Royaume-Uni. De nombreuses questions sans réponse après les acquittements prononcés par le tribunal militaire, d’autres mesures sont nécessaires pour que justice soit rendue

Déclaration publique

EUR 45/005/2007

Amnesty International considère que la fin des poursuites engagées contre sept soldats britanniques devant un tribunal militaire pour les traitements infligés à des détenus en Irak laisse de nombreuses questions sans réponse. L’organisation souligne la nécessité, pour le Royaume-Uni, d’adopter de nouvelles mesures pour assurer le rendu de la justice et de revoir la manière dont a été menée l’enquête sur les allégations d’atteintes graves aux droits humains perpétrées par des membres de ses forces armées

Le procès, qui a commencé en septembre 2006 devant un tribunal militaire au Royaume-Uni, concernait sept soldats britanniques basés à Bassora, en Irak – au moment où le Royaume-Uni était une puissance occupante ; ils étaient accusés d’avoir porté atteinte aux droits fondamentaux d’Irakiens arrêtés à la suite d’une opération menée en septembre 2003. Un certain nombre d’éléments tendant à prouver que les soldats britanniques étaient responsables d’actes pouvant être qualifiés de crimes de guerre avaient été révélés. Le procès devant le tribunal militaire a surtout porté sur l’affaire Baha Mousa, du nom d’un civil irakien de vingt-six ans, père de deux enfants, mort le 15 septembre, trente-six heures environ après son arrestation par des soldats britanniques dans l’hôtel où il travaillait ; son corps portait des traces de blessures multiples dues aux mauvais traitements infligés lors de son arrestation et de sa détention sur la base militaire britannique de Bassora.

Lorsque le procès s’est ouvert en septembre 2006, l’un des sept accusés, le caporal-chef Payne, a plaidé coupable de l’accusation de traitement inhumain sur la personne de Baha Mousa, mais non coupable des accusations d’homicide et de tentative d’infléchissement du cours de la justice.

En février 2007, en réponse à une requête en non-lieu introduite au nom de six des sept accusés, le caporal-chef Payne, le caporal Crowcoft, le soldat de deuxième classe Fallon, le commandant Peebles, l’adjudant Davies et le colonel Mendonca, le juge a ordonné l’acquittement de quatre d’entre eux. Le caporal-chef Payne, qui devait répondre d’homicide et tentative d’infléchissement du cours de la justice, faisait partie du groupe.

La commission avait déjà déclaré le sergent Stacey, le septième accusé, non coupable de deux des charges pesant contre lui. Toutefois, bien qu’aucune requête en non-lieu n’ait été introduite pour la dernière accusation pesant contre lui, le juge présidant le tribunal a ordonné que lui aussi soit acquitté. Il a pris cette décision parce que l’accusation pesant encore contre le sergent Stacey reposait entièrement sur des preuves qualifiées par le juge d’impossibles à croire et rejetées pour cette raison.

Le juge n’avait pas accepté les requêtes en non-lieu introduites au nom du commandant Peebles et de l’adjudant Davies. Les poursuites contre eux n’ont donc pas été stoppées. Tous deux ont été acquittés le 13 mars 2007.

