains. Dans le cadre de ses recherches, de ses activités de plaidoyer et de son travail de campagne sur l’affaire de Julian Assange, l’organisation est déterminée à suivre le procès en extradition qui se déroule au Royaume-Uni en chargeant des experts internationaux d’observer la procédure et de recueillir des informations à ce sujet.

Le 17 août, Amnesty International a écrit au ministre britannique de la Justice, Robert Buckland, pour lui demander une accréditation officielle et l’attribution d’un siège dans la salle d’audience pour qu’un observateur puisse suivre le déroulement du procès, qui devait reprendre le 7 septembre. Cette requête se fondait sur son expérience passée : en effet, un observateur de l’organisation avait été présent dans la salle d’audience pendant la majeure partie de la première phase du procès en extradition de Julian Assange, en février 2020. Cette personne était le seul représentant d’une organisation internationale de défense des droits humains assis à l’avant de la salle pour recueillir des informations.

Le Service royal des cours et tribunaux a contacté Amnesty International le 1er septembre pour indiquer que sa demande avait été rejetée mais qu’un accès à distance serait autorisé. Lorsque notre observateur a tenté d’assister au procès le 7 septembre au matin, le lien ne fonctionnait pas. Après en avoir fait part au tribunal, il a été informé par courriel que son accès à distance avait été supprimé. Lorsqu’elle a refusé l’accès à distance à Amnesty International et à une quarantaine d’autres groupes ou personnes, la juge a déclaré qu’elle souhaitait avoir le contrôle de la salle d’audience, en précisant que, depuis l’ouverture du procès en février, une image de Julian Assange assis au tribunal circulait en ligne, en violation des règles en vigueur.

À ce stade, le seul moyen pour Amnesty International de suivre le procès était que notre observateur fasse la queue en vue d’obtenir l’un des deux sièges libres dans la zone réservée au public d’une salle additionnelle, installée dans l’enceinte du palais de justice. C’est de là qu’un nombre limité de représentants des médias et d’observateurs politiques assistaient au procès en direct.

Amnesty International considère que ces sièges sont réservés au grand public et que les organisations qui suivent les procès ne devraient pas être en concurrence avec des particuliers pour les quelques sièges disponibles dans la zone réservée au public. De plus, l’accès à cette zone se fait selon le principe du « premier arrivé, premier servi » parmi les personnes venues faire la queue dès le matin. Le suivi d’un procès repose sur un accès constant et garanti au tribunal, sans quoi il est impossible de rendre compte de la procédure sur toute sa durée. Or, ces conditions ne sont pas remplies lorsque l’on doit tenter d’obtenir une place dans la zone réservée au public. En outre, aucun appareil ni matériel d’écriture ne sont autorisés dans cette zone, ce qui ne permet pas d’enregistrer ou de rendre compte précisément des événements.

Amnesty International a adressé une requête urgente à la juge le 7 septembre, en demandant une nouvelle fois que son observateur soit autorisé à entrer dans la salle d’audience. Elle a également été rejetée le lendemain. L’audience a été ajournée précocement le 10 septembre en raison d’un cas présumé d’infection par le nouveau coronavirus et de la nécessité pour les personnes concernées de passer un test de dépistage. Le résultat était négatif. Lorsque l’audience a repris, le 14 septembre, Amnesty International a formé une nouvelle requête, qui portait cette fois uniquement sur la salle additionnelle. Cette dernière demande a été rejetée le 16 septembre et la juge a précisé qu’elle ne ferait « aucune exception » pour l’observateur de l’organisation.

Amnesty International demeure déterminée à suivre le procès en extradition de Julian Assange et continuera d’œuvrer pour que son expert ait accès à la salle d’audience et puisse ainsi observer ce qui s’y passe et en rendre compte. Nous appelons les autorités britanniques [1] à reconnaître le rôle crucial que jouent les observateurs qui suivent les procédures juridiques et, ce faisant, à renouveler son attachement sans réserve au principe de transparence de la justice.