Amnesty International est préoccupée par un certain nombre de points et de questions restées sans réponse :
  le procès devant un tribunal militaire a été décidé à la suite du décès de Baha Mousa aux mains de soldats britanniques. Le caporal-chef Payne a plaidé coupable de mauvais traitements sur la personne de Baha Mousa lors de sa détention sur la base militaire britannique de Bassora, mais d’autres allégations de mauvais traitements au moment de l’arrestation de Baha Mousa avaient été faites. Payne ne faisait pas partie de ceux qui ont procédé à l’arrestation de Baha Mousa. À ce jour, personne n’a été reconnu coupable des mauvais traitements infligés à Baha Mousa par un certain nombre de personnes toujours non identifiées. Personne n’a été reconnu coupable de sa mort ;
  le procès devant le tribunal militaire a confirmé que de nombreuses personnes, certaines identifiées mais beaucoup d’autres non, étaient responsables des violences infligées de manière illégale à Baha Mousa au cours des trente-six heures qu’a duré sa détention. Ces personnes n’ont pas été jugées et n’ont pas fait l’objet de poursuites, alors qu’à l’évidence, elles auraient dû avoir à rendre compte de leurs actes ;
  comme l’a souligné le juge, d’autres soldats auteurs de coups et autres mauvais traitements infligés à des détenus n’ont été inculpés d’aucune infraction simplement parce qu’aucune preuve n’existe contre eux, les militaires ayant décidé de façon plus ou moins manifeste de « resserrer les rangs » ;
  le fait que les forces armées aient choisi de « resserrer les rangs » peut légitimement faire penser qu’on a cherché à étouffer l’affaire ;
  les techniques d’interrogatoire qui, particulièrement lorsqu’elles sont appliquées de façon simultanée ou cumulée, s’apparentent à des actes de torture et autres mauvais traitements, ont été utilisées de façon systématique sur les personnes détenues par les autorités britanniques, notamment sur Baha Mousa et d’autres Irakiens détenus en même temps que lui. Parmi ces techniques, on peut citer : l’imposition du port d’une cagoule ; le maintien dans des positions inconfortables et douloureuses ; la privation de sommeil. Le Royaume-Uni aurait interdit dans les années 70 le recours à ces techniques, utilisées principalement à l’époque en Irlande du Nord. La Cour européenne des droits de l’homme a établi que ces techniques bafouaient l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH) qui interdit le recours à la torture et aux mauvais traitements ;
  l’incapacité des autorités britanniques, au plus haut niveau, à s’assurer que ces techniques ne seraient pas réutilisées, notamment en mettant en place des formations et une assistance juridique appropriées ;
  en fin, à ce jour, les autorités britanniques n’ont toujours pas mené d’enquête indépendante, impartiale et efficace sur la mort de Baha Mousa, bafouant ainsi les obligations légales nationales et internationales du Royaume-Uni en matière de droits humains, notamment les articles 2 (droit à la vie) et 3 de la CEDH.

Le procès devant un tribunal militaire a minimisé les sérieuses défaillances de l’enquête sur la mort de Baha Mousa, soulignant ainsi plus que jamais le besoin de réforme du système actuellement mis en place pour enquêter sur des allégations crédibles d’atteintes graves aux droits humains perpétrées par des membres des forces armées britanniques.

Outre ces préoccupations sur le manque d’indépendance et d’impartialité des enquêtes menées par la Police militaire royale sur les allégations d’atteintes graves aux droits humains par des soldats britanniques, Amnesty International continue de s’interroger sur la capacité de la Police militaire royale à enquêter sur des crimes graves de manière efficace et professionnelle.

Amnesty International continue de demander aux autorités britanniques la mise en place d’un mécanisme dirigé par des civils pour enquêter sur toutes les atteintes présumées d’atteintes graves aux droits fondamentaux des personnes par l’armée britannique. Un tel mécanisme pourrait appliquer les normes du droit international relatif aux droits humains aux enquêtes d’allégations de violations graves des droits humains par des militaires.

Amnesty International considère également que le manque d’indépendance et d’efficacité des enquêtes menées par la Police militaire royale ont un impact sur la qualité des décisions de justice s’appuyant sur ces enquêtes.

L’organisation continue en outre d’appeler à :
  l’ouverture d’une enquête indépendante, impartiale et effective sur la mort et les mauvais traitements subis par Baha Mousa ;
  la poursuite en justice d’autres personnes, si des éléments de preuve crédibles existent de leur responsabilité dans la mort ou les mauvais traitements subis par Baha Mousa et leur jugement à l’issue d’un procès équitable ;
  l’octroi de réparations, y compris sous forme d’indemnisation, à la famille de la victime ;
  l’ouverture d’une enquête pleinement conforme aux normes du droit national et international en matière de droits humains sur l’emploi régulier par les soldats britanniques de méthodes telles que : a) l’imposition du port de cagoules aux détenus ; b) l’obligation de se tenir debout dos au mur, genoux fléchis pour que les cuisses forment une ligne parallèle au sol, bras tendus en avant ; c) la privation de sommeil et d’autres besoins physiologiques, tels que boire et manger ; d) l’obligation de rester debout devant un mur ; e) l’imposition de bruit. Enfin l’organisation demande que soit menée une enquête pour savoir comment, quand, où, pourquoi et par qui ces pratiques ont été autorisées.

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