LE SUIVI DES PROCÈS, UNE NORME INTERNATIONALE

Depuis de très nombreuses années, Amnesty International envoie des spécialistes dans le monde entier pour observer des procès où d’importants principes relatifs aux droits humains sont en jeu. L’acceptation d’observateurs internationaux (déployés par des États étrangers ou des organisations non gouvernementales) est devenue une norme juridique internationale. Cette pratique, bien établie et acceptée au sein de la communauté internationale, est liée aux normes internationales d’équité des procès, y compris le droit à une audience publique et le principe de transparence de la justice. L’évaluation d’un procès ou d’une procédure juridique vise à déterminer si la pratique dans une affaire en particulier est conforme aux lois du pays où le procès se déroule, et si les lois et la pratique sont conformes aux normes internationales, inscrites dans les traités auxquels l’État en question est partie, et à d’autres normes non conventionnelles.

Le suivi des procès par des experts internationaux a trois objectifs importants :
• Évaluer l’équité d’un procès ou d’une procédure juridique en livrant un compte rendu impartial et indépendant de son déroulement ;
• Faire progresser les normes internationalement reconnues en matière d’équité des procès en signalant aux acteurs, en particulier au juge et au procureur, qu’ils sont sous surveillance ;
• Déterminer les réformes du système juridique qu’il est nécessaire de mener dans le pays.

Le rôle d’un observateur international est analogue à celui de la presse et des médias en général, tout en étant distinct. En effet, les observateurs internationaux ne s’intéressent pas qu’à la procédure juridique mais analysent aussi la conformité avec les obligations internationales qui incombent à l’État en matière de droits humains, y compris le droit à un procès équitable. Leur présence signale au juge présidant le tribunal que des experts indépendants et impartiaux, spécialisés dans les questions de procédure et de fond liées au droit international relatif aux droits humains, observent le déroulement du procès et amèneront l’État à rendre des comptes si les garanties d’un procès équitable ne sont pas respectées. La presse, en donnant des informations qui relèvent de l’intérêt public, contribue à faire respecter le droit à l’information au sujet des actions de l’État. Les observateurs participent à la transparence de la justice en rendant compte de procédures juridiques en vue d’amener les États à répondre de leurs actes en cas de non-respect de leurs engagements relatifs aux droits humains. Agissant en toute indépendance, ils sont les yeux et les oreilles de la communauté internationale en ce qui concerne l’application des normes d’équité des procès.

Amnesty International envoie régulièrement des observateurs dans le monde entier pour observer des procès et en rendre compte. Nos observateurs ont assisté aux procès et à d’autres procédures juridiques devant des tribunaux fédéraux aux États-Unis et sur la base navale de Guantánamo, à Cuba, ainsi qu’à Bahreïn, au Honduras, en Équateur, en Hongrie, en Israël, en Espagne, en Turquie et aux Émirats arabes unis, entre autres.

Dans sa quête pour pouvoir assister au procès de Julian Assange en qualité d’observateur international, Amnesty International s’appuie sur un ensemble de documents faisant autorité, notamment le manuel sur l’observation des procès du Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme.Lors d’une intervention devant le Conseil des droits de l’homme des Nations unies, en février 2016, le rapporteur spécial sur la situation des défenseurs des droits de l’homme a déclaré : « En observant les procès, en recueillant des informations sur le procès de défenseurs des droits humains et en analysant les pratiques juridiques, les observateurs soutiennent les défenseurs et, plus largement, contribuent à renforcer les systèmes judiciaires [2]. »

De même, l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe a déclaré : « À son niveau le plus élémentaire, l’acte de suivre un procès est une expression du droit à un procès public et accroît la transparence du processus judiciaire. À l’échelle individuelle, le suivi des procès peut permettre de rendre l’administration de la justice plus efficace et plus juste ou d’attirer l’attention sur de graves défaillances [3]. »

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